Des premiers romans à surveiller

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Acte de bravoure s’il en est, la publication d’un premier roman est toujours un événement important : écrire un ouvrage, y apposer son nom puis le laisser vivre loin de soi, au vu et au su de tout un chacun, c’est oser se commettre. Cette année, attention : les nouveaux poulains sont aussi féroces que talentueux et ils méritent assurément qu’on s’attarde aux mots qu’ils nous offrent. À votre tour, lecteurs, d’oser plonger.  

UNE HISTOIRE SANS PAILLETTES

Coco
Antoine Charbonneau-Demers (VLB)

À 21 ans, Antoine Charbonneau-Demers dépose à la poste une histoire surprenante et audacieuse. Lorsque Coco paraît, c’est accompagné du bandeau du prix Robert-Cliche du premier roman. C’est que l’auteur, qui a fait le conservatoire de théâtre et qui est originaire de Rouyn-Noranda, a osé la satire en s’attaquant aux complexes limites entre le jeu et le réel. Il y décrit la relation ambiguë, caustique et, il faut le dire, malsaine qui se tisse entre un élève excessif et sa professeure de théâtre, une ancienne grande actrice qui, chaque soir, se suicidait sur les scènes new-yorkaises dans son rôle de Kamelia Kaze. Sous son emprise, il est aveugle à la démolition qui a court, tout comme elle. Oui, la proposition est audacieuse, mais les mécaniques fonctionnent habilement.

L’étincelle : J’ai écrit Coco quand j’ai commencé à lire pour vrai, assez tard. J’avais besoin de raconter, et de mélanger le fantasme à mon expérience pour créer une histoire qui me ressemblerait, mais qui ferait référence à un territoire émotif commun. La littérature était alors pour moi le meilleur terrain.

Le processus créatif : J’ai surtout écrit dans des périodes de vacances, pendant quatre ans, de temps en temps. Maintenant, j’essaie d’écrire chaque jour. J’ai longtemps cherché le caractère sacré de l’écriture, et ça me tuait. Aujourd’hui, peu importe les conditions, j’écris avec un seul but : raconter une histoire qui fait vivre quelque chose, en essayant tant bien que mal d’éviter les stratégies intellectuelles.

Votre passage favori : « Pourquoi la vie s’est-elle terminée si souvent pour moi, alors qu’elle commence tous les jours pour ceux que j’aime?

Je m’apprête à pleurer. Je pense à Marie-Thérèse, pour qui tout mon amour s’est épuisé, et qui tourne son autotéléréalité. »

 

LE ROMAN DE L’IMAGINATION

Je ne suis pas de ceux qui ont un grand génie
Sévryna Lupien (Stanké)

Sévryna Lupien a 32 ans, demeure à Québec et possède une maîtrise en arts visuels et médiatiques. Elle a créé de toutes pièces le personnage d’Auguste, valeureux héros qui découvre candidement la vie grâce aux référents qu’il arrive à glaner ici et là. Cousant ensemble des parcelles de vérité, qu’il découvre au gré de ses touchantes rencontres, il se façonne tranquillement une existence bien à lui, se forgeant un répertoire de souvenirs. Ce roman adroit dans sa structure autant que dans sa narration rappelle au premier coup d’œil le roman La vie devant soi, puis le film La vie est belle. Et finalement, on découvre une œuvre tout à fait unique, qui surprend. Si Auguste n’est pas de ceux qui ont un grand génie, il est certes de ceux qui ont une grande imagination…

L’étincelle : C’est le titre qui est venu en premier. C’était en 2010, je crois. J’étais dans le grand ménage de mon atelier et cette phrase m’est venue en tête. J’ai ouvert l’ordinateur pour la noter. J’ai arrêté d’écrire cinq jours plus tard, à la fin de la troisième partie. J’ai enregistré le tout et je me suis relue. Ce fut une longue illumination spontanée en quelque sorte!

Le processus créatif : Je n’ai pas de routine d’écriture fixe. Je suis incapable de faire des plans ou d’écrire chaque jour. Pourtant, j’écris souvent, mais tout ce que j’écrivais en lien avec ce roman n’était pas juste. En 2014, je suis retombée sur le texte pendant une résidence de création au Kentucky et une idée m’est venue pour la fin. Une semaine plus tard, j’avais terminé ce que je considérais comme mon premier vrai roman. En 2015, j’ai officiellement envoyé mon manuscrit dans l’univers!

