Au ciel du lit des rêves littéraires, l’automne est un moment particulièrement propice à la réalisation des plus fols espoirs du lectorat mondial. La machine redémarre, clinquante et fière. Les maisons alignent leurs canons. Tout un chacun sort un cavalier. Notre propre microcosme livresque, dont le rayonnement international n’est plus à démontrer, contribue chaque année de belle façon au foisonnement éditorial de la fin des vacances et de la reprise des choses sérieuses. Chers lecteurs aux yeux reposés, le soleil de l’été vous a ragaillardis, les douces nuits de juillet vous ont régénérés, la tendresse des matins d’août vous a raffermis? Tant mieux! Du roman au récit à la nouvelle et sans oublier la poésie et le théâtre, voici en rafale l’essentiel des livraisons les plus intéressantes de la rentrée littéraire québécoise de cette année.

À surveiller

Plie la rivière
Audrée Wilhelmy (Leméac)
Pour son cinquième roman, la femme derrière Oss endosse le châle de la conteuse et se fait tour à tour enchanteresse, sorcière et chamane. Noé l’impliable, dite la Petite, croise la route d’un vendeur de bonbons ambulant parcourant chaque année le continent de long en large. Au terme d’une équipée dont les proportions s’apparentent à celles d’un zapoï initiatique, Emessie fils finira par dompter la peur de la bête secrète qui sommeille en lui.

 

 

Il se fait tard
Gilles Archambault (Boréal)
Il est désormais presque inconvenant de dénombrer les livres publiés par ce discret monument de notre littérature. Lui-même particulièrement lucide quant à la vanité des prétentions de ceux de sa lignée, le plus intimiste des introvertis revient sur sa carrière d’écrivain, l’intériorité de sa fougue, ses débuts, l’inanité de ses doutes, sa réserve, l’inertie de ses ambitions, ses maîtres à penser et ses compagnons, le tout raconté du point de vue d’un homme s’habituant peu à peu à devenir « une sorte de caricature de l’homme qu’il croyait être ». Une lecture qui rappelle sans moralisme l’importance de l’amour, des amis et de la vie elle-même.

 

Reliques profanes
Pierre-Marc Asselin (Boréal)
Les quatorze nouvelles du premier livre de cet auteur originaire d’Alma se questionnent habilement sur les conditions de possibilité contemporaines du sublime, dans un monde où la transcendance ne semble plus appartenir qu’à l’arbitraire du fortuit. Pris au piège dans une époque dont les repères sont aussi inconsistants que trompeurs, les personnages qui peuplent le recueil cherchent néanmoins à garder la tête hors de l’eau.

 

 

Sadie X
Clara Dupuis-Morency (Héliotrope)
Celle à qui nous devons déjà le formidable Mère d’invention propose un deuxième roman inventif traversé par le fil rouge du parasitisme. Sadie est une chercheuse montréalaise travaillant dans un laboratoire marseillais. De la métaphore virologique à la fable infectieuse, la ligne est mince et les frontières, poreuses. Entre le génie du professeur Régnier, le bar de Veronica et les trames sonores de Molly, Sadie se découvre aussi insoluble que dissolue.

 

L’horizon des événements
Biz (Leméac)
Les personnages de La chaleur des mammifères ont vieilli. Les symboles politiques d’hier portent aujourd’hui les stigmates gênants de ceux ayant réussi à les détourner à leur convenance. Le milieu universitaire marche sur des œufs et n’ose plus faire d’omelettes. Teinté du spectre de Louis-Ferdinand Céline, le nouveau roman de l’ex-Loco se penche sur les dérives tragi-comiques d’une époque où l’intolérance des uns à la sensibilité des autres a fini par désensibiliser ceux-là mêmes qui se réclamaient de ces idéaux à la noblesse de causes auxquelles ils ne savent plus s’identifier.

 

La floraison des nénuphars
Marie-Christine Chartier (Hurtubise)
Pour ce quatrième roman, Marie-Christine Chartier reprend les personnages de son premier livre, L’allégorie des truites arc-en-ciel. Le temps a passé et Cam et Max sont désormais un couple ayant quitté Québec pour s’installer à Montréal, où Max a dégoté un emploi prestigieux mais exigeant. À la suite du décès de son père, Cam doit quant à elle composer avec un deuil difficile. Les aléas de la vie brouillent insensiblement l’horizon des amoureux.

