À elles deux, elles forment un siècle de poésie québécoise. Cinquante années à en mettre plein les yeux, les sens, aux lectrices et aux lecteurs. Voilà cinq décennies que Les Écrits des Forges et les Éditions du Noroît font la fête à la poésie de chez nous… et d’ailleurs!

PLUSIEURS BRUISSEMENTS D’UNIVERSEL1
C’est dans la foulée de la fondation de l’UQTR que Les Écrits des Forges voient le jour. Son fondateur, le poète Gatien Lapointe, accepte d’y enseigner sous la condition d’avoir un budget lui permettant de mettre sur pied une maison d’édition destinée à publier les meilleurs travaux de ses étudiants. À ce moment, et jusqu’à sa mort, Lapointe porte en lui une idée quasi obsessive : celle du commencement. Plus que tout, il souhaite présenter au monde de jeunes poètes québécois. Ce pari, il l’a relevé, épaulé par une équipe qui a fait de la maison l’incontournable qu’elle est aujourd’hui au Québec, en France, mais aussi au Mexique, en Grèce, en Russie et plus loin encore! Gaston Bellemare, premier poète à avoir publié à la maison, raconte :

Les Forges se sont démarquées par la coédition. C’est arrivé il y a longtemps au Marché de la Poésie à Paris. Avant, la poésie québécoise se retrouvait dans la section des littératures étrangères. Avec la coédition, les Québécois étaient tout à coup placés bien en vue dans la section la plus fréquentée.

Au départ, la maison publie de deux à quatre poètes par année. Avec le temps, le catalogue s’ouvre naturellement à d’autres voix, d’abord de la Mauricie, puis d’ailleurs au Québec et encore d’ailleurs dans le monde. Plus tard vient le désir de rameuter toutes ces personnes au Québec; c’est la naissance du Festival international de la poésie de Trois-Rivières.

Au plus fort de son activité, Les Écrits des Forges est le plus gros éditeur de poésie dans le monde francophone. La maison publie cinquante titres par année et est la première maison québécoise à avoir publié plus de mille titres. C’est en 1985 que Bernard Pozier entre en fonction à titre de directeur littéraire. Fidèle à la passion qui animait son mentor, il poursuit fidèlement le projet de Lapointe en plaçant au cœur de ses choix éditoriaux une poésie accessible, près de l’oralité et distribuée à faible coût.

Nous continuerons d’offrir le plus vaste éventail de générations, d’origines, de sujets, de formes et de tons possible. Éclectisme et diversité sont et seront les mots qui décrivent le mieux notre catalogue.
– Étienne Poirier, poète et directeur administratif

Des fiertés, il y en a plusieurs sur le chemin des deux hommes qui sont aujourd’hui à la barre des Écrits des Forges.

Avant mon arrivée, il n’y avait pas de femmes dans notre catalogue. Une des choses dont je suis le plus fier, c’est d’avoir publié les deux derniers tomes et un recueil inédit de Rina Lasnier. Depuis, des poètes extraordinaires font rayonner la maison. Je pense à Nicole Brossard, à Hélène Dorion, à France Théoret, à Hélène Monette, à Kerline Devise, à Cristina Montescu, à Rosalie Lessard…
– Bernard Pozier

Et pour les cinquante années à venir? Pozier et Poirier ont un souhait conjoint : celui que la nouveauté ne soit pas amnésique et que l’on continue, certes, de découvrir de nouvelles voix, sans pour autant négliger la large part de talent qui existe chez les poètes qui avancent dans leurs œuvres.

« AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE ET LE NOROÎT L’A AIMÉ2 »
C’est une histoire de conviction, une histoire d’amour avec le poème, qui a réuni en 1971 une poignée d’amis ayant le désir de mettre sur pied une maison consacrée uniquement à la poésie.

Le poème porte l’amitié puisqu’il propose la fréquentation des mots, des êtres, des lieux qui trouvent un sens particulier.
– Paul Bélanger, directeur littéraire du Noroît de 1991 à 2021

C’est ce qui nous a liés au Noroît. Le poème est la possibilité d’une communauté. De parole, mais aussi de lenteur, de soin. On n’est pas dans le bruit, on est dans l’écoute attentive du monde, de l’humain.
– Mélissa Labonté, directrice littéraire

De manière exceptionnelle dans le paysage littéraire québécois, les Éditions du Noroît se sont vite positionnées comme un lieu d’accueil et de rencontre entre la poésie et les arts visuels. D’abord sous la passion de sa cofondatrice, Célyne Fortin, qui travaillait de pair avec René Bonenfant, puis sous la sensibilité des mains qui ont poursuivi leur entreprise. Sur une période de trente ans, les poètes Hélène Dorion, Paul Bélanger, Claude Prud’Homme et Patrick Lafontaine ont pris soin de la maison et des auteurs qui y publient. Au printemps 2021, le Noroît annonçait que c’étaient désormais Charlotte Francœur et Mélissa Labonté qui allaient en assurer la direction et la propriété.

