Cuisines du froid

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Dans notre librairie, les Scandinaves prennent de plus en plus de place dans nos rayons. Nous les avons aperçus en premier dans le polar : Arnaldur Indriðason, Stieg Larsson, Henning Mankell. Puis dans le rayon littérature : Auður Ava Ólafsdóttir, Jón Kalman Stefánsson, Karl Ove Knausgaard, pour ne nommer qu’eux (et qui sont mes préférés).

La culture scandinave a la cote autour du monde : en littérature, déco, tricot et dans notre rayon cuisine aussi. J’ai souvent l’impression d’un écho familier dans la découverte de cette culture. Par la littérature premièrement, et ensuite avec de petits détails dans leurs façons de faire et de cuisiner.

En 2010, le restaurant Noma à Copenhague détrône elBulli comme meilleur restaurant du monde, conserve le titre en 2011 et 2012, le perd en 2013 et le retrouve en 2014. Les yeux du monde se tournent subitement vers cette contrée perçue comme un désert culinaire pouvant offrir seulement du gravlax ou de pâles copies de la cuisine française. Le chef René Redzepi a comme philosophie de s’approvisionner localement et son menu suit impérativement le rythme des saisons.

Souvenons-nous que le Danemark est visité par quatre saisons. Bien que son hiver soit légèrement plus chaud qu’ici, la saison des cultures s’achève quand même à la fin août. Voilà donc le défi avec lequel le chef du Noma réinvente totalement la gastronomie danoise. Le rôle du Noma a été aussi très important dans le développement de l’économie du Danemark. En utilisant seulement des produits du coin, le restaurant a donné un bon coup de main à des producteurs locaux. En six ans, le tourisme culinaire a explosé dans ce coin du monde, créant un engouement pour de nouveaux restaurants et cafés-boulangeries, et faisant la place à des chefs motivés et passionnés. Puisque plus d’un million de personnes par année postulent pour accéder à l’un des 20 000 sièges disponibles au Noma (et que cela attise sûrement votre curiosité), je vais faire mon travail de libraire en vous conseillant le magnifique livre Noma : Le temps et l’espace dans la cuisine nordique chez Phaïdon.

Un livre qui ne vous suivra peut-être pas jusque dans la cuisine, mais qui traînera dans votre salon longtemps. La première partie du livre nous présente l’histoire derrière le restaurant et la philosophie de son chef, pour ensuite laisser la place à de magnifiques photos d’ambiance et des plats par la photographe Ditte Isager. Pour les plus aventureux, toutes les recettes se trouvent à la fin. On ne parle pas ici de cuisine moléculaire, donc celles-ci sont réalisables à la maison mais peuvent représenter quelques défis techniques.

À la suite de la parution du livre Noma, nous, libraires gourmands, avons observé avec intérêt le rayon cuisine du monde/Scandinavie grossir lentement. Cet été est paru un titre très joli venant aussi d’une contrée du froid, l’Islande. Dans Raw Food : Recettes végétariennes pour une nouvelle cuisine nature (Solla Eiríksdóttir, Phaïdon), l’approche de la cuisine y est différente de Noma. Le végétarisme, le cru et l’utilisation de produits étrangers diffèrent, mais le point commun principal est l’importance accordée aux saisons dans le menu.

En plus des recettes, on y trouve des photos de la nature islandaise et des activités pour chaque période de l’année. Solla Eiríksdóttir n’est pas très connue dans le monde, mais en Islande c’est une chef respectée qui possède quatre restaurants et passe régulièrement à la télévision. Si son approche crue et végétarienne peut sembler stricte ou puriste pour les non-initiés, lire son livre et explorer ses recettes nous fait comprendre qu’elle souhaite plus nous communiquer son amour des saveurs et des aliments frais que de nous inculquer de force une façon de vivre.

Après son introduction en Scandinavie, la maison d’édition souhaitait faire paraître une bible de la cuisine des pays nordiques. L’éditrice demanda à Magnus Nilsson, chef acclamé du Fäviken, de produire l’ouvrage. Celui-ci répondit : « Outre qu’elle est quasi impossible, la rédaction d’un livre comme celui-ci confine à l’absurde. […] Écrire un livre sur la cuisine nordique est aussi stupide qu’écrire un livre sur la cuisine européenne en mettant dans le même sac l’Estonie, la France et le Portugal; au final, on n’entre jamais dans le vif du sujet. » Après avoir réfléchi longuement sur la structure que pourrait avoir ce livre et en sachant que peu importe sa réponse, l’éditrice allait réaliser le projet, il accepta le défi. Il constata dans ses recherches qu’aucun livre sur la cuisine scandinave produit dans une langue étrangère ne valait grand-chose, ce qui lui apporta une motivation supplémentaire pour nous présenter ce que chaque pays scandinave possède comme particularité culinaire, mais aussi ce qui les unit.

S’ensuit un livre magnifique de 768 pages, pesant presque le poids d’un dictionnaire, mais se lisant étonnamment comme un récit, un mélange d’archives, d’histoires, de livre de cuisine et d’encyclopédie. C’est à la lecture du livre que l’écho familier a pris un peu plus de sens pour moi. Car si dans le livre du Noma, je trouvais des ingrédients rustiques communs à notre cuisine, cela restait de la haute gastronomie. Dans le livre de Nilsson, c’est la cuisine de tous les jours qui est à l’honneur, une cuisine qui suit les saisons, oui, mais aussi une cuisine frugale, simple, de la chasse, de la pêche, et avec beaucoup de techniques de conservation d’aliments en raison des longs hivers. On y raconte les différences entre les soupes aux pois de la Suède, de la Norvège, de la Finlande, du Danemark et de l’Islande; l’importance du salage du poisson et des viandes puis comment les apprêter; le ragoût de viande et de boulettes; l’importance de la patate; les petits fruits et comment les conserver.

Ce livre vous suivra certainement dans votre cuisine, trônera aussi dans votre salon et pourra même vous accompagner au lit. Les recettes sont intéressantes à expérimenter et beaucoup de variantes nous sont proposées selon les divers pays d’où provient la recette. Beaucoup de recettes sont accompagnées d’histoires et celles-ci sont plaisantes à lire. Je retiens particulièrement celles de poissons fermentés puants devant se manger à l’extérieur, de cueillettes d’œufs sauvages et de différences entre les pâtés à la viande : « Une recette qui est partout identique peut porter des noms différents selon les régions, tandis que d’autres qui ne sont pas du tout semblables peuvent s’appeler de la même manière… »Ça vous dit quelque chose?

J’avais l’impression, à la lecture, d’avoir trouvé un peu une source cachée de notre culture culinaire, qui naquit avec l’influence de la France et de l’Angleterre, mais qui partage beaucoup plus en nécessité avec les cuisines nordiques. Voici donc trois choix de livres à offrir pour ceux qui cherchent l’expérience scandinave autrement que par la littérature, ouvrant une autre porte pour mieux comprendre ce peuple qui, malgré les différences de langues et de cultures, nous ressemble un peu.

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