 

 

Ce qu’un jeune mari devrait savoir
Collectif (Marchand de feuilles)
Avec des textes de Martine Delvaux, Heather O’Neill, Rose-Aimée Automne T. Morin, Patrick Watson, Martina Chumova, Lili Boisvert, Léa Stréliski, Simon Boulerice, Véronique Grenier et plusieurs autres, ce recueil de récits se propose d’offrir un guide un brin décalé pouvant servir d’adjuvant aux mille et une situations de la vie contemporaine où le perfectionnement du jeune époux serait le plus souvent souhaitable.

 

 

 

 

Ma ville est un cône orange
Luca Palladino (Kata éditeur)
Marco Di Marco rêve de devenir architecte. Coincé dans l’engrenage délétère des magouilles de l’industrie de la construction, ce livreur d’enveloppes brunes travaillant pour son père espère chaque jour l’arrivée d’une enveloppe blanche en provenance de la London School of Architecture. Satire politique à l’humour grinçant, épopée architecturale aux tonalités absurdes peuplée de personnages tonitruants, le premier roman de l’éditeur Luca Palladino remet en question les plus paradoxales de nos contradictions et les retourne.

 

 

La disparition des miroirs
Daniel Leblanc-Poirier (VLB éditeur)
À mi-chemin entre le récit fantastique et le thriller psychologique, le quatrième roman du poète de la trilogie 911, Fuck you et Mélasse promet d’être aussi inquiétant que son imagerie poétique déjantée. D’étranges événements viennent secouer la vie léthargique d’un musicien à la carrière assoupie, ce qui mènera ce dernier à multiplier entourloupes et culbutes, le tout dans une atmosphère post-punk aux accents comiques.

 

 

225 milligrammes de moi
Marie-Sissi Labrèche (Leméac)
Relations familiales troubles, filiation de la folie et maternité : sept ans après La vie sur Mars, l’auteure de Borderline revient cette saison avec un roman aux thèmes sombres où pointe néanmoins une touche d’humour. En deuil de sa mère, la narratrice craint un retour en force de la folie qu’elle a passé les dernières années à calfeutrer sous les catalognes de la stabilité.

 

 

 

Romanesquement vôtre
La cuvée de romans québécois 2021 est faite de grands retours, de prometteurs débuts ainsi que de bienheureuses continuités. Plus de trente ans après L’ange de la solitude et Les nuits de l’underground, Marie-Claire Blais renoue avec les personnages de ces romans aussi précurseurs qu’emblématiques avec Un cœur habité de mille voix (Boréal), tout en rendant hommage aux luttes gaies du siècle dernier. Flavie Choinière y va d’un premier roman avec Fibres (Tête première), où l’anatomie de l’angoisse se voit disséquée de la plus sensible des façons. Au long d’une narration intimiste aux accents éthérés, une jeune femme sent son corps se déficeler, l’esprit filandreux et le ventre pris de vertige. Tête de brume, de Mélanie L’Hérault (Guy Saint-Jean Éditeur), met en scène la fuite et le désarroi de Claudelle, témoin de l’assassinat de ses parents par son frère adoptif. Dix ans plus tard, la mise en vente de la maison familiale la forcera à replonger au cœur de la fosse aux lions. Les brouillards oniriques d’Éric Mathieu sont à l’honneur au sein de Dans la solitude du Terminal 3 (La Mèche), fable psychotrope aux effluves new wave où la réalité se fragmente au rythme de la descente aux enfers de Nathan Adler, épris du charisme délétère d’un écrivain débonnaire autour duquel gravite une faune aussi fascinante que débauchée. Le dramaturge Normand Chaurette surprend avec Symbiose (Leméac), un atelier de croissance personnelle qui n’est pas sans rappeler le Fight Club de Palahniuk. L’agressivité des participants est ainsi mise à profit dans l’optique d’arriver à réconcilier les forces autodestructrices de leurs plus primitifs instincts. Le huis clos dialogal d’un thérapeute en chute libre est très efficacement rendu dans Le psy de Francine Tougas (Libre Expression), à qui on doit notamment le livre à l’origine de la série télé Au secours de Béatrice. Francis Rose publie un roman sombre mais d’une rare et douloureuse puissance avec Ruissellements (Leméac), objet hybride aux multiples ramifications où souvenirs, fabulations, envolées lyriques et pulsions de vie et de mort sont au coude-à-coude. Chez Ta Mère, Maude Nepveu-Villeneuve aborde avec finesse et empathie la question du deuil périnatal dans Après Céleste, où nous suivrons une jeune femme s’étant réfugiée dans le village de son enfance pour panser la béance des plaies laissées par la perte de son bébé. La quête de réconfort de Dolores, entourée de madame Labelle et d’une petite fille de 8 ans, Olivia, trouvera aussi écho dans la forêt environnante. Une odeur d’avalanche, de Charles Quimper (Alto), s’ancre au cœur du quartier Saint-Sauveur. D’inondations en séismes en pluie de grenouilles, Jacob et Pénélope, deux adolescents aux prises avec l’ingratitude de leur âge, y côtoient narrativement la Dame en vert et le Cowboy, pour le meilleur et pour le pire. Simon Roy, gagnant du Prix des libraires 2015 dans la catégorie roman avec Ma vie rouge Kubrick, revient cette année avec un troisième titre, Fait par un autre (Boréal). En 1988, le faussaire québécois de renommée internationale Réal Lessard s’illustre aux côtés de Jacques Attali et de Pierre Assouline sur le plateau de la célèbre émission de Bernard Pivot. Cherchant à démêler le vrai du faux tout en ménageant et le chou et la chèvre, Roy s’amuse à dérouter le lecteur en l’entraînant dans les méandres de la vérité, de la fiction, du mensonge et de tout ce qui ne saurait y être apparenté.

