Riches fabulations

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C’est sous le signe de la diversité que s’inscrivent cette année les romans québécois et canadiens-français. Diversité du ton, de la forme et des sujets : il y en a pour tous les goûts en 2013, ce qui prouve que les hommes et les femmes des lettres d’ici n’ont pas peur de se renouveler pour épater leurs lecteurs! Allez, laissez nos auteurs vous raconter leurs histoires…

Forces tranquilles de 2013
Ils sont là, tapis dans les librairies, et c’est en eux, ces discrets romans, que réside la force de la littérature d’ici. Avec les personnages de Catherine Leroux, impossible de s’ennuyer. Dans Le mur mitoyen (Alto), nous suivons quatre duos pas à pas afin de découvrir ce qui pousse, voire anime, leur existence profonde. Finaliste au Prix de livre de Montréal, ce livre a fait craquer bien des libraires! Autre force discrète, Stéfani Meunier et son On ne rentre jamais à la maison (Boréal), qui parle de souvenirs, d’enfance et d’amitié sincère, avec une touche d’étrangeté, de légèreté et de douce nostalgie. Quant à elle, la plume incomparable de Marie-Christine Arbour renverse encore une fois, avec Chinetoque (Triptyque), ce récit doux-amer valorisant la marginalité et nous poussant au fin fond de nous-mêmes.

De son discours intelligent, poussé et poétique, Pierre Samson signe quant à lui La maison des pluies (Les Herbes rouges), qui trace le périple d’un père à la recherche de son fils, revisitant au passage son passé. Grâce à ce titre, l’auteur a remporté le Grand Prix du livre de Montréal. Plusieurs se sont étonnés de voir Gérald Tougas dans la liste des finalistes au GG puisque son roman Le deuxième train de la nuit (Druide) s’était fait plutôt discret à sa sortie. Une bonne façon de nous rappeler que cet auteur émérite reste avec force dans le paysage littéraire! Et, parlant de discrétion, il est impossible de ne pas faire de clin d’oeil à François Blais, le plus discret des auteurs québécois, pour la parution saluée de son excellent La classe de madame Valérie (L’instant même). Pour sa part, bien plus qu’un roman d’amour, Le sort de Bonté III (Sémaphore) d’Alain Poissant nous transporte en pleine ruralité, où solitude, nostalgie et amour de la terre se côtoient. L’originalité de ce récit? Tous ses puissants non-dits.

Des histoires qui déstabilisent
La littérature québécoise foisonne d’auteurs qui n’ont pas la langue dans leur poche, qui jouent la carte de l’audace, à la fois en matière de langage et de thématiques. D’une part, il y a l’univers déjanté des bars homosexuels décrits avec une langue crue et des images-chocs, dans le roman de Mathieu Leroux intitulé Dans la cage (Héliotrope). Puis, il y a l’univers prolétaire, bien réaliste, et admirablement servi de Rita, cette femme marginalisée, d’une classe sociale dont on entend rarement la voix, qu’on découvre dans Rita tout court (Marchand de feuilles), signé par celui qui sonde l’âme comme personne, Maxime-Olivier Moutier. Dans le Valcartier raconté par Grégory Lemay, une journée, c’est bien assez. C’est que C’était moins drôle à Valcartier (Héliotrope) présente le quotidien d’un narrateur qui ne trouve aucunement sa place entre les séances de jogging et la virilité suante qui l’entoure à la base militaire. Un regard ironique sur l’armée, sur cette guerre qu’on livre contre soi-même à un certain âge. Autre univers déstabilisant? Celui de Les fausses couches (Steph Rivard, Ta Mère), où l’on rejoint une famille plus ou moins toquée, dont les membres s’aiment et se détestent à la fois. Dans Barbelés (Sémaphore), le prisonnier Pierre Ouellet ouvre la grille du milieu carcéral québécois, mettant son âme à nu. Quant au titre Je l’ai écrit parce que j’avais besoin de vivre (éditions David) d’Émilie Legris, il entraîne le lecteur dans les affres de l’anorexie. Côté originalité, Le Museum (Québec Amérique) de Marie-Anne Legault ne donne pas sa place avec cette architecture narrative qui use d’imagination. Une spécialiste de l’histoire ancienne doit découvrir la source de l’effacement de sa propre civilisation : étrange et captivant!

