Gainsbourg, etc.

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La sortie récente d'un film inspiré de sa vie et de son oeuvre a quelque peu remis Serge Gainsbourg au devant de la scène. Nouvelles publications et rééditions autour de ce grand créateur se sont ainsi bousculées dans les librairies, confirmant une fois de plus l'ampleur de son influence et de l'inépuisable fascination qu'il suscite toujours, presque vingt ans après sa mort.

«À chacun son Gainsbourg!», ai-je pensé à la sortie de l’avant-première du film Gainsbourg, vie héroïque. Pour parler franchement, ce dernier m’a plutôt laissé sur mon appétit. Pourtant, sur papier, tous les éléments semblaient en place, tels des astres s’alignant pour dessiner une trajectoire qui conduirait à un grand moment: Joann Sfar, l’une des figures importantes de la bande dessinée française contemporaine (pensons à la série «Le chat du rabbin»), s’adonnant pour la première fois au cinéma pour livrer une fable dont la trame raconte la vie d’un des créateurs les plus influents du XXe siècle, en l’occurrence Serge Gainsbourg (pour qui j’ai depuis longtemps une évidente admiration!).

De plus, bien avant de voir le film, j’avais eu la chance de me délecter du superbe album de Joann Sfar, Gainsbourg (hors-champ), le volumineux et foisonnant sketch book du film. Très prometteuse, cette suite de croquis, de projets esquissés, de scènes balbutiantes et de réflexions! Une vraie merveille pour l’aficionado que je suis, cette somme d’extras d’un film que je n’avais pas encore vu. La respectueuse audace de Sfar à l’égard de son sujet, chapeautant la plupart des idées qui se trouvent dans ce gros album, m’emballait au plus haut point.

Pourtant, sur pellicule, il me semblait que quelque chose n’allait pas, un sentiment d’inabouti face à ce résultat un peu trop caricatural et traversant à trop vive allure une succession précipitée de scènes selon moi beaucoup trop simplistes pour un personnage aussi complexe. Bref, comme c’est le cas pour certains romans adaptés au cinéma, il me faut affirmer, dans le cas qui nous intéresse, la supériorité du livre sur le film. Consolons-nous en nous rappelant la qualité des dessins de Sfar avec ses traits si reconnaissables, qui sont aussi mis en valeur dans un produit dérivé du Gainsbourg (hors-champ), un recueil d’images détachables ponctuées de citations de Gainsbourg et simplement intitulé Gainsbourg (images). Pour finir, et à la défense de Sfar, rappelons qu’il n’a jamais nié avoir conçu un film dans lequel il magnifiait à sa manière la vie de Gainsbourg, une espèce de fable où certains moments de la vie ou de la carrière de ce dernier sont vus à travers la lorgnette du fantasme.

J’avoue, j’en ai bavé
Si un portrait plus en chair, plus complexe de Gainsbourg vous intéresse, je vous dirige tout de suite vers Gainsbourg en dix leçons de Bertrand Dicale. Cette biographie peu conventionnelle ouvre des pistes éclairantes sur la vie et l’oeuvre de ce grand fumeur de Gitanes. Partant de l’observation qu’à notre époque nous admirons un Serge Gainsbourg tout en bloc, tout entier et duquel on pourrait rassembler en un seul coffret une carrière qui va de 1958 à 1991, Dicale s’applique à décortiquer une trajectoire personnelle et professionnelle beaucoup moins lisse qu’elle n’y paraît. Découpée en dix chapitres, chacun désigné par un verbe («Être, différent», «Échouer», etc.), cette biographie remonte le parcours parfois difficile de ce fils d’immigrants juifs venus de Russie et qui a complètement innové dans l’art d’écrire et de composer des chansons. Depuis l’échec d’une carrière d’artiste peintre désirée par Lucien Ginzburg jusqu’au Serge Gainsbourg décati, complètement dévoré par Gainsbarre son double diabolique («Quand Gainsbarre se bourre, Gainsbourg se barre»), on croise, outre les amours perdues et les scandales, les lectures formatrices et l’éducation musicale du plus grand dandy de la chanson pop française. De plus, Dicale prend la mesure de ce qui a fait le succès de Gainsbourg, son influence qui ne se dément pas et qui dépasse le seul cadre de la francophonie, en mettant le doigt sur les lignes de force qui ont traversé sa carrière, le faisant se renouveler avec une exceptionnelle constance au fil du temps et des tendances.

Autre biographie intéressante par sa forme, Serge Gainsbourg, une histoire vraie de Damien Panerai raconte la vie de Gainsbourg d’une manière qui pourrait s’apparenter à une espèce de «biographie textuelle». Rythmée de citations tirées de ses chansons, cette histoire du beau Serge nous introduit dans l’intimité créatrice et personnelle de ce dernier, et un peu comme je disais plus haut, dans une intimité textuelle.

Cette vie que fut celle de Gainsbourg a aussi été marquée par un grand amour et une muse: Jane Birkin. Dans une toute nouvelle biographie, Pierre Mikaïloff nous raconte Jane B., avec laquelle Serge Gainsbourg enregistra, en 1969, la version officielle de la scandaleuse chanson «Je t’aime… moi non plus». L’actrice anglaise, ex-épouse du compositeur John Barry et marquée dans son pays d’origine par le fer chaud d’un scandale de poils pubiens (voir le film de Michelangelo Antonioni Blow Up), rencontre sur le plateau d’un film français (Slogan) celui qui deviendra son Pygmalion, son partenaire à l’écran, Serge Gainsbourg, encore ébranlé par son aventure sulfureuse et douloureuse avec Brigitte Bardot. Dans Jane Birkin «Citizen Jane», Mikaïloff nous présente une femme indépendante, bien de son temps, qui aurait pu facilement passer pour la baudruche sexy façonnée par son pervers de mari, de vingt ans son aîné. On y découvre au contraire une artiste entière et sensible pour laquelle Serge Gainsbourg a créé, peut-être, ses plus belles chansons.

Un art mineur destiné aux mineures Et, pour finir, un morceau de choix, une très belle pièce revue et augmentée: L’intégrale et cætera. Les paroles 1950-1991. Gainsbourg prétendait souvent, et avec une certaine désinvolture, que la chanson n’était qu’un art mineur destiné aux mineures. Pourtant, à parcourir cette intégrale, on constate à quel point ce dernier était dans une classe à part. Résolument moderne, son oeuvre s’est élaborée au fil des ruptures et des tendances, au gré des divers interprètes et des époques, pour constituer un total de plus de 500 chansons. L’introduction de cette intégrale, très rigoureuse et pertinente, met en lumière tous les éléments caractéristiques du style «gainsbourgeois», une écriture où s’entremêlent, à travers

Bibliographie :
Gainsbourg (Hors Champ), Joann Sfar, Dargaud, 454 p. | 69,95$
Gainsbourg(images), Joann Sfar, Dargaud, 46 p. | 69,95$
Serge gainsbourg, une histoire vraie, Damien Panerai, City Éditions, 256 p. | 29,95$
Jane Birkin «Citizen Jane», Pierre Mikaïloff, Alphée, 256 p. | 24,95$
Gainsbourg en dix leçons, Bertrand Dicale, Pocket, 246 p. | 11,95$
L’intégrale et cætera. Les paroles 1950-1991, Serge Gainsbourg, Bartillat, 974 p. | 37,95$

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