Færie : Le pays d’où l’on ne revient pas

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Ils nous voient mais nous ne les voyons pas. Le Petit Peuple, une des nombreuses appellations qui sert à désigner bien maladroitement une faune bigarrée de séduisantes fées, d'elfes éthérés, de gnomes trapus et de lutins souvent facétieux, fascine le genre humain depuis la nuit des temps. Bien que, incrédulité contemporaine oblige, les échanges entre l'univers de Færie et notre monde soient en déclin, les écrivains ne cessent de puiser aux sources des nombreuses légendes du folklore féérique. L'exemple le plus probant demeure sans conteste l'indémodable Seigneur des Anneaux, de J.R.R. Tolkien, récemment sacré « livre du siècle » par les lecteurs d'une librairie anglaise. Encore aujourd'hui, les Pierre Dubois, Edouard Brasey et autres écrivains égarés quelque part entre la forêt de Lothlorien et les boisés qui voisinent nos cités entretiennent la tradition.

Profession : elficologue

Il était une fois, – le lecteur excusera cette entrée peut-être trop à propos, mais étant donné le sujet dont il est question, pourquoi ne pas l’utiliser ? – il était une fois, donc, un elficologue nommé Pierre Dubois qui disait parler lutin couramment et qui partageait son obscure science à travers une série d’ouvrages sur le Petit Peuple et, plus récemment, grâce à sa « Bibliothèque elfique », chez Hoëbeke. Après Les contes de Féerie, qui a enchanté plus d’un mordu de légendes et autres étrangetés, voilà qu’il signe les Contes de crimes, une relecture à saveur policière des classiques des frères Grimm et de Charles Perrault. Ce recueil constitue un début fort prometteur pour cette nouvelle collection, qui propose à la fois des œuvres contemporaines (Thomas le rimeur, de Ellen Kushner), et des classiques dépoussiérés (La rose et l’anneau, de W. M. Thackerey). La recréation de la légende de Thomas le rimeur, emprisonné par la Reine des elfes pour avoir accepté un (chaste) baiser de celle-ci, a mérité le Mythopoetic Award, tandis que La rose et la bague, un conte de Noël de l’auteur de La foire aux vanités et de Barry Lindon, est un petit bijou d’humour burlesque qui refuse de vieillir, cent cinquante ans après sa création.

Mais pour en revenir aux Contes de crimes, le style on ne peut plus excessif de Dubois, truffé de jeux de mots et d’allusions coquines, sied à merveille à ses noires relectures des contes qui ont berçé notre enfance. Ainsi, la naïve petite Chaperon Rouge se transforme en Lolita rubiconde embarquée en stop par un grand méchant loup qui en veut (encore et toujours) à son petit pot de beurre (cette fois-ci, d’une autre nature). À l’image de Puck, le héros du Songe d’une suit d’été, Dubois ne manque certainement pas de verve ni d’audace, et c’est ce qui, en définitive, rend son œuvre si agréable à lire.

Edouard Brasey : la mémoire vivante

Moins fantasque mais non moins passionnant, l’écrivain et conteur Edouard Brasey se passionne depuis de nombreuses années pour les démons, les ondines et les sorcières, pour ne nommer qu’un petit ensemble de cette faune merveilleuse qui forme le sujet de sa série intitulée « L’Univers Féérique ». Fruits d’un impressionnant travail de recherche et publiés chez Pygmalion, les cinq ouvrages se distinguent par leur rigueur et une organisation thématique fort novatrice. C’est un ravissement égal à celui que la plupart d’entre nous éprouvions à la découverte des contes de notre enfance que l’on ressent face à ces êtres mythiques : leurs origines mystérieuses dévoilées, les multiples avatars qui composent l’existence des géants, des gnomes, des sirènes ou des elfes. Une fascinante immersion dans le monde de Færie rendue possible grâce à un survol exhaustif du folklore mondial, de la froide Laponie en passant par la Grèce, berceau de nombreux mythes et légendes envers lesquels bon nombre d’écrivains de fantastique, de fantasy et de science-fiction sont redevables.

En anthologiste éclairé, Brasey dresse une portait complet des différentes manifestations de ces êtres qui peuplent les légendes d’ici et d’ailleurs. « L’Univers Féérique » s’avère une collection riche en anecdotes de tous genres et ne va pas sans rappeler une autre série consacrée aux manifestations du merveilleux, parue dans les années 80 aux éditions Time-Life, et aujourd’hui malheureusement épuisée. Quant aux amateurs de fantasy et de légendes qui ont apprécié les écrits d’Anatole Le Braz (à qui l’on doit Magie de la Bretagne, une anthologie de légendes bretonnes publiée chez Robert Laffont), ils seront, sans aucun doute, enchantés par les volumes d’Edouard Brasey.

Portraits de e part

Les créatures merveilleuses présentées par Brasey ont fasciné de nombreux illustrateurs et ce, dès le milieu du XVIIe siècle, principalement en Angleterre. Ces œuvres, dont certaines peuvent être qualifiées de chefs-d’œuvre, ponctuent le très beau Livre des fées, de Béatrice Phillpotts. Ce magnifique album se concentre uniquement sur le peuple ailé aux pouvoirs tantôt bénéfiques, tantôt maléfiques. De nombreux hères ont payé cher leur égarement à Færie, pays d’où l’on ne revient pas, à moins d’y avoir été invité. Si le livre de Phillpotts ne rivalise certes pas avec les écrits érudits de Brasey, il constitue néanmoins une option guillerette aux amateurs moins férus. Toutefois, le principal intérêt du Livre des Fées demeure la richesse des illustrations, dont certaines ont déjà fait l’objet de couvertures pour quelques grands classiques du fantasy. Une très belle découverte.

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Les contes de Féerie, Pierre Dubois, Hoëbeke
Les contes de crimes, Pierre Dubois, Hoëbeke
Thomas le rimeur, Ellen Kushner, Hoëbeke
La rose et la bague, W. M. Thackeray, Hoëbeke
« L’Univers Féérique », d’Edouard Brasey, en 5 tomes chez Pygmalion :
Fées et elfes, Nains et gnomes, Sirènes et ondines, Géants et dragons, Sorcières et démons
Magie de la Bretagne (2 tomes), Anatole Le Braz, Robert Laffont/Bouquins
Le livre des fées, Béatrice Phillpotts, Hors Collection

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