Chaque lettre ou symbole de l’acronyme LGBTQ+ désigne une orientation sexuelle ou une identité de genre. Il traduit une volonté commune de reconnaître, mais aussi de célébrer la diversité des identités, des désirs, des sensibilités, des corps. Plus encore, il met des mots sur des réalités identitaires parfois difficiles à exprimer; valide ce qui semble brisé; présente comme familier ce qui paraît, au premier abord, étrange; rend visible l’invisible. L’ajout graduel de lettres et le symbole d’addition font foi d’une volonté d’être aussi inclusif que possible, de ne laisser personne pour compte. Mais un simple acronyme se bute à ses limites. Comment peut-on faire état de l’éventail des possibles en matière d’identités sexuelles et de genres? Comment peut-on décrire la fluidité et la pluralité à l’aide d’un terme figé? Si les limites de l’acronyme sont avérées, ses forces demeurent criantes. Il unit des communautés partageant un point commun: celui de ne pas correspondre à la majorité hétérosexuelle cisgenre. La diversité devient alors prétexte pour s’allier. Et de ces marges jaillissent des voix qu’il nous presse d’entendre. Découvrez dans les pages qui suivent une trentaine de livres qui mettent de l’avant, par le biais de la fiction ou de l’essai, des réalités de la communauté LGBTQ+.

LESBIENNE
J’aime les filles / Obom (L’Oie de Cravan)
Diane Obomsawin est une cinéaste d’animation et une bédéiste d’origine abénaquise. « Obom », son nom de plume, orne la couverture de la bande dessinée J’aime les filles, publiée en 2014 chez l’éditeur L’Oie de Cravan. Dans cet album au titre évocateur s’unissent les voix de dix amies qui, comme Obom, aiment les filles. Ces voix retracent avec une simplicité désarmante leur découverte du désir homosexuel. Elles nomment la peur du rejet, évoquent l’intensité des premières amours, se moquent de leur propre étourderie. Elles racontent la fragilité du premier baiser, la chaleur que fait naître l’autre à l’intérieur de soi, l’instant où les sentiments assiègent le cœur pour le faire battre à la chamade et où le désir envoûte le corps. Surtout, elles racontent leur histoire ensemble, et c’est ce qui donne à leur récit intime une portée plus vaste, une force colossale. Lors d’une huitième collaboration avec l’ONF, Obom a transposé J’aime les filles en un court métrage aux images colorées et à l’animation séduisante. Une chose est certaine, sur papier comme à l’écran, son esthétique minimaliste, son ton candide et ses personnages anthropomorphes parviennent à anéantir toute forme de discrimination. Ils ramènent son œuvre à l’essentiel et nous laissent entre les mains des récits légers mais chargés de bienveillance, de sincérité et de ce que l’humanité possède peut-être de plus précieux : l’amour.

À lire aussi

La fille venue de la mer / Molly Knox Ostertag (trad. Isabelle Allard) (Scholastic)
Ce roman graphique pour adolescents met en scène Morgan, 15 ans, sur son île natale en Nouvelle-Écosse. Elle a hâte de quitter ce milieu insulaire étouffant, cette mère triste et divorcée, ce frère renfrogné. Mais voilà qu’elle rencontre Keltie, qui n’est pas seulement spéciale à ses yeux parce qu’elle est une selkie. En voulant cacher à ses amies son amour pour cette nouvelle venue, elle se placera dans une position inconfortable. Une belle histoire d’un amour estival et d’affirmation de soi malgré la pression sociale.

 

Peggy dans les phares / Marie-Ève Lacasse (J’ai lu)
Peggy Roche était mannequin, styliste, journaliste, intransigeante. Mais elle était aussi l’amoureuse secrète de la non moins flamboyante et indocile Françoise Sagan pendant plus de vingt ans. C’est ce qui est dévoilé dans cette biographie littéraire et pleine de poésie signée Marie-Ève Lacasse (qu’on doit aussi lire pour son Autobiographie de l’étranger) qui reconstruit, en fiction, cette relation profonde, foudroyante et discrète entre ces deux femmes qui ont fait couler tant d’encre.