À lire aussi
Jolicœur, Joëlle Péloquin (Tête première)
Une autre vie est possible, Olga Duhamel-Noyer (Héliotrope)
La leçon, Christine Daffe (Triptyque)
Une vie fretless ou comment j’ai accouché d’une méduse, Anouk Lanouette Turgeon (XYZ)
Tuer le temps, Danielle Trussart (Lévesque éditeur)
Grand chelem, François Leblanc (Québec Amérique)
Le promeneur de chèvres, Francine Ruel (Libre Expression)
Belle comme le fleuve, Mélissa Perron (Hurtubise)
Une fille sans fusil, Paule Baillargeon (Les Herbes rouges)
Débandé, Sylvain Larose (Sémaphore)

 

Autofictions et récits
La littérature contemporaine est particulièrement friande de formes hybrides, où le littéraire se niche au cœur des braises fumantes de la réalité et des multiples prismes au travers desquels celle-ci peut se lire, se relire et s’interpréter. Différant en ceci des strictes biographies ou des simples témoignages, l’autofiction et le récit sont investis d’intentions dont les visées littéraires vont bien au-delà des événements sur lesquels ils se basent, tout en parvenant généralement à en exprimer la teneur.

Moins d’un an après Le roitelet, Jean-François Beauchemin revient au récit et nous offre La source et le roseau (Druide), une histoire d’amitié entre un homme et son chien. Au fil d’attachantes confessions canines appelant insensiblement le souvenir de proches disparus, c’est la nature même des sentiments humains qui se trouve décortiquée au sein d’un ensemble dont la portée va bien au-delà de l’anecdote. Avant la mort, de David Dorais (Leméac), relate les aléas d’une relation débutée grâce à des sites de rencontre, mais dont l’intensité a rapidement fini par largement dépasser l’inoffensif marivaudage de l’amour pour trouver écho chez Cioran, Ricœur et jusqu’à Jankélévitch. Avec l’impudeur du chroniqueur, Dorais consigne l’enflure émotionnelle engendrée par cette rencontre aussi marquante qu’éphémère. Chez Hamac, Fanie Demeule rend hommage à tous ceux qui ont su lui insuffler ce qu’il fallait d’espoir avec Bagels, récit ancré dans les souvenirs des lundis soir où elle se retrouvait immanquablement chez St-Viateur avec son père au sortir de rencontres avec un psy où elle soignait tant bien que mal son problème d’anorexie. Marilyse Hamelin se joue de la crise du milieu de vie tout au long de Quelques jours avec moi (Hamac), recueil de très courts textes illustré par l’artiste Agathe Bray-Bourret où il est notamment question de deuil, de tendresse et de loyauté à un moment de la vie où le sens de l’humour, le lâcher-prise de même que l’amour-propre semblent des notions avec lesquelles il faut savoir jongler. Patrice Godin, enfin, livre le soliloque d’un homme seul, à l’aube, dans Toutes les vies possibles (Libre Expression).

