La guerre des dicos

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Chaque année, le solstice d'été marque l'arrivée sur le marché des dernières cuvées des dictionnaires en vogue. Alors que les ouvrages bilingues et les œuvres spécialisées en plusieurs volumes se font relativement discrets, la publicité des «petits» dicos est tapageuse à souhait. C'est là que se joue la bataille. Forts de leurs récentes rééditions, les deux principaux concurrents, en plus de tabler sur leurs ajouts annuels, présentent de nouveaux visages.

« Le Petit Robert de la langue française »

Digne successeur de son grand frère, Le Grand Robert (1964) en six volumes, Le Petit Robert, dès sa sortie en 1967, fait preuve d’un même souci historique. La date d’entrée des mots dans la langue est justifiée par la trace du premier texte qui les comporte, et son système de citations dénote une érudition vivante : Frédéric Dard côtoie Chateaubriand. Le Petit Robert de la langue française et Le Petit Robert des noms propres offrent un trésor lexical et encyclopédique sans égal pour moins de 130$. J’ouvre l’édition 2006 du premier, forte de «60 000 mots» et de «300 000 sens». La première entrée de son article «Dictionnaire» est une vertigineuse énumération des types d’ouvrages: «Recueil d’unités signifiantes de la langue (mots, termes, éléments…) rangées dans un ordre convenu, qui donne des définitions, des informations sur les signes». Ouverte mais efficace, seule la définition du Multidictionnaire rivalise avec elle sur la plan de la clarté.

« Le Petit Larousse illustré »

Parmi les 59 000 noms communs et les 28 000 noms propres de l’édition 2006 du Petit Larousse illustré, il faut compter une centaine de mots nouveaux, dont «blog» et «grunge». Depuis 1905, on aurait vendu 57 millions d’exemplaires de l’ouvrage sur le marché francophone, dont un million pour la seule édition 2005. Le Petit Larousse illustré demeure le compromis idéal: il est abordable, attrayant et offre en un tout noms communs et propres. Son entrée «Dictionnaire» est précise, quoique classique : «Recueil de mots rangés par ordre alphabétique et suivis de leur définition ou de leur traduction dans une autre langue». D’autre part, si les articles des deux ouvrages les plus populaires m’apprennent que le mot provient du latin dictio, le Robert en datait la plus vieille trace (1501), exhumant sa source du latin médiéval («dictionnarium»), puis, définissant dictio par l’ «action de dire», il renvoyait le lecteur à un texte inséré à l’article «Dire». Le Larousse, dont le laconisme témoigne peut-être d’une indéfectible confiance en ses pages roses, restreint la définition du vocable latin à «mot». Au chapitre des innovations, il est néanmoins maillot jaune car en plus d’une chronologie universelle, il présente deux cahiers thématiques: «Regards sur la francophonie» et «La Terre, une planète vivante».

« Dictionnaire Hachette »

Dérivé du Dictionnaire de notre temps (1988), le Dictionnaire Hachette 2006 compte 58 000 mots et 25 000 noms propres. C’est l’ouvrage le moins cher: 34,95$. Déviant de la voie tracée par le Larousse, il présente, pêle-mêle, noms propres et communs. Sa disposition graphique est un brin tape-à-l’œil: il n’est pas rare d’y trouver un amoncellement d’illustrations dans le coin d’une page, et leur présentation fait regretter la sobriété du Larousse. Le caractère me semble aussi trop gros, mais il plaira peut-être au lecteur plus âgé, tout comme à la rétine surexcitée de l’amateur de jeux vidéo. Son article «Dictionnaire» est bref, mais concis: «Ouvrage qui recense et décrit, dans un certain ordre, en général, alphabétique ou thématique, un ensemble particulier de mots». Avantage sur le Larousse: la définition ne se résume pas au classement alphabétique. Faiblesse : son imprécision. Si l’on passe bel et bien de «général» à «particulier», c’est uniquement dans la disposition de la phrase, et l’emploi d’ «ouvrage» au lieu de «recueil» ferme la porte aux dictionnaires en plusieurs volumes. Mention spéciale pour son atlas de 33 pages, et ses pages de liens vers des encyclopédies en ligne.

« Multidictionnaire de la langue française »

Faut-il s’étendre sur les mérites du Multidictionnaire de la langue française de Marie-Éva de Villers? Refondu en 2003, l’ouvrage est depuis maintenant dix-sept ans le complément idéal aux dictionnaires précédemment décrits, qu’ils soient d’obédience encyclopédique (Larousse) ou linguistique (Robert). Conçu pour qu’on trouve et non qu’on se perde, il sert les besoins immédiats du rédacteur: ses 126 tableaux en font tout à la fois un outil de référence grammatical, un code de conjugaison et un guide de rédaction. Sa définition de «Dictionnaire» est la plus efficace: «Recueil de mots d’une ou de plusieurs langues et des informations s’y rapportant, présentés selon un certain ordre (alphabétique, thématique, systématique, etc.)». En outre, elle tient compte du principe d’exclusion, et met en garde contre une confusion possible avec «glossaire» («petit répertoire érudit d’un auteur, d’un domaine»), «lexique» («ouvrage qui ne comporte pas de définition») et «vocabulaire» (« ouvrage qui comprend les mots d’une spécialité avec leurs définitions»).

Potache échoué, cruciverbiste bravant la tempête, chacun trouve sa bouée dans le dictionnaire… ou succombe aux délices de la dérive. Je mets le cap sur «ENCYCLOPÉDIE», du Petit Larousse. J’en retiens Diderot : voguant vers l’article dévolu à ce dernier, je ne parviens pas plus à Langres qu’à bon port. C’est que «CLÉOPÂTRE» a joué les sirènes, et le temps d’apprécier son nez, j’apprends que «CLIVE, Robert», gouverneur du Bengale en 1765, a bu la tasse en réponse à une accusation de concussion. Concus…? Il s’agit d’un «délit commis dans l’exercice d’une fonction publique […]», etc. Arrêtons-nous là: nous y avons gagné un sens de plus à notre compréhension de «Commission». Bonnes recherches!

Bibliographie :
Le Petit Robert de la langue française 2006, Josette Rey-Debove & Alain Rey, Le Robert, 2952 p., 57,95 $
Le Petit Larousse illustré 2006, Philippe Merlet (dir.), Larousse, 1927 p., 54,95 $
Dictionnaire Hachette 2006, Ghislaine Stora (dir.), Hachette, 1858 p., 34,95 $
Multidictionnaire de la langue française, Marie-Éva de Villers, Québec Amérique, 1542 p., 54,95 $

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