Québec Love : La littérature érotique québécoise en question

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Pudique, la littérature québécoise ? On ne le croirait pas, à en juger par l'éclosion du genre érotique à laquelle on assiste depuis quelques années. De plus en plus d'auteurs tentent l'aventure, les éditeurs emboîtent le pas en créant des collections spécialisées. L'absence d'une tradition bien établie a pour avantage d'inciter à une certaine inventivité, une liberté totale… mais le désavantage, c'est qu'on permet la parution de tout et n'importe quoi. Et si on tentait de séparer le bon grain de l'ivraie ?

Ce serait aller vite en affaire de faire du phénoménal Putain de Nelly Arcan, le fer de lance de l’actuelle manne d’œuvres érotiques made in Québec. Qu’elle soit autobiographique ou purement inventée, cette lancinante confession d’une prostituée dégoûtée des hommes et du commerce de la chair ne contient guère de passages susceptibles d’émoustiller les membranes muqueuses. À vrai dire, longtemps avant le succès de ce livre en définitive bien impropre à provoquer le fantasme, quelques-uns de nos écrivains avaient trempé leurs plumes à l’encre des désirs et des délires. S’il serait bien difficile de nommer une douzaine d’œuvres érotiques datant d’avant la Révolution tranquille (ne me vient à l’esprit que le sulfureux Orage sur mon corps d’André Béland, paru en 1944), les trente dernières années ont vu la parution de quelques bouquins signés par des auteurs qui, sans se consacrer exclusivement au genre, lui ont donné ses lettres de noblesse chez nous. On peut citer sans rougir Hugues Corriveau (La Maison rouge du bord de mer), les jumelles Anne Dandurand (La Salle d’attente) et Claire Dé (Le Désir comme une catastrophe naturelle), Jeanne LeRoy (La Zébresse) et Alix Renaud (À corps joie). Les années 90 ont aussi été celles des triomphes populaires de la  » sexploratrice  » Lili Gulliver (Diane Boissonneault), dont les aventures archi-répétitives m’ont personnellement toujours laissé sur ma faim…

Arrivée sur la scène quelques années plus tard, Marie Gray s’est vite taillé une place de choix avec sa série de recueils de nouvelles dont les titres laissent peu de place à l’équivoque : Histoires à faire rougir, Nouvelles Histoires à faire rougir, Histoires à faire rougir davantage et Rougir de plus belle. Malgré le petit côté gentil et BCBG de ses grivoiseries, on apprécie chez cette ex-chanteuse de rock la vérité de ses personnages et la finesse de sa prose. Disponibles dans différents formats (format régulier, livres de poche ou coffret), ces livres valent assurément le détour et laissent présager de grandes œuvres à venir.

Du coup, quelques-uns de nos éditeurs avaient cru flairer la bonne affaire. Dès leur fondation, les éditions Trait d’union avaient lancé leur collection  » Sex-libris  » avec des titres où sensualité et démesure rimaient avec humour. Depuis, le créateur de  » Sex-libris « , Emmanuel Aquin, a quitté Trait d’union pour fonder sa propre boîte, Point de fuite, dont la collection  » Point G  » avait un mandat sans équivoque. Aquin lui-même y a notamment publié quelques épisodes des aventures de Pierre Duremanche, sorte de super agent-secret plus encore porté sur la chose. Sous-titrée  » livres dont vous êtes l’éros « , la série reprenait la forme interactive des  » livres dont vous êtes le héros  » qui faisaient naguère fureur chez nos ados. Avec un ludisme similaire, Mélika Abdelmoumen signait chez  » Point G  » Lima Destroy & Robinette Spa, l’épisode inaugural d’une saga d’anticipation mêlant satire sociale, humour vitriolique et érotisme débridé. Mais, déçu par les ventes modestes, Aquin a annoncé cette année qu’il songeait à interrompre la publication de la collection…

La continuatrice d’Aquin chez Trait d’union, Dominique Chénier, publiait ce printemps Pure Libertine. Premier roman de l’auteure, après un recueil de nouvelles, Pure Libertine constitue la chronique des joies et déveines sentimentales et sexuelles d’une certaine génération post-baby-boom dont il faudra songer à tripler le X. Qu’on ne se laisse pas décourager par l’illustration de couverture, d’un kitsch incroyable : même s’il ne révolutionne pas le genre, le roman se laisse lire avec un plaisir franc. Thématiquement et structurellement similaire, Chère coupable de Missaès (autre pseudonyme évident !) relate également les libertinages d’une femme infidèle dont les aveux, plutôt que de provoquer la rupture, font naître chez le cocu une fascination morbide qui l’incitera à réaliser ses propres fantasmes. On apprécie autant chez Chénier que chez Missaès le portrait de génération et d’époque que les passages gratinés bien servis par une écriture efficace, à défaut d’être résolument personnelle.

On ne peut hélas pas en dire autant de Passions tropicales, un premier roman également, avec lequel Geneviève St-Amour avait pensé faire une entrée remarquée en littérature québécoise. Sous prétexte d’identification totale à son personnage de Soana, la jeune auteure s’était prêtée au jeu de la campagne de presse racoleuse, en posant en petite tenue à l’endos du livre et sur les posters promotionnels. Aussi jolie soit-elle, cela ne rachète pas son roman, une drôle de salade de fantasmes fleur-bleue convenus et de pseudo-philosophie nouvel-âgeuse à l’écriture ampoulée et maladroite, où l’on suit dans le Sud une héroïne assoiffée d’amour et de sensations inédites.

Au rayon de l’exotisme, on préférera sans peine Elle a choisi de mourir, le deuxième roman de Roger Blay. Même s’il n’est pas étiqueté érotique, je m’en voudrais de le passer sous silence puisque ce périple initiatique du narrateur et de sa fille Jacinthe à Bali comporte une part sensuelle non négligeable. Sous-titrée Les Cratères du Kilimutu, cette excursion dans les mythes, la philosophie et la civilisation de Bali est servie par une écriture maîtrisée et attentive au moindre émoi de nos sens. Comme dans son précédent roman, Le Vol du Condor, Blay a su si bien doser les divers aspects de son roman – découverte de l’Autre, quête spirituelle, passages documentaires, éléments dramatiques, scènes érotiques – qu’on ressort de cette lecture, ravis, un peu essoufflés mais prêts à recommencer. Dites, ça ne vous fait d’ailleurs pas penser à autre chose?

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