Portraits du jeune auteur en coureur de fond: Les gars

30
Publicité

Qui dit « jeune auteur » dit « nuits blanches » et soupe « ramen ». C’est que le parcours qui mène à une carrière d’écrivain fructueuse et accomplie est semé d’embûches. Au-delà du talent et de la volonté nécessaires, les artistes émergents ont cela en commun qu’ils doivent jongler avec l’intégration d’une discipline, un emploi de jour pour financer des litres de café et une connexion Internet indéfectible, sans compter les études, les dettes qui s’accumulent plus rapidement que les pages du manuscrit, l’isolement et les parents qui se demandent pourquoi ils n’ont pas fait médecin ou architecte… Ouf.

’’

Malgré ces contraintes, la relève québécoise est plus vigoureuse que jamais. En voici la preuve: dix femmes et dix hommes à la plume tantôt soignée et élégante, tantôt acérée et déchirante. Nos libraires indépendants ont choisi les vingt jeunes auteurs à surveiller de près au cours des prochaines années.

Mathieu Handfield
’’
Quand les infortunes d’un géant se heurtent aux ambitions d’un nain, qu’est-ce que ça donne? Le loufoque Ceci n’est pas une histoire de dragons, deuxième roman du comédien et réalisateur Mathieu Handfield, demi-finaliste au prix des Libraires 2011. Le sympathique garçon se fait ces jours-ci dramaturge, finalisant la pièce Le voleur de membres, qu’il compte porter sur les planches avec sa troupe Théâtre en petites coupures. Fidèle à sa maison d’édition indépendante Ta Mère, il y publiera dans les prochaines années son troisième récit, l’histoire sanglante d’un chirurgien esthétique sur fond de grève ouvrière.

Guillaume Corbeil
’’
Guillaume Corbeil ne chaume pas. En plus de son dernier roman, Pleurer comme dans les films, paru en 2009 chez Leméac, on pouvait récemment lire ses textes dans les collectifs Être un héros (La courte échelle) et Amour et libertinage (400 coups), tous deux publiés cet hiver. Pas de répit pour l’étudiant en création littéraire de l’École nationale de théâtre : en plus de ses quatre projets de pièce en cours se trouve dans une filière de son ordinateur un recueil de nouvelles qu’il nous tarde de découvrir.

Francis Desharnais
’’
On le connaît surtout pour sa coquette Alberte, l’héroïne de la série « Burquette » qui lui a permis d’obtenir deux Bédéis Causa, mais Francis Desharnais a plus d’un tour dans son sac à phylactères. L’ancien graphiste prévoit cette année signer le scénario de la BD Motel Galactic (Pow Pow), terminer une résidence d’auteurs à Bordeaux, collaborer au prochain Nunuche, bosser sur les planches d’un thriller d’aéroport, réaliser 20 épisodes de la websérie animée Burquette, participer au concours Glénat Québec (et l’emporter), entretenir le blogue BD francisd.com et, s’il lui reste du temps, conquérir la planète.

Patrick Drolet
’’
Il nous a fait rire dans les « Invincibles » et pleurer dans La neuvaine. Non seulement Patrick Drolet est un excellent comédien, mais il est également un écrivain authentique. Avec J’ai eu peur d’un quartier autrefois, il nous entraînait dans un « long cauchemar kafkaïen dont on ne se réveille jamais totalement ». Toujours préoccupé par les questions de la peur et de la mémoire, l’amateur de Thomas Bernhard cherche encore l’issue de ses errances dans l’écriture d’un second roman qui devrait voir le jour en 2012.

William S. Messier
’’
William S. Messier se dit fasciné par la tradition orale dans la littérature américaine. Une fascination qui se transpose dans sa propre écriture puisque, dès ses premières publications, il s’attacha, comme ses écrivains préférés, à implanter un véritable folklore de sa région natale de Brome-Missisquoi. Avec Townships (Marchand de feuilles, 2009) suivi de Épique (idem, 2010), il inventait un mythe dans la plus pure tradition des tall tales à la Paul Bunyan. Aujourd’hui, le nouveau papa poursuit sur sa lancée avec l’ébauche d’une improbable musicographie commentée d’un célèbre ensemble jazz de son village qui, à son apogée, nous raconte-t-il, comptait parmi ses membres toute la population de la région!

Patrick Roy
’’
Il y eut les lettres magnétiques sur le frigo, la poésie de Rimbaud, un mémoire sur Bashung, une thèse sur Houellebecq. Patrick Roy n’a rien du traditionnel « gars de hockey » qu’on le soupçonnerait d’être en résumant La ballade de Nicolas Jones. À cheval entre récit de taverne et belles-lettres, folk-rock et poésie, l’écriture de Roy éclot telle une épiphanie un soir de buverie solitaire. « J’écris pour arracher le langage à sa paresse quotidienne », dit-il, enhardissant notre propre effort de lecture, vite récompensé. Déjà, l’écrivain tisse la toile d’un prochain roman racontant le choc improbable d’un biographe et de son sujet, qui prendra l’allure d’un polar décalé.

Nicolas Chalifour
’’
En lice pour le Prix des libraires 2009, Vu d’ici tout est petit (Héliotrope) témoignait d’une adroite créativité, avec son langage naïf et la singularité de son histoire. Entre la littérature qu’il enseigne au cégep Édouard-Montpetit et la pile de travaux à évaluer qui jonche sa table de travail, c’est dans le bonheur et l’enthousiasme, nous dit-il, que Nicolas Chalifour planche en ce moment sur la forme tordue d’une suite/préambule à ce premier roman, « un monde où la candeur côtoie l’ineptie humaine ».

Simon Paquet
’’
L’ancien membre du groupe Les Abdigradationnistes cache, quelque part dans ses tiroirs, les croquis d’une BD, un roman historique invraisemblable, un essai absurde intitulé Un livre de plus pour l’Humanité, un projet de webtélé en jachère et un one-man-show à roder. En attendant le prequel au roman Une vie inutile, publié à l’automne chez Héliotrope, Simon Paquet alimente son blogue au titre identique et se questionne, en direct de son compte Twitter et en 140 caractères, sur l’actualité mondiale et les dangers de la téléréalité augmentée.

Alain Farah
’’
Pour Alain Farah, « la littérature est ce qui rend la vie plus intéressante que la littérature ». Cela explique peut-être pourquoi il s’applique dans ses récits à marier le romanesque et l’autobiographique, en retraçant son périple de l’Égypte au Liban et de Paris à Montréal en compagnie, entre autres, de Maria Sharapova et Robbe-Grillet. L’auteur de Quelque chose se détache du port et de Matamore no 29 (Le Quartanier) « aggrave son cas » avec Pourquoi Bologne, un second roman qui exposera cette fois les liens qui unissent la CIA, l’Université McGill et Montaigne. L’érudit docteur ès lettres codirige par ailleurs la collection Polygraphe au Quartanier, la « machine à faire lire » qui nous a fait découvrir entre autres Perrine Leblanc.

Jérôme Lafond
’’
« Il y a des jeunes qui démontrent un réel talent d’écrivain dès leur premier livre. Jérôme Lafond est de ceux-là. » D’abord poète (Poèmes du Wah-wah, Buffalo ou le chat est un animal triangulaire), l’écrivain autodidacte a fait le saut en fiction en 2010 avec Brigitte des Colères (Marchand de feuilles), récit débridé d’une révolte adolescente, qui récolta immédiatement les honneurs du milieu. La suite de ce premier roman, Exterminacœur(e), confirme l’émergence d’une nouvelle voix forte et captivante.

Publicité