 

 

Aussi sur le sujet
Cayenne, Catherine Joannette (Du Wampum)

 

GAI
Les racines secondaires / Vincent Fortier (Del Busso Éditeur)
Après la mort de son père, Philippe entreprend d’aller à la rencontre de son oncle Maurice, dont sa famille semblait taire l’existence, ce qu’il vient de découvrir alors que son père, perdant la mémoire, a prononcé son nom, le prenant pour lui. Philippe partira sur les traces de cet oncle décédé, homosexuel comme lui, qui, après s’être réfugié à Montréal en quittant sa région natale, avait aussi élu domicile en Alaska. Pendant son périple, grâce aux écrits de Maurice, Philippe plonge dans la réalité des années 1970, alors qu’à Montréal, les gais se rassemblaient dans les bars, tentant d’être eux-mêmes, malgré les descentes répétées de la police. Ce roman sur la mémoire, la transmission et la famille — autant celle biologique que celle choisie — dépeint un pan de l’histoire de la communauté gaie, des épreuves qu’elle a traversées et des luttes qu’elle a menées pour revendiquer l’égalité. Le parallèle entre la vie à l’époque et celle d’aujourd’hui — entre les mots de Maurice et ceux de Philippe qui s’adresse à son père — se font écho, dialoguant ainsi malgré les époques qui les séparent.

À lire aussi
Queues / Nicholas Giguère (Hamac)
Voici ici un ouvrage percutant autant en raison de son sujet que de sa forme et écrit dans un style sans pareil aux accents poétiques, aux images fortes et imposantes comme un bulldozer émotif. Ce texte est un véritable coup de poing, une œuvre crue et réaliste à propos d’un homoérotisme qui ne repose pas sur le côté fleur bleue de l’amour. Totalement assumé, le contenu de ce livre est provocant, certes, mais il l’est surtout parce qu’il se veut une réaction effective à ce conformisme de façade qu’on pose trop souvent sur l’homosexualité pour la rendre acceptable. (Harold Gilbert, Librairie Sélect)

 

Le fermier amoureux / Pim Lammers et Milja Praagman (trad. Marieke Rozendaal) (La courte échelle)
Un fermier tente de tondre sa vache et vérifie si les cochons ont pondu un œuf. Mais que se passe-t-il? Il a la tête ailleurs… et les animaux l’ont bien compris! Afin de l’aider à revoir le vétérinaire dont il est amoureux, le bétail se fera peindre en vert pour feindre une maladie et les moutons aboieront! Un album jeunesse qui normalise l’amour entre deux hommes et qui entraîne les lecteurs dans le milieu de l’agriculture avec beaucoup de rires. Dès 3 ans


Aussi sur le sujet

Moi aussi j’aime les hommes, Simon Boulerice et Alain Labonté (Stanké)

 

BISEXUEL.LE
Aphélie / Mikella Nicol (Le Cheval d’août)
Une jeune femme occupe les heures comme réceptionniste de nuit dans un centre d’appel et ressent un certain ennui à partager la vie rangée d’un garçon bien. Un vendredi comme les autres, elle termine sa semaine de travail en se rendant au bar avec Louis, un ami. Elle boit, laisse le barman lui faire de l’œil, discute sans but jusqu’au moment où Mia entre dans son champ de vision. Survenue telle une révélation, cette fille bouleverse la narratrice au point que les moindres gestes de l’impromptue se répercutent en elle. « Tous ses mouvements trouvaient écho dans mon ventre. » Cette fièvre finit rapidement d’envahir tout le livre, mû par un désir ardent et un appétit pour le feu. Le personnage, traversé de mille et une fulgurances, oscille alors entre ses amours présents et perdus, assujetti à la virulence de ses émois. Dans la chaleur d’un été particulièrement chaud, la brûlure des passions consume parfois les cœurs.

À lire aussi
Dolce vita / Juan Joseph Ollu (Annika Parance Éditeur)
Alors que Maximilien a toujours folâtré avec les filles, voilà qu’à Paris, l’année du bac, il rencontre Adrien, jeune professeur qui le trouble complètement et avec qui il aura ses premiers désirs, émois et expériences homosexuels. Ce roman laisse une grande place aux réflexions sur la fluidité de l’orientation sexuelle, mais aussi sur l’amour.

 

 

 

Bivouac / Gabrielle Filteau-Chiba (XYZ)
Après Encabanée et Sauvagines, Gabrielle Filteau-Chiba prend la plume et pousse ses personnages à passer à l’action afin de changer la donne devant cet environnement qui périclite. Aimer la nature, mais aussi aimer les êtres qui l’habitent, que ce soit un amoureux, ou une amoureuse: que ce soit avec Robin ou avec Raphaëlle, Anouk se prête à la défense du territoire tout en libérant sa géographie intime et se laissant porter là où son cœur valse. Ici, une amoureuse, là, un amoureux. Mais qu’importe lorsqu’il est question d’amour.

