Le Prix des Horizons imaginaires, dont le jury regroupe des étudiants de sept établissements du réseau collégial québécois et universitaire canadien, a couronné en novembre dernier Ayavi Lake pour son roman Le marabout (voir entrevue). En marge de ce prix qui honore une œuvre issue des littératures de l’imaginaire existe le concours de critique littéraire du Prix des Horizons imaginaires, qui, en plus de mettre en lumière une œuvre incontournable, pousse des jeunes à se pencher sur la critique littéraire et leur permet de s’exercer à mettre en mots leur appréciation — ou non — d’une œuvre. Cette année, Aurélie Beaulieu-Bouchard remporte les honneurs avec une critique fort positive, que nous vous présentons ci-dessous, portant sur le roman Oshima, de Serge Lamothe, paru chez Alto.

OSHIMA
UNE ÎLE DE SECRETS À LA FOIS TÉMÉRAIRES ET ESSENTIELS
PAR AURÉLIE BEAULIEU-BOUCHARD / du Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption

« Mais à quoi se fier quand la plus innocente des vérités fait davantage de dégâts que tous nos mensonges réunis? »

Ce sont toutes ces vérités révélées dans Oshima qui m’ont fait plonger dans l’univers renversant de l’auteur Serge Lamothe. Des vérités qui se tiennent juste devant notre visage, comme des images trop proches qui demeurent floues. Ce chef-d’œuvre proposé par Horizons imaginaires m’a donné le recul nécessaire pour discerner plus clairement le destin de l’humanité, aussi bien dans son emballage que dans le for intérieur des personnages. Il m’a entraînée dans le voyage le plus intégral qu’il m’a été donné de vivre en abordant le présent et le futur; les hommes et les femmes; les vieux et les jeunes; les sciences et l’humain; et tout ça en passant par tous les points cardinaux.

Tout au long du livre, la voix d’Aku, perceptible à travers ses cahiers, ne m’a pas seulement décrit un témoignage, elle m’a fait vivre une aventure significative hors du commun, à la fois terrifiante et magnifique. Terrifiante en raison du monde apocalyptique, misérable, sinistre et affligeant dans lequel sont contraints de vivre ces gens tentant de garder un semblant d’équilibre dans ce monde précaire. Mais aussi magnifique, parce que toute cette misère oblige Aku et les siens à se satisfaire de tous les instants fugaces de la vie qui, pour nous, semblent acquis. Oshima m’a prouvé qu’il y avait du bon en toute chaleur humaine, que le bonheur est loin de se réduire aux biens matériels ou à nos appareils technologiques. Il m’a appris qu’il faut faire preuve de courage pour voir au-delà de cette tragédie, pour assumer le monde tel qu’il est, avec toute sa laideur, afin d’aller chercher la beauté auprès des siens.

Entraînée par les mots de Serge Lamothe, j’ai parcouru le globe d’une manière totalement improbable. Malgré mon enveloppe corporelle confortablement installée chez moi, mon esprit sillonnait des contrées à la fois lointaines et imminentes. Les premières pages ont fait tomber mon masque rose avec brutalité, mais d’une manière si remarquable et authentique que je n’ai jamais voulu le remettre, et ce, malgré la tentation. Mon cheminement a ensuite pu commencer. Partant d’une ville mourante, j’ai bravé une tempête de gaz en plein milieu du désert et j’ai survécu sur une île déserte entourée de ressacs empoisonnés. J’ai dû affronter la solitude, l’angoisse et la misère pour ensuite découvrir la chaleur, le calme et le réconfort. J’ai effectué des traversées en Hyperloop, en bateau, en camion, à pied, peu importe, j’avançais toujours à travers des sociétés aux besoins à la fois divergents et convergents. Je n’étais pas une touriste, mais un membre à part entière empreint par le déchirement de chaque communauté. Je ne voulais pas revenir chez moi pour rejoindre mon corps, il m’était tout bonnement impossible de quitter Oshima!

Cette odyssée m’a permis de rencontrer des personnages tout à fait hors du commun, d’une vraisemblance et d’une diversité inouïes. J’ai fait connaissance avec de sages aînés ayant tout vu, des adultes pour qui le changement devient difficile, des jeunes gens désespérés à la recherche de solutions, des femmes chevronnées, des gens se battant pour leurs convictions et des enfants en quête de merveilles. De Kiyo à Basu en passant par Amandine, Aku, Kohana, Leila et bien d’autres, j’ai traversé près d’un siècle de vécu. La mémoire des personnages m’a transportée au moment de l’explosion de la bombe à Hiroshima en 1945 et m’a fait vivre les derniers instants du genre humain, en 2043. La sagesse des anciens m’a fait sourire et l’insouciante innocence des enfants m’a comblée. Malgré le décor d’un monde noir à l’agonie, ce côté humain m’a donné de l’espoir, l’espoir que toute cette histoire n’était pas définie pour nous. À l’instar de la dernière scène d’Oshima, c’était comme voir les pourtours d’une fleur dans une plaie en nécrose.

Cette vertigineuse lecture m’a permis de répondre à la question énoncée au début de cette critique : il faut se fier à la vérité, malgré toute la torture qu’elle fait naître en nous quand elle nous transperce de sa pointe froide, car elle nous donne l’occasion de chercher des solutions qui empêcheraient cette souffrance de dévorer l’avenir de nos enfants comme une inexorable gangrène. Oshima m’a rendue plus consciente du monde dans lequel j’évolue depuis ma naissance et m’incite à poser des gestes, maintenant, afin qu’Aku et tous les autres puissent profiter d’un monde enclin au développement de la vie. Ce qui est fantastique, c’est que le dénouement d’Oshima peut être altéré de mille et une façons. La virtuosité avec laquelle Serge Lamothe manie les mots m’a fait vivre toute une gamme d’émotions rendant cette lecture absolument séduisante. Elle est pour moi un incontournable pour tout humain au cœur pur et aux intentions honorables.

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En plus de la publication de son article, Aurélie Beaulieu-Bouchard remporte une licence du logiciel Antidote 10, offerte par Druide informatique. Elle rejoint aussi le prochain comité de sélection, qui évaluera la production de 2021 dans les genres de l’imaginaire francophones du Canada. Sabrina Bernier (Cégep de Saint-Hyacinthe) a remporté la 2e place du concours, avec une critique portant aussi sur Oshima de Serge Lamothe, alors qu’Olga Ziminova (Université de Victoria, Colombie-Britannique) arrive quant à elle en 3e position grâce à son texte sur Précis de survie hors de l’eau de Dominique Nantel (Tête première). Notez que le jury de cette année était composé de Naïla Aberkan (Fondation Lire pour réussir), d’Ariane Gélinas (auteure et chroniqueuse littéraire, notamment pour Les libraires) et de Mathieu Lauzon-Dicso, coordonnateur du Prix des Horizons imaginaires.

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