Tout le monde en a parlé
Ils ont été nombreux, cette année, les écrivains invités à Tout le monde en parle. Il y a eu la pétillante Kim Thúy qui nous a parlé de Mãn (Libre Expression), ce roman empreint d’amour et d’effluves d’ailleurs. Il y a eu également Deni Y. Béchard, remarqué pour son récit d’apprentissage sur la thématique de la filiation avec son père, un braqueur de banques, dans Remèdes pour la faim (Alto). Plus récemment, Robert Lalonde, styliste discret à l’écriture finement ficelée, présentait C’est le coeur qui meurt en dernier (Boréal), où il décrit sa relation avec sa mère. Avec Lit double 2 (Libre Expression), Janette Bertrand a démontré qu’elle sait décortiquer ces petites choses qui font qu’un couple dure, que la vie à deux est possible longtemps. Grégory Charles, l’homme-orchestre, en a également surpris plusieurs en se lançant dans l’écriture avec N’oublie jamais (La Presse), récit intimiste adressé à sa fille. L’auditoire aura également été touché par le témoignage de Nazanin Afshin-Jam intitulé Le couloir de la vie (JCL) où le destin de deux femmes – une Canadienne à qui la carrière sourit et une jeune Iranienne dans le couloir de la mort – sera réuni. Tous ces romans, on en parlera encore longtemps…

Des univers historiques plus grands que nature
Elle a conquis un public immense avec les douze tomes de « Mémoires d’un quartier ». Une fois la série terminée, pas question que Louise Tremblay-D’Essiambre s’assoie sur ses lauriers. La voilà qui se lance au coeur des années 1887 à 1893, dans « Les héritiers du fleuve » (Guy Saint-Jean éditeur), où trois amies d’enfance croisent un jeune Irlandais sur leur route. Puis, Jean-Pierre Charland nous amène en 1932: les effets de l’effon – drement boursier se font gravement sentir et n’épargnent pas les personnages de sa nouvelle série, « Les années de plomb » (Hurtubise). Ce qui plaît, chez Charland? L’historien précis mise sur la qualité des détails et de sa plume pour charmer son public. En dépit de son décès survenu beaucoup trop tôt, Michel David continue de gâter ses lecteurs fidèles avec une nouvelle série posthume, « Mensonges sur le Plateau Mont-Royal », dont le premier tome, Un mariage de raison (Hurtubise), nous transporte dans le Montréal de 1946. Continuons notre parcours chrono logique du Québec historique et passons aux années 50 et 60, avec Thérèse Casgrain, la gauchiste en collier de perles (Fides), signé Nicolle Forget. Première femme chef de parti au Québec et au Canada, Casgrain a exercé une influence majeure sur les Québécoises: obtention du droit de vote, lutte contre les injustices… Un modèle à découvrir!


POÉSIE
Les jeunes contemporains
Surprise de taille que Mon dinosaure (La Peuplade), signé François Turcot. Mêlant prose, vers et correspondance pour sonder cet homme qu’est le père, le poète nous assène un vent de fraîcheur, riche d’émotion et de profondeur. Violent, vif et écorché : voilà comment décrire Chien de fusil (Le Quartanier), d’Alexie Morin, qui se veut à la fois un guide pour survivre à son époque et une fuite dans la forêt pour mieux ausculter le couple. Et, tant qu’à y être, pourquoi ne pas explorer l’être humain tout court? C’est ce que fait Julie Bruck, dans son très inspiré La singerie(Triptyque). Lettre qui dévoile à un être aimé tout son amour, La fluidité des heures (éditions David) de Michel A. Thérien est de loin l’un des plus beaux et des plus accessibles recueils de 2013. Également facile d’approche, La sueur des airs climatisés (Poètes de brousse) ravira ceux que l’univers déjanté, drôle mais puissant, de Simon Boulerice séduit.