 

 

TRANS
Assignée garçon / Sophie Labelle (Dent-de-lion)
Outre Gabrielle Boulianne-Tremblay (La fille d’elle-même, Marchand de feuilles), on peut se perdre dans les dédales de la littérature francophone avant d’y trouver des représentations positives des personnes trans. Et quand on les retrouve bel et bien, elles sont mises en scène comme les victimes de meurtres sordides, comme des êtres tourmentés ou des personnages de soutien. Il est d’autant plus rare qu’elles inspirent un véritable sentiment de fierté et d’appartenance. Cette absence culturelle est le moteur de l’élan créatif de Sophie Labelle, bédéiste trans, enseignante de formation, conférencière et activiste. Sa plus récente œuvre, la bande dessinée Assignée garçon, est l’aboutissement de cette nécessité de faire naître des histoires ni pathologisantes ni oppressantes au sujet de la transitude. Tirée de son webcomic à succès et publiée récemment aux éditions Dent-de-lion, la bande dessinée Assignée garçon révèle le quotidien d’une jeune fille transgenre sans pourtant s’attarder à son processus de transition. Il est question d’amour, de querelles entre amis, de parentalité, de maladresses, de microagressions méritant d’être mises en lumière puis réduites en cendres. Labelle fait valoir le rire aux dépens des pleurs; le discours positif refusant d’écarter vers les marges; l’apprentissage avec tous les faux pas et les bévues qu’il implique. Enfin, elle énonce de façon ludique l’existence d’enfants transgenres, intersexes et non conformes dans le genre. Ce simple geste, ponctué d’illustrations et de phylactères, est un premier pas vers l’inclusion et la réappropriation de l’intégrité des personnes trans.

À lire aussi
Mordre jusqu’au sang dans le rouge à lèvres / José Claer (L’Interligne)
Le poète, figure incontournable de la scène littéraire de l’Outaouais, articule sa poésie sans tabou autour de la thématique du corps — ce corps désirant, ce corps trans, ce corps souffrant, ce corps nié, ce corps blessé, ce corps extatique, ce corps «sans domicile fixe». Dans une écriture qui ose la luxure, qui ne dédaigne pas les images crues et qui joue habilement avec les mots, l’auteur trans explore l’affirmation de soi, de ce « sexe anicroche », par la prise de parole littéraire.

 

J’ai peur des hommes / Vivek Shraya (trad. Arianne Des Rochers et Kama La Mackerel) (Remue-ménage)
Ce récit narré comme un manifeste raconte entre autres les violences, les humiliations, la masculinité toxique et la transphobie qu’a vécues l’artiste multidisciplinaire Vivek Shraya dès son plus jeune âge. Cette bouleversante prise de parole sur cette survie perpétuelle en tant que femme trans racisée a reçu de nombreux éloges et implore le lecteur de s’ouvrir : « Et si vous nous appréciiez plutôt comme figures incarnant tous les possibles? », y écrit-elle.

 


Aussi sur le sujet

Jeunes trans et non binaires : De l’accompagnement à l’affirmation, Annie Pullen Sansfaçon et Denise Medico (Remue-ménage)

 

ASEXUEL.LE
« Quand libérer la culotte c’est décider de ne pas l’enlever »
Fannie Dionne dans Libérer la culotte (Remue-ménage)
Fannie Dionne a plus d’une corde à son arc, qui s’apparente désormais à une harpe. Elle s’avoue historienne montréalaise, chercheuse, rédactrice de contenus, pédagogue, choco-caféinomane et maman. À l’automne 2021, elle prête sa voix au collectif féministe Libérer la culotte, paru aux éditions Remue-ménage. C’est parmi un équipage irrévérencieux constitué entre autres des plumes habiles de Fanny Britt, de Catherine Dorion et de Caroline Allard qu’elle fait son entrée dans le monde littéraire. Entre les pages du recueil, l’urgence de réinventer les rapports intimes anime les troupes, la sexualité sert de drapeau à l’égalité, et les féministes, écœurées, résolues, mobilisées, sont les messagères. Oui, nous nous trouvons à l’ère de l’accessibilité, de la consommation pornographique et de l’hypersexualisation. Mais tout n’a pas encore été dit. Le glas du droit à la jouissance complète, sous toutes ses formes, a sonné. Participant à cette révolution, Fannie Dionne signe un texte bref mais retentissant comme le tonnerre. Retentissant parce qu’il rend manifeste l’asexualité; parce qu’il fait lever la main à ceux qui ne ressentent pas le désir de faire l’amour. Retentissant parce que cet état était demeuré discret dans le monde, presque imperceptible dans la littérature québécoise et qu’il annonce sa présence, dorénavant sans ambages. Et une fois cet appel lancé au loin, on ne peut qu’y prêter l’oreille, raconter de plus belle et y trouver écho.

