C’est arrivé le 13 mars dernier, un vendredi. Le Mois de la poésie était au cœur des festivités de son treizième anniversaire. Un mois plus tôt, nous avions affirmé, comme pour conjurer un sort à venir : « Le Mois de la poésie vivra, quoi qu’en dise la numérologie. » Nous n’allions pas tarder à découvrir que cette bravade nous vaudrait quelques heures de sommeil en moins.

C’était un vendredi 13, donc, et bien avant la mise en place de l’échelle de couleurs avec laquelle nous vivons désormais, la nouvelle tombait. Nous ne pouvions plus accueillir les artistes à Québec, nous ne pouvions plus présenter de spectacles en salle. À l’instar de nos téléphones, nos boîtes courriel sonnaient sans relâche. Festivaliers et festivalières, artistes et partenaires, tous voulaient savoir : qu’allions-nous faire jusqu’au 31 mars?

Bien qu’audacieux par définition, le Mois de la poésie ne pouvait certes pas envisager de mettre en danger les artistes et le public qui s’y réunissent nombreux. Le festival était à la croisée des chemins. Juliette Bernatchez et moi-même, toutes deux codirectrices de l’événement, devions choisir entre fermer les livres sur une édition qui faisait salle comble à chacun des spectacles et des ateliers ou migrer vers le numérique dans le but de continuer à faire entendre et connaître la poésie des quelque cinquante artistes qui devaient encore y participer. En quarante-huit heures, le sort en était jeté.

Nous écrivions aux médias et sur nos réseaux sociaux : Le Mois est mort, vive le Mois!

En une fin de semaine, nous avions un nouveau visuel et un grand projet rassembleur grâce à la générosité des poètes et à celle de nos nombreux partenaires. Nous faisions le pari de présenter Hygiène, un happening virtuel de vidéopoèmes regroupant en trois heures une quarantaine de poètes du Québec et de la francophonie. La vitrine faisait parfaitement écho à une des volontés du Mois de la poésie, soit celle de présenter des performances issues de divers horizons. Hygiène regroupait des primopoètes aussi bien que des gens pour qui c’était la première expérience devant public tout comme des performeurs bien établis. La vidéo, plus qu’un choix intelligent en temps de pandémie, était pour nous une concrétisation de notre vision de la poésie actuelle. Une poésie qui est poreuse et qui se déploie à travers différents médiums, dans et hors du livre. Présentée de manière exclusive pour moins de vingt-quatre heures, cette grande manifestation a attiré pas moins de 5000 personnes partout dans le monde.

En apéro à cette soirée, le Mois de la poésie offrait, en collaboration avec La Fabrique culturelle, une lecture de l’autrice Véronique Grenier aux P’tites nuits de la poésie. Naissant de la volonté de rester ensemble dans la distance et pariant sur le fait que plus que jamais, nous avions besoin d’art dans nos vies, le diffuseur public nous avait contactées afin de présenter une curation de poètes qui, depuis leurs maisons, feraient des lectures publiques.

C’est ainsi que se sont ajoutées les voix d’Akena Okoko, Marie-Andrée Gill, Jonathan Roy, Bureau Beige, Maude Jarry, Chloé Savoie-Bernard et Emmanuel Deraps à la programmation 2.0. De nouveau, le public a démontré un enthousiasme soutenu pour la poésie. Elles et ils étaient autour de 7 000 chaque soir à aller à la rencontre de l’intimité des poètes et de leurs textes.

Si vous avez manqué le tout, il est encore possible d’écouter les vidéos sur notre page Facebook.

Cette volonté d’investir tous les lieux
« Virer de bord un festival » pendant qu’il a cours n’est pas chose facile. Heureusement, notre volonté d’être un événement accessible et rassembleur qui démocratise la poésie nous a servi lors de cette transition. Déjà, la programmation de cette treizième édition proposait plusieurs activités en ligne.

En effet, convaincues qu’il existe autant de poésies que de lecteurs et lectrices et qu’il appartient à l’ensemble de la communauté poétique d’investir tous les lieux de diffusion pour la disséminer, nous avions préalablement établi plusieurs partenariats pour y arriver. Nous avions notamment joint nos forces à l’équipe de CKIA pour déployer le projet Détourner la pub. Avec l’aide de Marlène Bordeleau, les poètes Sébastien Dulude, Valérie Forgues, Mimi Haddam, Éric LeBlanc, Catherine Morency et Maude Pilon ont offert des performances poétiques diffusées à même la grille publicitaire de la station de radio.

Projet phare du Mois de la poésie, les poèmes-affiches, illustrés par l’artiste Catherine Lavoie, ont quant à eux assuré le pont entre poésie et promeneurs cet hiver dans les rues de Québec. Choisis par un jury de pairs, les cinq poèmes finalistes étaient du lot des trois cent cinquante poèmes de moins de vingt-cinq mots soumis au concours l’année dernière.

Pour une troisième année, la collaboration vidéo entre Le Devoir et le Mois de la poésie s’est déployée sur les réseaux sociaux du quotidien national où Sylvie Drapeau a performé des textes de poésie actuelle. Les vidéos des lectures des textes de Geneviève Blais, Jonas Fortier, Alexandre Dostie et Maude Pilon sont toujours disponibles sur la page Facebook du Devoir.

C’est arrivé le 13 mars dernier, un vendredi.

C’est arrivé comme un défi qui réitère l’importance du travail accompli. Cette journée-là, nous étions sur le point d’apprendre que toutes les superstitions du monde ne peuvent empêcher les festivalières et les festivaliers de se tenir, ensemble, en poésie. Une leçon que nous porterons longtemps encore comme un mantra.


Vous pouvez visionner et écouter les différentes prestations mentionnées dans cet article au moisdelapoesie.ca

Vanessa Bell est co-directrice du Mois de la poésie et carbure à la poésie. En 2019, elle faisait paraître De rivières (La Peuplade), un recueil puissant qui liquéfie habilement la parole de femmes, tout en parlant de douleur, de maternité et de sororité.

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