Nous avons le désir de revenir à la tradition du livre d’artiste. Mélissa et moi sommes très intéressées par les ponts poétiques qui existent entre poésie et arts visuels. Le poème ne doit pas se plier au livre, c’est le livre qui doit s’ouvrir devant le poème et épouser la forme qui l’appelle, c’est vraiment important pour nous.
– Charlotte Francœur, directrice littéraire

Quand le trio parle des fiertés de la maison, les yeux brillent. Paul évoque la création de la collection « Chemins de traverse », inaugurée avec l’essai de Jacques Brault et qui fleurit aujourd’hui sous les plumes de Gabrielle Giasson-Dulude, de Sarah Brunet Dragon et d’Erín Moure, entre autres. Mélissa souligne la parité hommes-femmes toute naturelle depuis 1971 chez les auteurs et autrices de la maison. Marie Uguay met les cœurs en fête tout comme les poètes de la nordicité. Et le nom de Denise Desautels, poète majeure qui accompagne la maison depuis cinquante ans, résonne alors que Charlotte rappelle l’importance de la traduction et de la coédition pour la maison. Elle rappelle le rôle névralgique qu’ont joué Hélène Dorion et Paul Bélanger pour la collection « Latitude », qui prouve que « le sens peut venir de n’importe où3 ».

Il existe une collection de fiertés, de passions, qui régissent cette équipe soudée par un vœu de dévotion envers le poème. C’est franchement beau de les entendre parler de l’avenir de la maison, des cinquante années à venir qui, à n’en point douter, seront fécondes.

IL EST URGENT POUR LE MONDE D’ENTENDRE LES POÈTES4
C’est dans ce que Paul Bélanger appelle l’amitié du poème que le changement de garde s’opère. Si Paul est assuré que Charlotte Francœur, Andréane Frenette-Vallières5 et Mélissa Labonté vont de pair continuer à développer le fonds de la maison dans l’exigence du poème, il ajoute, plus largement, ce souhait à ses certitudes.

J’aimerais bien que dans 100 ans, la poésie soit une lecture nationale.

Les nouvelles gardiennes de la maison, quant à elles, sont convaincues que la conversation entre le Noroît et la poésie est un dialogue destiné à durer. Rendez-vous en 2071 pour constater jusqu’où le vent aura soufflé.

Gatien Lapointe a déplacé le centre d’attention de Montréal. Plusieurs maisons sont nées dans les années 70 à l’extérieur de la métropole et ce n’est pas étranger au succès des Forges.
-Paul Bélanger, propriétaire et directeur littéraire du Noroît de 1991 à 2021

Ce que j’admire du Noroît, c’est la fidélité à leur idée de départ. La poésie d’abord et avant tout. C’est l’étendard qu’on a décidé de lever conjointement et on le tient le plus haut possible.
-Étienne Poirier, poète et directeur administratif des Écrits des Forges

Des livres anniversaire
Les Éditions du Noroît témoignent de la vitalité poétique sans cesse renouvelée de la maison avec un superbe livre anniversaire à mi-chemin entre l’anthologie et le beau livre. Sous la direction de l’artiste pluridisciplinaire Monique LeBlanc, J’écris peuplier célèbre l’intemporalité du catalogue de la maison en présentant des fragments poétiques, de vingt cinq femmes et autant d’hommes, qui franchissent les générations et les origines. En choisissant pour titre le vers J’écris peuplier, tiré d’un poème de Célyne Fortin, cofondatrice avec René Bonenfant des Éditions du Noroît, la maison leur rend hommage.

Avec Écrits des Forges, 50 ans de poésie : 1971-2021, Bernard Pozier propose un survol du catalogue de la maison et des trois axes qui guident son développement. Cent un poètes québécois y côtoient un corpus international, dont ceux de deux partenaires majeurs pour la maison : la France et le Mexique.

———-
1. Gatien Lapointe au sujet des voix qu’il publie (1981).
2. Guy Marchamps, « 1971-1991 : vingt ans de poésie aux Écrits des Forges et aux Éditions du Noroît », Lettres québécoises, n° 63, 1991.
3. Paul Bélanger pendant l’entrevue conduite par Vanessa Bell.
4. Paul Bélanger, tiré du bulletin spécial pour les 40 ans des Éditions du Noroît, 2011.
5. Adjointe à l’édition.

Photo de Mélissa Labonté et Charlotte Francœur : © Alexandre Roy-Gilbert

Publicité