À lire aussi
Loveless / Alice Oseman (trad. Valérie Drouet) (Hachette)
Georgia entre à l’université, où elle pourra enfin vivre sa vie comme elle l’entend. Elle qui n’a jamais été amoureuse se dit que le campus sera le terrain de jeu parfait pour y faire ses premières armes. Cependant, au fur et à mesure de ses rencontres, elle se rend compte qu’elle est aromantique et asexuelle. Georgia est un personnage authentique, dans lequel les lecteurs et lectrices en recherche d’un modèle de représentation positif et attachant se retrouveront, car ici, l’asexualité et l’aromantisme sont traités afin d’en déconstruire les préjugés.

 


Aussi sur le sujet

Asexualité : Comprendre l’orientation invisible, Julie Sondra Decker (Améthyste)

 

QUEER
Au 5e / M. P. Boisvert (La Mèche)
On retrouve sur l’ardoise de l’écrivaine M. P. Boisvert de multiples empreintes de son activité politique en faveur de la diversité sexuelle. Elle était auparavant directrice générale du Conseil québécois LGBT. Elle se trouve derrière la fondation du festival Fière la fête, qui fait s’élever, en Estrie, les voix de la diversité parfois plus étouffées ou moins entendues. Puis, elle rédige un premier roman résolument queer dont les éditions La Mèche feront miel en 2017. Au 5e, un roman choral adoptant la grammaire inclusive, met en scène un quatuor gender-fluid cohabitant au même étage d’un immeuble de Sherbrooke. Leurs liaisons, à la fois amicales, sexuelles et amoureuses, naissent, se déploient, se rétractent et s’entremêlent en une danse intriquée mais qui se veut foncièrement libre. Sans mettre de côté les difficultés que suppose un mode de vie en marge de l’hétéronormativité, M. P. Boisvert répand une douce lumière sur le polyamour, sur des personnages féminins à la sexualité frénétique et sans complexe, sur des humains qui envisagent le genre comme un état plus fluide que fixe, sur des histoires d’amour vécues sans jugement. Elle nous accorde la permission de mettre de côté les a priori en matière de relations amoureuses. Elle nous rappelle que toutes les âmes méritent d’être éprises et tous les corps, d’être embrassés. Et il semble que cette table rase laisse place à toute l’authenticité et toute la douceur nécessaires pour mieux vivre ensemble.

À lire aussi
Amour(s) / Tess Alexandre et Camille Deschiens (Des Éléphants)
Treize histoires comme autant de visions possibles du sentiment amoureux. Les jeunes qui y prennent place s’interrogent. Aucune étiquette n’est accolée à quiconque : seuls les sentiments comptent. Et c’est ce qui fait la force de ce livre: son authenticité, et le fait qu’il donne la parole à quiconque a besoin de la prendre, peu importe que le tourbillon émotif soit passé ou non, peu importe que la norme soit respectée ou non. L’ouvrage est de belle facture et chaque chapitre contient deux illustrations aux crayons de bois.

Liminal / Jordan Tannahill (trad. Mélissa Verreault) (La Peuplade)
La totalité du roman se déroule dans ce moment d’incertitude, où le narrateur observe le corps étendu de sa mère, inerte dans un lit, et repense à tous les moments qui ont déterminé sa conception du corps et de ses limites. À quel point peut-il être si différent de sa mère, celle qui l’a porté pendant neuf mois; lui, jeune comédien queer et athée, elle, scientifique et chrétienne? Julia Kristeva, saint Thomas d’Aquin, des androïdes et des artistes queer de performance n’auront jamais fait si bon ménage que dans ce roman d’une force spectaculaire. (Catherine Bond, Librairie Fleury)

 

