Voir du pays

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Le retour de ces trop rares journées chaudes que nous octroie chaque année comme une faveur notre maudit climat ne me fait pas oublier mes obligations : factures à payer, dates de tombée à respecter et mille appels à retourner. Dans ma boîte vocale, parmi les messages de mes divers créanciers, la voix enjouée de Cynthia fait figure d'éclaircie au milieu de noirs nuages. Nul besoin d'écouter le message jusqu'au bout ni de consulter mon agenda avant de rappeler. Le numéro de téléphone de cette Vénus-Caraïbe m'est aussi familier que la localisation du repaire d'Oussama Ben Laden l'est pour les services secrets américains… (Oui, oui, mais pourquoi appréhender quelqu'un dont la liberté permet de justifier la poursuite d'une campagne militaire si profitable pendant un temps indéterminé… ?)

— Marvin !
— Ciel ! Comment sais-tu que c’est moi ? Je n’ai pas encore prononcé le moindre mot…
— Tu aimerais sans doute entendre qu’un sixième sens m’avertisse que mon image traverse ton esprit…
— …mais pas l’afficheur de ton cellulaire, je sais. Snif !
— Désolée de te briser le cœur, doudou. Tiens, pour te consoler, que dirais-tu d’un pichet de sangria sur une terrasse ensoleillée ?

Comme disait mon père, paix à son âme, demande-t-on à un cimetière s’il veut des cadavres ?
En fin d’après-midi, je la retrouve sur une terrasse bondée; autour de nous, des étudiants fort bruyants qui n’en finissent plus d’arroser la fin du semestre, mais aussi quelques habitués plus discrets, des artistes bohèmes, des fonctionnaires, des vacanciers issus d’horizons divers.

Cynthia a enfourché son fidèle vélo pour venir me rejoindre. Sa combinaison de spandex moulante ne laisse pas grand détail de son physique d’athlète à l’imagination. Je ne peux m’empêcher de la considérer avec un brin de lubricité dans le regard. Y a pas à dire : mon amie tient la forme, la grande forme même.

— T’as fini de me détailler comme ça, vieux cochon ? feint-elle de s’indigner. Je me sens toute nue quand tu me fixes avec ces yeux-là !
— Mais tu ES toute nue, mon amour…

Ce n’est pas encore la canicule, mais presque. Mon amie et moi partageons un pichet de sangria, fraîche et légèrement acidulée. Cynthia a englouti ses deux premières coupes d’un trait, à croire qu’il s’agissait de Kool Aid. Ce qui n’est pas loin d’être le cas, compte tenu de la faible teneur en alcool de la boisson qu’on nous a servie.

— Alors, des projets pour l’été ? me lance-t-elle, du tac au tac.
— Rien de particulier encore. Pourquoi ? As-tu quelque proposition indécente à me faire ? laissé-je tomber avec l’intonation la plus licencieuse de mon répertoire.
— Dans tes rêves, oui !

Elle et moi sommes suffisamment intimes pour nous permettre ce genre d’échange. Avant d’être les meilleurs amis du monde, nous avons été un temps amants — mais je dois avouer, avec un chouia d’embarras, que je n’étais tout simplement pas suffisamment en forme pour me colleter avec une pareille dynamo qui carbure à la bouffe santé et aux drinks énergétiques ! Ah, le poids des années…

— Sans déconner, Marvin, ça te tenterait, un tour du Québec à vélo ?
— Autant qu’un traitement de canal, que je lui réponds tout de go.

Non, mais vous m’imaginez, pédalant comme un déchaîné et haletant comme un asthmatique dans son sillage, juste pour maintenir une distance raisonnable entre elle et moi ? Très peu pour moi, merci. Il n’y a pour moi qu’un seul avantage à cette posture embarrassante, c’est la vue imprenable et incomparable que celle-ci m’offrirait sur le fort joli arrière-train de cette déesse café au lait — à condition, encore une foi, de savoir maintenir une distance raisonnable entre elle et moi…

— Non, mais t’as fini de fantasmer, pervers polymorphe de mes deux… ? J’étais gamine quand mes parents sont venus à Montréal et, j’ai honte de l’admettre, mais je connais assez peu le reste de la province…

Son cas est assez courant, chez les enfants d’immigrants. Mais contrairement à Cynthia, j’ai grandi en dehors de la métropole, ne m’y suis installé que très tard, après avoir bossé comme le nègre que je suis dans des petits hebdos un peu partout en province… De la terrasse à la librairie où travaille Isabel, il n’y a qu’un pas… Dommage que mon amie libraire n’y soit pas : peut-être est-elle parvenue à convaincre son matou de la suivre en campagne, qui sait ? Quoi qu’il en soit, Cynthia et moi bouquinons dans la fraîcheur bienvenue du climatiseur. Que recommander à une mordue de plein air, de voyage et de sports ?

À la table des écrivains russes, L. Cathala-Galinskaia, Éditions de l’Aube
Circuits de vélo au cœur des plus beaux villages du Québec, Les 400 coups
Les Plages et les grèves de la Gaspésie, Josée Kaltenback, Fides
Guide du plein air au Québec, Trimédia Communication inc.
La Nature du Québec, Éditions GID
Le Fjord du Saguenay, Collectif, Trécarré
Le Monde de Victor Hugo, Claude Malecot, Éditions du Patrimoine
Le Plein air au Québec, Collectif, Trimedia Communications, coll. Espaces
Le Québec cyclable, Collectif, Ulysse
Les Aventurières, Barbara Hodgson, Seuil
Les Nœuds : Le Grand Livre pratique, Geoffrey Budworth, Éditions de l’Homme
Vers la mer, Claude Bouchard & Robert Baronet, Publications du Québec, coll. Coin de pays

— Je ne pourrai pas acheter tout ça…, commence-t-elle.
— T’es pas obligée, trésor. Fais un choix.
— Pourquoi ces livres sur les écrivains russes et sur Hugo ?
— Ben quoi ? À part les incultes responsables de la promo de RDS, nul n’a jamais dit que culture et sports sont incompatibles…
— Et ces livres sur la Gaspésie ? s’enquiert-elle en fronçant les sourcils.
— Mon pote Jake passe les vacances près de Percé. Si jamais je décide de t’accompagner, ce serait amusant de pousser jusque là-bas pour faire un peu de camping sauvage sur ses terres… J’ai un grand sac de couchage, tu sais…
— Incorrigible Marvin ! soupire Cynthia. Me semblait ben que tu réussirais à ramener ça à une histoire de couchette…

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