À lire aussi
Les heures parallèles, Ariane Bessette (Québec Amérique)
Icare, Carl Philippe Gionet (Prise de parole)

 

Famille et nostalgie
Du côté des sagas historiques familiales bien de chez nous et le plus souvent d’époque, les amateurs ne seront pas en reste avec notamment un nouvel opus de Mélanie Calvé (Fides). Léonie et Victoria raconte le destin tumultueux de la jeune Léonie Quesnel, partie de Rigaud au tournant des années 40 pour s’installer à Montréal. Sa rencontre avec une certaine Victoria aura des répercussions aussi inattendues qu’elles seront révélatrices. Les inconditionnelles de Josée Ouimet seront heureuses de retrouver les sœurs Lefebvre dans Les chemins inverses (Hurtubise), deuxième volet de la série Dans le secret des voûtes, dont l’action se déroule aussi bien dans la ville de Québec qu’en France. Ceux dont on ne redoute rien, de Mathieu Thomas (Québec Amérique), livre une réflexion originale sur l’essence des Québécois par le biais des histoires parallèles de Charles, un jeune typographe du XIXe siècle s’opposant au projet de Confédération canadienne, puis d’Édouard, un traducteur rabougri ne s’étant jamais vraiment remis de l’échec référendaire de 1995. Rosette Laberge (Les Éditeurs réunis) fera plaisir à son lectorat en livrant le deuxième volet de sa trilogie Un bonheur à bâtir, Le défi de la démesure. Au début des années 70, à Montréal, la famille Maltais se remet de la dernière année, qui a été haute en couleur et en émotions. Les destins de Florence, FX, Marc, Martine, Julie et Charles poursuivent leur déploiement, le tout sur fond de grands changements apportés par la venue prochaine des Jeux olympiques. Toujours dans la continuité, Marylène Pion tamise quelque peu l’éclairage avec Les heures sombres, deuxième volume de la série Les lumières du Ritz (Les Éditeurs réunis). À l’aube de la Première Guerre mondiale, Adéline et Julien sont heureux d’avoir rejoint leur tante au sein du personnel de l’hôtel malgré la tension entourant les relations entre Philomène et son neveu. L’équilibre fragile de la petite communauté sera toutefois mis à rude épreuve par une série de drames dont la résolution ne se fera pas sans heurts. Presque un an jour pour jour après la conclusion de la série Les jolis deuils, Marjolaine Bouchard revient à la charge avec Les allumettières (Les Éditeurs réunis), dont l’action prend place à Hull au début du XXe siècle. Les Lépine, famille aussi pauvre que vaillante, n’ont d’autre choix que d’envoyer leurs filles à l’usine pour tenter d’échapper à la misère. La dangerosité du travail des ouvrières de même que les mauvais traitements dont elles font les frais finiront par les obliger à réagir en poussant leurs camarades d’infortune à la révolte. Enfin, les lecteurs ayant dévoré les trois tomes de L’espoir des Bergeron seront ravis d’apprendre que l’auteure Michèle B. Tremblay ouvre un nouveau cycle avec Une vie à construire, premier opus d’une série intitulée Des lueurs de liberté. Campé à Saint-Fulgence en 1920, le roman nous présente Lauréanne, 11 ans, accaparée par les nombreux travaux à faire sur la ferme familiale. À la suite d’une série de drames, sa sœur et elle seront envoyées dans un pensionnat à Québec.

