La chick lit. Déjà, le simple nom — une littérature pour poulettes — porte son lot de préjugés. Et si on laissait tomber un certain snobisme pour s’intéresser vraiment à ce phénomène multigénérationnel? Car les faits sont là : les ventes cartonnent et les lectrices en redemandent.

Sans même que vous ayez eu l’occasion d’en feuilleter un, vous connaissez sans doute les ingrédients d’un bon roman de littérature féminine. Une héroïne célibataire ou dans un couple à la dérive, des amies complices, un rejet de l’amour mélangé à cette quête de l’homme idéal. Des secrets, des voyages, une bonne dose d’humour et les aléas du quotidien; tous les éléments d’un parfait divertissement.

« La chick lit est beaucoup plus variée qu’on peut le croire, indique cependant Marie-Pier Luneau, professeure à l’Université de Sherbrooke, spécialisée en sociologie de la littérature. Quand j’ai commencé à travailler là-dessus, les héroïnes avaient dans la vingtaine, se cherchaient identitairement, n’étaient pas heureuses au travail. C’était assez uniforme. Aujourd’hui, il y a tellement de tendances et de sous-branches : il y a la mommy lit, la granny lit, des histoires de femmes ménopausées, des histoires qui se passent à la campagne, illustre-t-elle. C’était impensable au début. »

© Sarah Scott

Ce qui était aussi impensable, c’est à quel point le Québec allait générer une telle quantité de textes de littérature féminine. Né dans les pays de Bridget Jones et de Carrie Bradshaw, dans les années 90, ce style a donné au Québec ses premiers livres une décennie plus tard : « Rafaële Germain est celle qui a vraiment pavé la voie, estime l’éditeur Daniel Bertrand, cofondateur des Éditeurs réunis, une des principales maisons d’édition du genre dans la province. C’est la première Québécoise qui a porté le flambeau. »

Pour la principale intéressée, la chick lit est arrivée un peu comme une surprise : « Ce n’était pas ce que j’avais prévu écrire à la base », raconte-t-elle dans un échange de courriels avec Les libraires. « Ce n’était pas un genre qui m’attirait, et j’entretenais à son égard les préjugés d’usage. Mais mon éditeur [André Bastien] m’a mis Bridget Jones’s Diary entre les mains et j’ai eu un plaisir fou à lire ce livre — et ensuite à écrire dans ce registre. » La suite? Trois romans, dont Soutien-gorge rose et veston noir, tous couronnés de succès.

Alors que certains croyaient que la popularité s’essoufflait, monsieur Bertrand y a vu un filon : « On a sorti quelques livres et ç’a marché vraiment très fort. Alors on a ouvert notre collection chick lit, une des trois plus importantes de notre maison aujourd’hui. »

Le phare de cette collection : l’autrice Amélie Dubois. Dix-neuf livres. Plus de 500 000 exemplaires vendus. Une véritable vedette. Son prix du public au Salon du livre de Montréal, en 2013, avec Ce qui se passe au Mexique reste au Mexique, avait fait bien des remous dans le monde littéraire. L’éditeur se souvient du moment : « Ça ne s’était pas vu avant. D’habitude c’était du Michel Tremblay, des trucs grand public, mais jamais de chick lit. C’était quelque chose d’important qui se passait et ça nous montre bien qu’on n’était pas à la fin du succès. »

 

Au-delà du divertissement, qu’est-ce qui plaît tant aux lectrices? « Ça répond à un besoin de se reconnaître, constate Marie-Pier Luneau. La chick lit leur apporte la romance, mais dans un cadre post-féministe où les héroïnes, plus autonomes, s’affirment beaucoup. »

Si le roman Harlequin parle surtout d’amour dans un rapport de domination du héros par rapport à l’héroïne, on aborde avec la chick lit le quotidien d’un personnage auquel les lectrices peuvent adhérer. Une femme qui cherche l’amour, mais qui s’en affranchit aussi. Au point de parfois finir célibataire.

« Quand ç’a commencé au Québec, les héroïnes dans la vingtaine étaient lues par des lectrices dans la vingtaine. Il y avait une sorte de symétrie entre ce qui était représenté dans le roman et ce que la lectrice vivait, explique madame Luneau. Ce n’est pas une parenté totale, les aventures sont exagérées, mais la lectrice se mirait dans ce portrait-là. C’est comme une catharsis. »

Il y a aussi cette négation de l’importance de l’amour et la valorisation du cercle d’amis qui sont au cœur du récit. Madame Luneau abonde : « Cette négation apparente de l’amour, ça va bien sociologiquement avec les enfants de l’an 2000 qui ont vu leurs parents se séparer. Il est beaucoup question des parents dans nos romans de chick lit, c’est une spécificité propre au Québec. Le père est souvent admiré, la mère est souvent une rivale et ils sont souvent séparés. Alors, comment croire encore en l’amour quand [on a vécu] les années 2000? », questionne-t-elle.

Des livres qui font lire
Au-delà du « regard très péjoratif » que plusieurs portent sur la chick lit, Daniel Bertrand y voit plutôt une « source de revenus fantastique pour les libraires qui en ont besoin. Ça fait rentrer des gens dans le magasin, ça fait faire des ventes parce que les gens sortent [souvent] avec plus d’un livre, et pas juste de la chick lit. »

Les chiffres le montrent bien, soutient Guillaume Sabino, directeur commercial adjoint chez Prologue, un des principaux distributeurs de livres francophones au Québec. Sur plus de 2 millions de livres vendus en littérature, en 2020, 208 442 étaient dans la catégorie littérature féminine. Avec près de 10% de part de marché, elle se taille une place derrière le roman, le roman policier et le roman historique. Une catégorie stable depuis plusieurs années, indique monsieur Sabino : « Les lectrices sont fidèles. Elles attendent les nouveautés de leurs autrices préférées, mais sont aussi avides de découvrir de nouvelles autrices. » Un engouement fort qui séduit la dizaine de maisons d’édition québécoises qui puisent dans ce registre d’histoires.

Marie-Pier Luneau y va de ce constat : « Le danger avec l’étiquette de chick lit, c’est que, comme dans n’importe quoi, il y a du meilleur et du pire. C’est une littérature qui est plus complexe que ça en a l’air et qu’on n’essaie pas de comprendre. On la rejette souvent à partir de ses pires exemples. »

Ça fait lire les gens, relate du même souffle monsieur Sabino : « Les gens découvrent souvent la littérature par ce genre de livre et vont ensuite lire autre chose. C’est une sorte de porte d’entrée », affirme-t-il. « Si vous saviez le nombre de lectrices que je vois dans les salons du livre qui disent : “avant, je ne lisais pas”, raconte Daniel Bertrand. On n’enlève pas des lectrices à d’autres genres littéraires. On crée une base de lectrices. C’est bon pour toute l’industrie de l’édition. »

Rafaële Germain renchérit : « Les commentaires qui me restent encore en tête sont [notamment] ceux des gens qui me disaient qu’ils n’avaient jamais lu de roman auparavant. J’étais toujours contente d’entendre ça — j’espère que dans certains cas la porte est restée ouverte. »

Sans hésitation, Daniel Bertrand croit que ce type de littérature est amené à évoluer, mais est là pour rester : « La chick lit, c’est se faire plaisir. Comme lorsqu’on voit une délicieuse boîte de chocolats et qu’on se dit : je me fais plaisir. C’est ça, la chick lit. Un titre drôle, une couverture bonbon. Ça ne déçoit pas. La lectrice va dire : “Ah! c’est ça dont j’avais besoin.” »


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