Établie sur la Rive-Sud de Québec depuis ses débuts, la librairie Chouinard persiste et signe. Trente ans après avoir tenu boutique à Charny, ville devenue un quartier de la grande Lévis, la librairie déménage en décembre 2016 près des ponts. Située désormais au carrefour des activités, elle poursuit sa mission, celle de faire « lire et grandir ».

Il venait de terminer le bac en littératures et le certificat en journalisme. Il travaillait de gauche à droite, filait son chemin dans différentes directions, mais ce qui ne changeait pas, c’est que quoi qu’il fasse, la lecture traçait une indubitable parallèle. Une brève étude de marché, la disponibilité d’un local adéquat et la possibilité d’obtenir une subvention pour jeune entrepreneur auront tôt fait de convaincre Ghislain Chouinard de lancer sa librairie. « Une des raisons qui m’a incité à ouvrir ma librairie, c’était de pouvoir m’acheter mes livres au prix du gros! », lance-t-il en riant. Outre le bénéfice de l’approvisionnement personnel, monsieur Chouinard exprime en toute franchise que ce qui l’intéressait avant tout dans l’aventure de la librairie, c’était son aspect commercial. « Ça peut avoir l’air presque roturier, mais je le pense dans le sens de l’expression française qui dit : ‘‘être de commerce agréable’’. » Répondre à la demande du client dans les meilleurs délais a toujours fait partie de la mission première de la librairie Chouinard. « Ce n’est pas juste un échange d’un livre contre une somme, c’est un échange de savoir, d’information contre une rétribution. » Un procédé de vases communicants sur la base consolidée de la relation humaine.

Curieux de nature
Le travail en librairie exige d’avoir plusieurs cordes à son arc. « Le métier de libraire, ça commence le matin quand tu ouvres les yeux. Aussitôt que tu es en mode conscient, il faut que tu enregistres tout ce qui passe, il faut être curieux. » Comme les livres englobent tous les sujets, la librairie s’apparente à un microcosme qui contient tous les éléments de notre monde : des idées aux choses pratiques, des profils historiques à la fertilité de l’imaginaire. Une librairie abrite tout et son contraire. « D’ailleurs, c’est un de nos passe-temps favori avec nos clients, refaire le monde! » C’est aussi l’endroit de prédilection pour prendre le pouls de la société. « Autrefois, le libraire, c’était un recherchiste. Le métier ressemble beaucoup au journalisme d’enquête. Il faut que tu sois capable de repérer. » Il requiert aussi un bon niveau de connaissances qui ne s’obtient bien souvent qu’avec le temps et l’expérience.

La profession de libraire revendique également une bonne vision d’affaires et nécessite de rester à l’affût de l’évolution de la demande, des moyens pour joindre ses clients, actuels et potentiels, et de demeurer à jour concernant l’évolution du marché et de la technologie. Car en trente ans, le libraire Chouinard a vu bien des aspects du métier changer. Du système de fiches du départ à la banque de données actuelle, la librairie s’est transformée avec l’avancée des moyens technologiques. Difficile à imaginer pour les plus jeunes, mais il y a à peine trois décennies, le libraire faisait sa commande au fournisseur à la main, titre après titre. Reste qu’il y a des choses qui ne changent pas et qui, sans leur présence, ne pourraient fournir à la librairie la possibilité de survivre; aux dires de monsieur Chouinard, un bon service à la clientèle est l’exemple d’une primordialité. Son objectif est, d’une part, de fidéliser les lecteurs et, d’autre part, d’inviter de nouveaux clients à adopter sa librairie. Pour ce faire, le lien de confiance, toujours celui-là, doit s’établir. « Je suis très heureux de faire ce que je fais », de renchérir monsieur Chouinard pour qui la richesse des livres combinée à la rencontre avec les gens est un rassemblement du meilleur des mondes.

De la lorgnette du lecteur, le libraire Chouinard tire ses préférences dans les essais solidement documentés et bien amenés. Il affectionne également les polars, se laissant prendre volontiers au ludisme de l’intrigue. Mais par-dessus tout, c’est la forme qui le séduit et le fascine. « J’ai toujours aimé les livres bien écrits. J’aime l’écriture pour l’écriture. Un paragraphe bien tourné avec une principale, six subordonnées et trois indépendantes, c’est bon! Et quand tu as fini de le lire, tu te dis wow!, pas une fois le verbe avoir, pas une fois le verbe être, pas une fois le verbe faire. » Des auteurs qui l’ont le plus « dérangé », il y a Michel Houellebec, assurément, pour lequel il parle en termes d’admiration. « Au Québec, j’ai beaucoup aimé Jacques Ferron. Je reviens encore au Ciel de Québec qui est un des romans les plus aboutis, il n’a pas une page de trop. » Cette fois aussi, l’enjeu principal reste la qualité de l’écriture. Selon Chouinard, le docteur Ferron n’a pas son pareil dans l’art de raconter une histoire.

Un libraire, une équipe
Être entouré par une équipe compétente et polyvalente est tout aussi requis. « Je vous le dis tout de suite, madame Beaulieu, n’écrivez rien si vous ne mentionnez pas mon équipe », me prévient monsieur Chouinard. Il a recruté quelques-uns de ses employés parmi ses meilleurs clients. C’est le cas de Marie-Ève Kemp, gérante et bras droit, employée de la librairie depuis onze ans. Mélanie et Maxime viennent compléter l’équipe permanente, à laquelle s’ajoutent le tout aussi précieux personnel à temps partiel, Florence, Émilie, Camille et Océane. « J’ai une équipe de rêve », affirme non sans fierté le propriétaire.

Pour ne pas s’éparpiller, monsieur Chouinard a toujours choisi de ne vendre que des livres. Bien qu’il offre aussi des cartes marines, autre produit spécialisé, il est demeuré fidèle à son idée de départ. « La passion s’est transformée en plaisir quotidien. » Il peut non seulement continuer à lire, mais aussi être aux premières loges des nouveaux arrivages.  

Durer dans le milieu de la librairie n’est pas une mince affaire. Pourtant, Ghislain Chouinard a réussi jusqu’ici le pari de la pérennité. Flair, détermination, assiduité? « C’est peut-être d’avoir poursuivi un rêve et de continuer à rêver. Les belles années sont à venir! »

 

Photos : © Isabelle Beaulieu

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