Un trimestriel (« Quarterly ») dessiné (« Drawn ») : c’est la forme que prenait Drawn & Quarterly (ou D+Q, pour les initiés) avant de devenir l’une des maisons d’édition indépendantes anglophones les plus respectées au monde. Aujourd’hui, la compagnie montréalaise fondée en 1989 par Chris Oliveros publie bon an mal an vingt-cinq ouvrages, souvent primés par des récompenses comme les prestigieux Harvey Awards, l’Oscar de la BD anglophone.

La maison d’édition, qui fait de la place aux auteurs singuliers, ne se limite pas qu’à un seul style visuel. Son catalogue va des illustrations naïves trash à la poésie humoristique, en passant par le dessin élégant proche du magazine The New Yorker. Impression, choix du papier et présentation visuelle : rien n’est laissé au hasard pour créer le plus bel objet possible. C’est ce qui en a fait l’un des éditeurs les plus respectés du milieu de la BD.

Pour preuve, on n’a qu’à voir les impressionnantes collaborations avec les auteurs de renom comme l’Israélienne Rutu Modan, la Finlandaise Tove Jansson, les Japonais Yoshihiro Tatsumi et Shigeru Mizuki et le Canadien Seth. En 2007, le magnifique album Pyongyang du Québécois Guy Delisle a fait décoller les affaires du petit éditeur, prouvant que l’appétit des lecteurs pour les œuvres de qualité ne se démentait pas.

Pour marquer le redémarrage de ses activités après le confinement, la maison lançait à la fin de l’été Master of Art, le troisième tome de l’hilarante série Wendy signé par l’artiste originaire de Kahnawake Walter Scott. Le travail de ce diplômé en arts visuels, salué de Londres à Los Angeles, rappelle l’univers d’une autre figure incontournable de la BD underground publiée par la maison : Julie Doucet. Au début des années 90, Doucet et d’autres artistes comme Chester Brown et James Sturm font partie de la première cohorte de jeunes dessinateurs irrévérencieux portés par Oliveros. L’arrivée de Scott chez Drawn & Quarterly confirme que la maison est toujours aussi actuelle : l’univers de Wendy, qui vit de nombreux déboires amoureux et professionnels dans le milieu de l’art, se rapproche de celui de la série féministe Dirty Plotte, l’œuvre phare de Julie Doucet qui a fait l’objet d’une magnifique rétrospective en 2018.

Les créatrices occupent d’ailleurs une place de choix chez Drawn & Quarterly, qui est aussi derrière la publication de plusieurs ouvrages de Lisa Hanawalt, une illustratrice connue pour son travail sur la série d’animation BoJack Horseman. Depuis août, les fans de la créatrice aux dessins anthropomorphes peuvent aussi se mettre sous la dent un survol des œuvres de jeunesse de l’illustratrice dans un recueil intitulé I Want You.

Un succès mérité
Pour accompagner les auteurs vers la stratosphère du monde de la BD, Oliveros s’est entouré de plusieurs collaborateurs, dont deux fanatiques qui dirigent aujourd’hui D+Q : Peggy Burns, qui lui succède comme éditrice en 2015, et Tom Devlin, qui prend le poste de directeur littéraire. Anciennement chez DC Comics à New York (où elle travailla avec Frank Miller!), Burns déménage à Montréal en 2003 après qu’Oliveros lui a demandé si elle connaissait un relationniste de presse pour aider D+Q à prendre de l’expansion. En recevant sa candidature, le fondateur de la maison a d’abord cru à une blague! Burns, déterminée, a emporté avec elle un réseau de contacts qui contribua à solidifier la réputation de la maison.

Avec Burns et Devlin aux commandes depuis 2015, Oliveros a pu réaliser un rêve enfoui pendant près de vingt-cinq ans : devenir auteur. En 2016, il lance The Envelope Manufacturer, qui raconte l’histoire d’un entrepreneur passionné de fabrication d’enveloppes artisanales devant la compétition industrielle. Comme c’est souvent le cas dans l’univers de la littérature illustrée, la réalité n’est jamais bien loin de la fiction.

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