Librairie Hannenorak : Pour briser les préjugés

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e trace de capteurs de rêves, aucun mocassin ou tambourin, point d’odeur d’encens. En mettant les pieds dans la librairie Hannenorak, on se sent dans une librairie, tout simplement. Mais une librairie hautement accueillante qui ne dévoile son unicité que si l’on s’attarde aux ouvrages trônant sur les tablettes : tous, sans exception, possèdent un lien intime avec les Premières Nations.

C’est dans l’ancienne maison de son grand-père que Daniel Sioui a décidé, il y a six ans, d’ériger sa librairie. Située sur la rue Chef-Ovide-Sioui en plein cœur du Vieux-Wendake, tout près de Québec, la librairie Hannenorak porte bien son nom, qui signifie « soleil levant »; oui, la littérature autochtone se lève, certes doucement, mais assurément, et elle a de quoi nous éclairer.

Petite, intime et bien chaleureuse, la librairie rassemble en son antre des essais sur les Premières Nations, des contes illustrés pour enfants et des romans traduits écrits par des Autochtones de l’Ouest canadien et des États-Unis. Mais ce n’est pas tout, puisqu’on y trouve également des romans policiers ou des histoires d’amour, qui, s’ils ne mettent de l’avant aucun personnage d’origine autochtone et n’abordent pas nécessairement cette culture, ont néanmoins la particularité d’être écrits par un auteur issu des Premières Nations. « Oui, on vend la littérature des Premières Nations, mais c’est de la littérature tout court! Par exemple, pensons au roman La chorale des maîtres bouchers de Louise Erdrich. C’est une auteure autochtone, mais lorsqu’on la lit, on ne s’en rend même pas compte », ajoute Cassandre Sioui, conjointe et bras droit du propriétaire. Lors de notre passage sur les lieux, ce sont notamment les livres de Joseph Boyden, Thomas King, John Saul et Michel Noël qu’on trouvait mis en valeur. Si plusieurs des livres proposés par Hannenorak se retrouvent également chez des libraires généralistes, les trouver réunis permet aux visiteurs de cerner l’étendue du choix, de remarquer la diversité des angles avec lesquels aborder les Premières Nations et, bien sûr, de réaliser son ignorance sur le sujet! La force du groupe, dit-on.

Une modernité qui ouvre les horizons
« J’aime beaucoup ma culture autochtone et je trouve que les livres sont un bon moyen de la faire connaître », souligne Daniel Sioui, qui explique que son travail de libraire s’apparente presque à celui d’un professeur : plusieurs clients ont de multiples questions auxquelles il tente de répondre au mieux de ses connaissances. « Pour nous, c’est une façon de communiquer notre fierté d’être autochtone », ajoute-t-il. Et cette fierté, elle ne se situe pas tout à fait dans les ouvrages proposant de découvrir son animal totem, d’approfondir le chamanisme ou de communiquer, par exemple, avec les arbres. Loin des préjugés, l’offre d’Hannenorak, en ce sens, évolue plutôt du côté d’un mysticisme moderne. « Nous avons un coin spiritualité, mais on essaie de garder des ouvrages moins folkloriques », explique monsieur Sioui. C’est effectivement dans une ambiance de modernité, d’accessibilité et de respect que le propriétaire nous invite à découvrir son peuple, les Wendat, mais aussi tous les peuples des Premières Nations. « Les Autochtones ne sont pas un seul grand peuple. Au Québec seulement, c’est onze nations, onze langues différentes, c’est donc onze cultures, onze histoires. »

Cassandre Sioui, qui a complété une maîtrise portant sur Ourse bleue de Virginia Pésémapéo Bordeleau et Kuessipan de Naomie Fontaine, explique l’actuel regain de la littérature autochtone par cette « volonté de dire qu’on existe encore. Pendant longtemps, le Canada a voulu nous effacer, nous mettre de côté. On a peut-être perdu notre culture durant une centaine d’années, mais maintenant, on l’a retrouvée, et on l’affirme bien fort ». Que ce soit pour extérioriser des périodes plus difficiles comme les passages dans les pensionnats, pour rétablir les faits sur les coutumes ancestrales ou pour plonger dans la magie des mots des poètes autochtones, leur littérature – comme la littérature de tout peuple, d’ailleurs – fait œuvre utile. 