INTERSEXE
Noa, intersexe / Samuel Champagne (De Mortagne)
Samuel Champagne est un auteur trans prolifique qui a publié une quinzaine de livres depuis la parution de Recrue, son tout premier écrit dans le cadre de sa maîtrise qui portait sur les romans homosexuels québécois destinés aux jeunes. Du lot des romans publiés, on s’attarde à Noa, intersexe, un des rares romans québécois pour adolescents — sinon le seul — qui aborde l’intersexualité de front. « Les tests ont révélé que tu avais des cellules de deux organismes différents dans ton corps, comme si tu avais deux ADN mélangés », expliquera un jour la mère de Noa à son fils. L’incompréhension qu’il vit vis-à-vis de lui-même lui fait dire qu’il est un « alien », plus poétiquement « une multitude », ou parfois qu’il est « comme une toile de Picasso un peu ratée ». Mais l’incompréhension que décrit l’auteur, avec une plume délicate et habile, se situe aussi chez les autres, chez ses proches. D’ailleurs, ses parents ne s’entendront pas sur la voie à prendre pour épauler Noa. Comme le personnage central est très attachant, avec ses contradictions, peurs, forces, émotions et désirs, on y adhère dès le prologue.

À lire aussi
Polly / Fabrice Melquiot et Isabelle Pralong (La Joie de lire)
À sa naissance, Polly avait des organes génitaux « à mi-chemin entre un zizi et une zézette », lit-on sous la plume du dramaturge Fabrice Melquiot. Ainsi, dès son arrivée au monde, Polly devient le centre de l’intérêt, mais aussi des questionnements. Un médecin tranche : ce sera un garçon. Mais voilà qu’à l’âge adulte, il a des doutes, sans pourtant se sentir fille non plus. Un rare roman graphique qui aborde le thème de l’intersexualité.

 

Middlesex / Jeffrey Eugenides (trad. Marc Cholodenko) (Points)
« Je voulais écrire sur une personne réaliste et être aussi précis que possible en ce qui concerne les faits biologiques » affirmait dans The Guardian l’auteur de ce roman mettant en scène un personnage intersexué. Eugenides, qui y a travaillé huit ans et a fait une somme de recherches considérable avant de se plonger dans ce sujet qui lui était non familier, a ainsi pondu de sa plume admirable une épopée moderne doublée d’une fresque intergénérationnelle de la recherche d’identité.

 

Aussi sur le sujet
Annabel, Kathleen Winter (Boréal)

 

NON BINAIRE
Cœur yoyo / Laura Doyle Péan (Mémoire d’encrier)
Anciennement libraire, Laura Doyle Péan (ille/iel) quitte les rayons des livres pour mener à terme sa vocation d’artiste multidisciplinaire, de poète et d’activiste. L’auteurice d’origine haïtiano-québécoise s’identifie comme non binaire — terme parapluie pour les personnes dont l’identité de genre n’est ni exclusivement masculine, ni exclusivement féminine. Péan s’intéresse aux luttes féministes, antiracistes, à la justice climatique et à la façon dont l’art fait naître les transformations sociales. Cœur yoyo (Mémoire d’encrier, 2020) est son premier livre. Il nous est offert à voix basse, comme un secret, comme des pensées inavouées qu’il aurait fallu coucher dans un journal intime. Entre ses pages, deux amoureuses se séparent. Affrontant la solitude et la tristesse, une voix apprend à soulager sa douleur, à guérir, à apprivoiser une vie qu’elle espérait autrement. Cette traversée du désert, elle la parcourt entourée de ses livres. Les vers, comme autant de petites béquilles, l’aide à se délivrer doucement de la peine. Cœur yoyo, en un trait poétique et franc, nous apprend à faire le deuil de l’amour sans, malgré tout, tourner le dos aux grandes souffrances du monde. Il nous apprend à accueillir la douleur, à nous montrer entièrement vulnérables, à exprimer nos sentiments les plus contradictoires. Plus encore, il nous propose un monde qui, au lieu de repousser, jeter et haïr, s’évertue à chérir l’amour sous toutes ses formes, aussi blessant puisse-t-il être lorsqu’il prend fin.