À lire aussi
Benjamine et son destin, Denis Monette (Logiques)
Génération 1970 (t. 1) : Une arrivée en ville, Jean-Pierre Charland (Hurtubise)

 

Des nouvelles de la nouvelle
La nouvelle, très populaire chez nos voisins américains, peine malheureusement encore à faire sa niche en nos contrées, au grand dam de ceux pour qui la forme brève est un art aussi riche que délicat. La panoplie de possibilités que la notion même de recueil autorise a pourtant tout ce qu’il faut pour attirer le lecteur curieux de varier les plaisirs tout en découvrant les multiples visages d’un auteur. Avec Villes où je n’irai jamais (Boréal), Hélène Robitaille invente et inventorie les villes qui demeureront à jamais vierges de ses pas. De Samarcande à Cleveland en passant par Taganrog, Poznan ou Frantsevo, l’imaginaire de la nouvelliste arpente pour nous l’envers des lieux et ce qui les habite. La grande Arlette Cousture effectue un retour original après avoir imaginé une histoire par province au cours d’un voyage en train à travers le Canada. Les personnages d’En voiture! All aboard! (Libre Expression) sont ainsi pour la plupart inspirés d’histoires vraies. Chez Hamac, Emmanuel Bouchard présente On s’est promis de chercher ailleurs, porté par une écriture vibrante et un existentialisme aussi troublant qu’énigmatique. Inspirés des œuvres de l’artiste céramiste Myriam Bouchard, les textes du recueil font de la vulnérabilité une force tout en cultivant un goût pour le doute, le trouble et l’irrésolution. Western spaghetti, de Sara-Ànanda Fleury (Le Quartanier), fait grand cas de tous ceux qui désirent échapper à leur vie tout en se survivant avec des nouvelles épinglant les moments où tout bascule, dévie, dérape ou flanche. De bravades en lâchetés, la petitesse des sentiments humains côtoie l’espoir de la rédemption au fil d’une prose à la mélancolie assumée.

À lire aussi
Sa valise ne contient qu’un seul souvenir, Donald Alarie (Pleine Lune)
Férocement humaines, Julie Bouchard (Pleine Lune)
Maganées : Neuf nouvelles d’autrices sur la fatigue, collectif (Québec Amérique)
L’écueil des mondes, David Beaudoin (Annika Parance Éditeur)
Prismacolor n° 325, Lyne Richard (Lévesque éditeur)

 

De la poésie
Lisez-vous de la poésie? Non? Vous devriez essayer, pour voir. Il y en a pour les fous et les fins, les amoureux et les tristes, les sceptiques et les fervents, les cyniques et les tendres. La poésie, peut-être le plus ignoré des genres littéraires mais certainement le plus sous-estimé, gagne véritablement à être connue. Que vos premiers contacts avec elle aient été aussi scolaires que désagréables, qu’ils ne se soient pas déroulés sous les meilleurs auspices ou encore que ceux-ci n’aient tout simplement jamais eu lieu, il y a fort à parier que la production poétique contemporaine saurait vous gagner à sa cause, pour peu que vous parveniez à dénicher LE recueil qui vous fera durablement traverser le miroir.

En cette rentrée littéraire, Victor Bégin se fait le chantre des amours fraternelles avec Dites ami.e et entrez (Triptyque). Dans ce recueil bienveillant, le poète explore la sûreté de lieux aux auras d’abris, de refuges et de sanctuaires, dans un esprit de contemplation n’excluant pas pour autant la nécessité de certaines luttes. Chez le même éditeur, Nicolas Boulerice, membre du groupe trad Le vent du Nord, se fait plus contemplatif dans Les ouvrages du temps en quatre saisons, portrait séquencé mais fluide des dormances de l’hiver et des occurrences de l’été, avec tout ce qu’il y a entre les deux. Quelques textes issus du répertoire de chansons de l’auteur se glissent dans le recueil, mais la plupart de ceux qu’on retrouve sont toutefois des inédits. Au Noroît, la grande Denise Désautels propose, accompagné de photographies de onze œuvres de l’artiste Sylvie Cotton, l’émouvant Disparaître, où la poète se défend « contre l’odeur le cirque l’oblique / du vieillir humain », tandis qu’Antoine Boisclair lance Un poème au milieu du bruit, une somme dont les échos coussinent agréablement la blancheur criarde du brouhaha des jours. Anna Babi présente à la face du monde son Vivarium (Du passage), un premier recueil où sourdent les disparités élémentaires du bestiaire intime de tout un chacun. De l’abus, de l’abandon, de la violence des pères sur les petites filles et des hommes sur les femmes, Babi extirpe avec rage le sel de plaies aussi vivaces que tourmentées tout en se montrant philosophe. Avec Désormais les bêtes vivront plus longtemps que nous (Hashtag), Maryse Poirier se fait l’impassible annonciatrice de nos plus sordides sabotages. Dédié aux enfants de Joyce Echaquan, Au couchant de la terre promise (Mémoire d’encrier), de Jean Sioui, frappe à la porte de la justice et propulse le cri de la révolte qui gronde en dénonçant l’apathie et l’indifférence. L’histoire des Premières Nations et ses aspects tragiques y sont aussi évoqués dans l’optique de trouver les mots pour combattre la discrimination systémique. Trois ans ont passé depuis Moi, figuier sous la neige d’Elkahna Talbi, qui cette saison offre Pomme Grenade, recueil forant les chemins de l’amour et de l’intimité par le truchement de la réconciliation des paradoxes des jeunes femmes racisées dont la multiplicité des identités est un tabou devant être défait. Enfin, après deux romans, retour à la poésie pour Antoine Brea avec L’Enfer de Dante mis en vulgaire parlure (Le Quartanier), où le poète revisite l’illustre poème dantesque, usant tout à la fois d’une inventivité langagière à la charge humoristique assumée et d’un savoir-faire littéraire dont ne rougiraient pas les plus puristes des exégètes de la versification.