Nos poètes établis
Saluons rapidement, en vous invitant à les lire, les poètes établis qui participent à la force de la poésie d’ici. Que ce soit Patrice Desbiens (Sudbury, Prise de parole), Jean Desy (Isuma. Anthologie de poésie nordique, Mémoire d’encrier), Marcel Labine (Promenades dans nos dépôts lapidaires, Les Herbes rouges), Michel Dallaire (Dégainer, L’Interligne) ou Isabelle Dumais (La compromission, Le Noroît), vous serez heureux de vous procurer leur ouvrage, de vous installer confortablement, verre de vin ou café en main, et de vous laisser happer par leur prose. Allez, osez!


Le changement de registre le plus réussi

Les faits divers n’existent pas
Martine Latulippe (Druide)
Connue pour son apport à la littérature jeunesse, Martine Latulippe s’immisce chez le lectorat adulte avec ses noires nouvelles. Sa plume habile, mise au service d’histoires denses, d’atmosphères soignées et de chutes inattendues, engendre une véritable réussite!

De traductrice à romancière : l’incursion la mieux maîtrisée
Lori Saint-Martin, pour Les portes closes (Boréal)
L’amour qui unit deux artistes est ici disséqué sous la plume sobre et adroite de l’auteure. Secrets, mensonges, désirs : tant d’éléments se greffent à cette chose complexe qu’on nomme le couple. Elle soulève, couche par couche, ce qui cache l’essence de la vie à deux.

La révélation féminine de l’année
Elise Lagacé, pour La courte année de Rivière-Longue (Hurtubise)
Un village hors-norme, des habitants étranges, une ambiance froide et venteuse : voici Rivière-Longue, où les silences sont maîtres et où les désirs ne survivent pas – du moins pas encore – dans l’imagination. On s’attache à ce village autant qu’à l’écriture de Lagacé, qui mérite grandement qu’on s’attarde à son premier roman!

La révélation masculine de l’année
Louis Carmain, pour Guano (L’Hexagone)
C’est la qualité de l’écriture de Carmain qui frappe en premier : quelle maîtrise, quelle couleur, quelle précision! D’abord roman historique, puis puissante histoire d’amour sur fond de guerre hispano-sudaméricaine en 1862. Le lecteur réalise que guerre et amour partagent la fâcheuse habitude de s’enflammer rapidement…

La plus belle mélodie d’amour
Chanson française
Sophie Létourneau (Le Quartanier)
Aussi triste qu’une chanson de Barbara, mais aussi fort que les paroles de Françoise Hardy, ce roman féminin parle d’amour et de fuite, de passion et de déraison. Une Québécoise tombe amoureuse d’un Parisien… Mais où donc se situent les frontières du coeur?

L’auteur qui persiste et signe
Sergio Kokis pour Culs-de-sac (Lévesque éditeur)
Avec ce titre en lice pour le GG 2013, Kokis prouve qu’il ne perd pas la main. Ici, ce sont quinze nouvelles parsemées d’autant d’idées que de personnages qui composent l’ouvrage dont le fil conducteur est la nature humaine sous tous ses angles: une langue travaillée et une densité que seul Kokis maîtrise.

La nouvelle collection qui « rock » le plus
« Quai no 5 » (XYZ)
Dirigée par Tristan Malavoy-Racine et faisant une place toute particulière à la musique, aux arts visuels et au cinéma, cette collection qui annonce quatre titres par an a vu le jour avec Vertiges et Faire violence, deux textes forts dont la voix écorche l’écriture conventionnelle.

Le roman le plus difficile à résumer
Demain sera sans rêves
Jean-Simon Desrochers (Les Herbes rouges)
Parce qu’il parle de voyages dans le temps, de souvenirs qui s’échangent et qu’il joue entre les frontières de la réalité et de la science-fiction, ce court roman de Jean-Simon Desrochers explore des avenues nouvelles pour l’auteur. Une belle découverte!