Créer pour se rapprocher
Les idées pour faire briller la littérature des Premières Nations ne manquent pas dans l’esprit de Daniel Sioui, qui retrouve rapidement ses réflexes d’ancien organisateur d’événements culturels dans des projets comme le Salon du livre des Premières Nations, dont la quatrième édition a eu lieu en novembre. Ce sont près de 500 personnes qui s’y sont rassemblées pour découvrir cette littérature riche, méconnue et qui a assurément tout pour nous charmer. De plus, épaulé par son père, l’auteur reconnu Jean Sioui, Daniel a fondé une maison d’édition en 2010, maison qui porte également le nom d’Hannenorak. Faisant la part belle aux thématiques liées aux Premières Nations, les livres qui en composent le catalogue s’adressent aux adultes et aux jeunes. Et, parce que leur amour de leur littérature n’a pas de limite, Daniel et Cassandre tentent également de remettre sur pied une bibliothèque publique dans le village. Un projet rassembleur, en adéquation totale avec leur mission : faire briller la littérature autochtone.

Plus qu’une librairie de quartier, Hannenorak possède une clientèle qui s’élargit bien au-delà des Wendat des environs. En fait, les chercheurs universitaires qui s’y approvisionnent en ouvrages spécialisés et les nombreux touristes qui y viennent pour explorer et déambuler entre le choix impressionnant d’ouvrages composent la majorité des visiteurs. Daniel Sioui souligne que malheureusement, beaucoup d’Autochtones sont encore frileux à l’idée d’approfondir leur propre histoire, de lire leurs compatriotes contemporains. Mais il ne s’agit peut-être que d’une question de temps : maintenant qu’existe ce lieu où convergent bonheurs de lecture et référents culturels qui leur sont propres, ne reste qu’à les convaincre de venir y cueillir un livre!

 

LIBRAIRIE HANNENORAK

24, rue Chef-Ovide-Sioui
Wendake
418 407-4578
http://hannenorak.leslibraires.ca/

 

 

Les choix de Cassandre Sioui, de la librairie Hannenorak (Wendake)

Ourse bleue
Virginia Pésémapéo Bordeleau, Pleine Lune, 204 p., 22,95$
Mue par un désir de renouer avec ses racines cries, Victoria entreprend un long périple vers la baie James, au cœur du pays de ses ancêtres. Ce contact avec le territoire des siens la remue profondément, la plonge dans un état où le doute et l’abandon s’entremêlent, la confronte dans ses propres croyances. Ourse bleue, qui emprunte au récit de voyage, livre la quête identitaire fascinante et poignante de cette protagoniste métissée. L’écriture envoûtante de l’auteure crie Virginia Pésémapéo Bordeleau nous transporte dans un univers sylvestre alliant tradition et modernité.

Kuessipan
Naomi Fontaine, Mémoire d’encrier, 120 p., 19$
Premier roman de l’auteure innue Naomi Fontaine, Kuessipan brosse, par touches successives, le tableau de la vie quotidienne des habitants de la communauté innue d’Uashat. La peur, le silence et la détresse côtoient la splendeur de la baie, la plénitude qu’apporte « le chemin vers la tradition ». Les nombreux fragments qui constituent le roman sont criants de réalisme, dénués de sentimentalisme, mais toujours empreints d’une triste beauté. L’écriture de Fontaine nous habite longtemps, même une fois la lecture finie. Une voix incontournable de la littérature des Premières Nations!

 

Les choix de Daniel Sioui, de la librairie Hannenorak (Wendake)

Champion et Ooneemeetoo
Tomson Highway, Prise de parole, 354 p., 24,95$
Avec son écriture touchante et sa touche humoristique, Highway nous invite dans la vie de deux jeunes garçons cris du nord du Manitoba. Vous les suivrez à travers les méandres de leur jeunesse dans les paysages du Nord canadien, puis dans le réalisme des pensionnats indiens, jusqu’à l’âge adulte où ils s’épanouissent et prennent des directions inattendues. Avec Champion et Ooneemeetoo, son premier roman, Highway nous plonge dans un récit moderne de la vie de jeunes Autochtones du Canada, où le choc des cultures est encore bien présent.

Le chemin des âmes
Joseph Boyden, Le livre de Poche, 474 p., 13,95$
Le chemin des âmes est un livre bouleversant et réaliste qui nous fait vivre l’horreur des tranchées de la Première Guerre mondiale. Il met en scène deux jeunes amis autochtones partis de l’Ontario combattre aux côtés des Canadiens. Vont-ils réussir à sauver leur âme ou, au contraire, finiront-ils par se transformer en Windigo, un monstre sanglant et sans pitié? Basé sur une histoire vraie, ce roman de Boyden nous fait découvrir la mission qui était confiée aux milliers d’Autochtones qui avaient décidé de s’engager comme volontaires dans l’armée canadienne.

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