À lire aussi
Genre queer / Maia Kobabe (trad. Anne-Charlotte Husson) (Casterman)
En tant que non-binaire, Genre queer m’a affecté plus que je ne le pensais. Que ce soit l’envie d’avoir un prénom mixte, vouloir une mastectomie, arrêter d’avoir mes règles, magasiner dans la section femmes et hommes, et bien plus… je me suis senti compris par l’auteur.e. Beaucoup de choses semblent si logiques et évidentes, c’est comme si Maia racontait ma vie en même temps que la sienne. Dès la sixième page, je savais que ce chef-d’œuvre allait me faire sentir bien dans ma peau et que mes doutes allaient s’envoler. Fille ou garçon? Aucun des deux et je suis parfait.e comme ça! Que vous soyez en plein cheminement personnel ou à la recherche d’informations pour aider une personne de votre entourage, c’est une lecture à ne pas manquer! (Ciel Ducharme, Librairie Les Bouquinistes)

 

BISPIRITUEL.LE
Cette blessure est un territoire / Billy-Ray Belcourt (trad. Mishka Lavigne) (Triptyque)
Il y a longtemps que la culture autochtone reconnaît l’existence d’êtres qui oscillent entre le féminin et le masculin. « Weesageechak », en cri, sert à nommer ce corps fluctuant, ne sachant se poser sur l’un ou l’autre. Ce corps est celui de Billy-Ray Belcourt, poète bispirituel de la Première Nation crie de Driftpile en Alberta. Son recueil, Cette blessure est un territoire, est le troisième ajout à la collection « Queer » des éditions Triptyque aux intentions féministes, antiracistes et intersectionnelles. Traduit de l’anglais avec finesse par Mishka Lavigne, il a été sélectionné par CBC comme l’un des dix ouvrages de poésie canadienne les plus marquants de 2017. Les poèmes de Cette blessure est un territoire parlent de l’amour comme cause de déceptions, comme motif de violence, comme catalyseur des désirs rapaces et quelques fois, plus rares, comme remède aux maux. L’amour peut apaiser, mais il est surtout sale et laid. Et ses déficiences incitent le narrateur à le tenir à bout de bras ou à le refuser plutôt que d’en accueillir la chaleur. Il est aussi question, dans sa poésie, des identités bispirituelle et autochtone, peinant à prendre pied dans une société blanche et hétérocentriste. Cette résonnance plus politique qu’intime, qui dénonce l’impossibilité d’être soi-même, qui demande le démantèlement de certains préjugés et brandit le poing de la résistance décoloniale, rend sa lecture capitale. Cet automne, Billy-Ray Belcourt faisait paraître l’ovni littéraire Mécanismes NDN d’adaptation (traduit par Natasha Kanapé Fontaine chez Triptyque), ouvrage poétique où il aborde les notions d’autochtonie et de queeritude en les juxtaposant à « l’histoire d’horreur canadienne ».

Aussi sur le sujet
Un parcours bispirituel : Récit d’une aînée ojibwé-crie lesbienne, Ma-Nee Chacaby (Remue-ménage)

 

BIGENRE
La Minotaure / Mariève Maréchale (Triptyque)
Mariève Maréchale est originaire du sud-ouest de Montréal. Elle s’identifie comme femme, butch, lesbienne et bigenre, c’est-à-dire qu’elle appartient à la fois aux genres féminin et masculin, soit en même temps, soit à des moments différents. Les réflexions de l’écrivain.e et chercheur.se dans le domaine littéraire portent notamment sur les littératures LGBTQ+, la précarité matérielle et psychologique, l’identité de genre et les théories féministes. La Minotaure, paru au fort de l’hiver 2021, est à la fois son premier opus et la publication liminaire de la collection «Queer» des éditions Triptyque. Tout de son livre semble se dérouler dans un espace limitrophe. Fragmentaire et chargé d’ambiguïtés, il n’est ni une lettre, ni un poème, ni un roman. La Minotaure, créature hybride et figure éponyme du livre, n’est ni tout à fait femme ni tout à fait taureau. La narratrice est, quant à elle, effrayée d’exister en raison du genre qui lui a été assigné à la naissance et qui lui est étranger. Ainsi, le fond et la forme ne font qu’un. Ils tentent, dans un synchronisme parfait, de mettre de côté une vision binaire du monde qui impose ses structures avec violence. Ils tentent de réduire à néant les diktats de la normativité, du patriarcat, de l’impérialisme, de l’hétérosexualité; ses oppressions qui prennent à la gorge et invisibilisent. Marginalisée et humiliée, la narratrice se relève de cette bataille la tête haute. Elle proclame son droit et sa capacité à réinventer son existence. Reste, à la fin de cette révolte intime, une grande histoire de résilience qui révèle une irrépressible envie de vivre.

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