À lire aussi
Chants d’obstacles, Colin (Poètes de brousse)
Le bruit des routes, Jean-Guy Lachance (Les Écrits des Forges)
Dis merci, Camille Paré-Poirier (Ta Mère)
Radiale, Valérie Forgues (Le lézard amoureux)
Sainte Chloé de l’amour, Chloé Savoie-Bernard (L’Hexagone)
Contrées, Xavière Mackay (Le Quartanier)
Rien ne manquait au monde, Marcel Labine (Les Herbes rouges)
Projet Terre, collectif (Éditions David)
Jardin-cendre, Hugues Corriveau (Du passage)
En d’sous d’la langue, Jérôme Melançon (Prise de parole)

Thaumaturge dramaturgie
Les arts vivants ont beaucoup souffert de leur impossibilité pendant la pandémie, ce qui n’a pourtant pas empêché les dramaturges de continuer à croire à la puissance du théâtre ni de continuer à explorer les limites de ce que le plus physique des genres littéraires est capable de faire jaillir, comme a pu en témoigner Le besoin fou de l’autre, paru en juin dernier chez Atelier 10. Les nouveautés dramaturgiques de cet automne recèlent chacune leur particularité.

René-Daniel Dubois publie Ben (Leméac), une pièce-récit n’ayant à l’origine pas été pensée pour la scène. Sorte de lettre filmée s’adressant à Ben, la pièce est centrée autour d’un certain Tommy qui, sous la bienveillance muette d’Alain, à la régie, raconte le miracle de l’amour-passion quand celui-ci advient. Nassara, de Carole Fréchette (Leméac), met en scène une Montréalaise sur le point de prendre la parole lors d’un colloque international sur l’agriculture ayant lieu à Ouagadougou et dont l’intervention n’aura finalement jamais lieu, la jeune femme ayant été freinée dans son élan par l’irruption d’un homme armé dans la salle. Conjuguant l’intimité de la tristesse et la sauvage brutalité du monde, la pièce est un projet conjoint des Récréâtrales, festival panafricain se tenant tous les deux ans, et du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, où la pièce sera créée cet automne dans une mise en scène de Sophie Cadieux. Michel Marc Bouchard propose quant à lui Embrasse (Leméac), où un jeune homme en mal d’amour se met à la confection du vêtement que portera sa mère lors du procès pour voies de fait auquel celle-ci est convoquée pour avoir brutalisé une voisine qui l’accusait de violenter son fils, en l’occurrence lui-même, donc. Traversé par une vision fantasmée d’Yves Saint-Laurent, Hugo sème le trouble autour de lui en distribuant à tout vent embrassades et baisers. Remettant en question la notion de rédemption par la création artistique tout en la célébrant, Bouchard accouche d’une pièce hautement réflexive abordant les plus contemporaines de nos contradictions.

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