Les plus beaux clins d’oeil au théâtre
Villes mortes
Sarah Berthiaume (Ta mère)
Berthiaume et sa langue vive, trash et puissante, on adore. Ici, la comédienne offre quatre monologues théâtraux qui se lisent comme des novellas. Quatre contes, donc, qui peignent le portrait d’autant de filles bien vivantes qui évoluent tour à tour dans des villes respectivement anéantie, agonisante, suppliciée et zombifiée. Ça brasse, et ça touche au coeur.

Le changement de look le plus in
La collection « Littérature d’Amérique » (Québec Amérique)
Colorées, vaporeuses, énigmatiques: les nouvelles couvertures de la collection « Littérature d’Amérique » semblent autant de clins d’oeil aux taches de Rorschach qu’à l’univers qu’on retrouve entre les pages qu’elles protègent. Les récits de Jean Lemieux, Luc Mercure, Marie-Anne Legault et Eza Paventi ouvrent ce bal costumé avec brio!

Le plus érotique des romans
Le jardin des rêves
Bruno Massé (Guy Saint-Jean éditeur)
En 2013, la littérature érotique a été de toutes les conversations! Soulignons le travail du styliste Bruno Massé qui empourprera ses lecteurs grâce à ses fines descriptions d’univers feutrés, de créatures fantas tiques et de voluptés habilement détaillées. Ici, le mot littérature érotique prend vraiment tout son sens.

La poète au souffle le plus soutenu
Des voix stridentes ou rompues
Martine Audet (Du Noroît)
La poésie de Martine Audet en est une d’apparence sobre, mais dans laquelle on plonge pour découvrir la profondeur d’une voix, la richesse des sens et la limpidité des métaphores. Finaliste au Grand Prix du livre de Montréal 2013!

Le recueil le plus puissant
La cathédrale de tout
Roger Des Roches (Les Herbes rouges)
Récipiendaire du prestigieux prix Athanase-David 2013, Roger Des Roches désarçonne: son rythme saccadé, son vocabulaire d’une richesse imposante et ses touches de surréalisme font de cet artiste-né un poète de grand talent à découvrir, si ce n’est déjà fait.

En 2013, vos libraires ont craqué pour…
Amphibien
Carla Gunn (Prise de parole)
Amphibien, c’est un bijou à saveur écologique dans lequel nous ne cessons d’être confrontés à nos propres habitudes. 
Virginie Lacroix Clément Morin (Trois-Rivières)

Pourquoi Bologne
Alain Farah (Le Quartanier)
Ce roman aux allures d’autofiction dévie rapidement de sa trajectoire pour se retrouver dans les replis noirs de la science-fiction où des femmes fatales, des portiers qui en savent trop et un sémiologue bolognais accompagnent et déstabilisent un narrateur qui sombre dans la folie.
Martin Turcotte Le Port de Tête (Montréal)

La Maîtresse
Lynda Dion (Hamac)
Avec La Maîtresse, Lynda Dion séduit. […] Tant de passages à lire à haute voix, à apporter avec soi, tant la formule est juste, le ton trouvé.
Dominique Janelle Olivieri (Montréal)

Les pavés dans la mare
Nicolas Delisle-L’Heureux (Pleine lune)
Dans un style dynamique et efficace, l’auteur nous convie à un chassé-croisé de personnages loufoques et authentiques qui, malgré le poids des regrets, continuent leur quête de la vérité. Un roman dérangeant empreint de doutes, mais aussi d’espoir.
Lysiane Drewitt Librairie Boutique Vénus (Rimouski)

Quinze minutes
Patrick Senécal (VLB éditeur)
Avec ce roman […], Senécal a quitté sa zone de confort pour nous livrer quelque chose de totalement différent : un conte allégorique. Critique véhémente de la société prônant la gloire instantanée, l’histoire de Johnny se complique avec la venue d’un client pour le moins inattendu : l’Intelligence.
Isabelle P. Lamoureux La Maison de l’Éducation (Montréal)

Femelle Faucon
Nancy R. Lange (Écrits des Forges)
Parfois avec douceur, fermeté, ou bien un habile mélange des deux, mais toujours de manière touchante et imagée, Nancy R. Lange dévoile avec efficacité un univers où la sensibilité règne.
Alexandre Auger La Maison de l’Éducation (Montréal)

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