Rencontre avec Gaëtan Lévesque aux jardins du Luxembourg

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L'éditeur Gaëtan Lévesque nous a quitté le 18 mars dernier, laissant le milieu littéraire québécois en deuil. L'auteur et ami Louis-Philippe Hébert lui rend ci-dessous un dernier hommage. 

Je connais Gaëtan Lévesque depuis vingt ans, mais lui me connaissait depuis plus longtemps encore. Ceci s’explique de la manière suivante : lors de ses études de Lettres à l’UQAM, Gaëtan a participé, dans les années 1980, à un séminaire tenu à propos d’un livre de moi paru en 1976. Aussi, quand nous nous sommes rencontrés durant une réunion d’éditeurs, il m’a offert de publier une édition 25e anniversaire de La manufacture de machines.

Voilà par quelle tournure du hasard l’éditeur a rencontré l’auteur. Mais ce n’est pas tout. Le livre est paru en 2001 chez XYZ comme Gaëtan Lévesque l’avait voulu. Je découvrais un homme très agréable à fréquenter. Mais je vous avouerai que, chaque fois que je lui ai présenté un manuscrit, j’ai tremblé. Tellement son regard de lecteur était profond.

Nous nous sommes revus à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de salons du livre. L’amitié s’est développée, a pris de l’ampleur, s’est ramifiée… J’ai collaboré à la revue de la nouvelle XYZ à maintes occasions ; j’ai eu aussi le plaisir répété de rencontrer Nicolas Tremblay qui en est le directeur et « qui m’a biographié » ; et il y a eu de multiples soupers. Une petite famille se formait autour de lui et de Jacques Richer, son conjoint et directeur de la production. C’était devenu de plus en plus concret avec la création de Lévesque éditeur.

Et puis, il s’est produit un moment magique. Quelques années plus tard, nous nous sommes retrouvés, lui, Jacques Richer et moi, à la buvette des Jardins du Luxembourg, en plein printemps parisien ; le Salon du livre de Paris les conduisait dans la capitale française ; moi, je revenais d’un Printemps des poètes à La Rochelle.

Ce jour-là, nous avons eu devant nous plusieurs bouteilles de Brouilly, les bouteilles en forme de quille, et les Québécois ont fait autant d’abats. Je portais dans la poche intérieure de mon veston un petit carnet bleu dans lequel j’avais écrit en pattes de mouche un court roman. Au fil de la conversation, je me suis rendu compte que, habitué à travailler à l’ordinateur, je n’avais pas pensé à la fragilité et surtout à l’unicité du support papier. Prenant Jacques Richer et Gaëtan Lévesque à témoins, je leur fis savoir que je cachais un précieux document, et que, s’il devait m’arriver quoi que ce soit, il leur faudrait à tout prix récupérer « mon petit roman ».

Je le leur montrai à tous deux. Le résultat, je le constatais en l’ouvrant devant eux, était écrit d’une belle main… un manuscrit artisanal, calligraphié, un objet unique. Nous nous sommes revus le surlendemain à la Délégation du Québec à Paris où les éditeurs et écrivains québécois étaient reçus par le délégué. J’y étais à l’invitation de la relationniste Jo Ann Champagne, eux comme éditeurs.

Pendant la fête, un des auteurs de Lévesque éditeur s’est écroulé victime d’un malaise. Fatigue, chaleur, maladie ? Gaëtan, qui a toujours eu pour ses auteurs un sentiment maternel, était très inquiet. Nous attendions tous le verdict des ambulanciers du SAMU.

Pour le distraire, je lui ai dit à la blague que je lui donnerais n’importe quoi qui puisse lui changer les idées. Je n’avais pas tenu compte de l’instinct d’éditeur, et il pointa du doigt le petit carnet bleu qui faisait renflement dans la poche intérieure de mon veston.

C’est ainsi qu’il publiera Celle d’avant, celle d’après, puis quatre autres livres (romans, nouvelles). Depuis ce jour, nous avons toujours été côte à côte dans les salons, et nous nous sommes entraidés dès que l’occasion s’est présentée.

Le destin aura voulu que mon cinquième ouvrage chez Lévesque éditeur soit aussi le dernier à paraître sous sa bienveillante autorité dans la collection Réverbération qu’il dirigeait. Le livre sera présenté au Salon du livre de Québec en avril. Éditeur moi-même (autrefois Éditions Logiques, maintenant Éditions de La Grenouillère), je sais que mes livres ne seraient pas ce qu’ils ont été sans lui. Merci Gaëtan, merci Lévesque éditeur, merci Jacques Richer, toujours au poste, et qui, plus que jamais, assure la permanence —comme l’annonçait Le Devoir, ce vendredi matin.

 

 

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