Votre passage favori : « J’ai appris un jour que nous avions tous un arbre généalogique. Ça veut dire qu’on a des descendances humaines qui sont dans les branches de l’arbre. C’est étrange, je pensais qu’il fallait dire qu’on avait des racines, pas des branches. Enfin, ça n’enlève rien au principe de la généalogie. J’étais simplement déçu parce que si ça avait été des racines, personne n’aurait vu que je n’en avais pas. »

 

LE ROMAN DE LA DISSOLUTION

Marée montante
Charles Quimper (Alto)

Charles Quimper est né à Québec en 1977. Familier avec le milieu littéraire pour avoir été durant plusieurs années libraire, il signe avec Marée montante un court roman narré par un homme, dérivant sur un voilier, qui caresse les souvenirs de sa fillette, évaporée dans les eaux cruelles. Si ce texte ne fait que soixante-sept pages, c’est pour mieux toucher de sa poésie la douleur et embrasser avec douceur l’indescriptible, c’est pour dessiner avec concision les contours de la vie de ceux qui restent, et qui se méfient maintenant de l’eau qui dort…

L’étincelle : 
Un jour dans le journal, on relatait une noyade survenue dans une piscine.  Ça m’avait marqué, cette façon d’annoncer la fin du monde de quelqu’un, avec une économie de mot aussi énorme. Je me suis demandé comment je réagirais si je perdais mon enfant dans des circonstances semblables et  j’ai élaboré cette histoire où primerait la folie. La beauté aussi.

Le processus créatif : J’écris très de bonne heure. Je me lève bien avant l’aube : soit très tôt le matin ou très tard dans la nuit, c’est selon. À cette heure, tout le monde dort, je me retrouve alors seul au monde, et j’ai tout mon temps pour écrire sans me presser. J’ai mis plusieurs mois à l’écriture du jet initial, et près d’un an à la réécriture. Je voulais que chaque phrase soit spéciale, que chaque mot pèse lourd, soit indispensable. Je tenais à écrire un roman très court, bref mais percutant.

 Votre passage favori : 
« J’imagine l’encre de mes tatouages se liquéfier soudainement sous l’effet du soleil de midi, j’imagine mon encre ruisseler partout sur mon bateau jusque dans le vaste océan, trouver refuge près de toi, mon encre formant pour toi écran contre les prédateurs, rempart contre les lames de fond, puis échelle, puis filet. Jusqu’à moi. »

 

NOSTALGIE D’UN AMOUR

Souffler dans la cassette
Jonathan Bécotte (Leméac)

Souffler dans la cassette s’inscrit parfaitement dans le catalogue jeunesse de Leméac, entre un Simon Boulerice et une Linda Amyot à qui il emprunte de nombreuses qualités. Écrit dans une poésie narrative libérée des règles, ce premier roman du Montréalais Jonathan Bécotte nous plonge le temps d’un été au centre de l’amitié amoureuse entre deux compagnons du primaire, deux voisins de rue et de pupitre. Si tout est évoqué rapidement – souvenirs, odeurs, émotions propres à l’enfance –, ce n’est pas sans finesse ni profondeur, bien au contraire. Les jeunes trentenaires y reconnaîtront les nombreuses références culturelles – le Nintendo, Les Zigotos, le Canal famille et l’indémodable papier construction –, qui ajoutent une touche de magie à ce roman des souvenirs.

L’étincelle :
Il y a deux ans, mon père s’est donné comme projet de faire un grand ménage du sous-sol de la maison dans laquelle j’ai grandi. Un soir de semaine, sans prévenir, il est venu me livrer une boîte de carton avec mon nom en lettres moulées et un scotch tape retroussé, contenant mes vieux cahiers d’école primaire, ma console de jeux vidéo de l’époque, mon cartable de cartes Pokémon et un album rassemblant une centaine de pages de magazines avec des photos des Spice Girls. Ça sentait mes 10 ans. J’ai écrit les premiers passages le soir même.

Le processus créatif :
J’aime écrire dans un chaos organisé; j’ouvre plein de livres qui m’inspirent et les dispose un peu partout dans la pièce dans laquelle je me trouve. C’est ma façon de faire peur à la page blanche. Je l’intimide, entouré de mes écrivains préférés.

Votre passage favori :
« On a partagé la même chaudière
Pour laver notre pupitre.
Les retailles de Mirado HB,
Des nénuphars dans l’eau vinaigrée. »

 

LE ROMAN DU FROID

Écorchée
Sara Tilley (Marchand de feuilles)

Lors de sa parution en anglais en 2008, le roman de Sara Tilley avait fait grand bruit, remportant autant les éloges que les prix littéraires. Traduit de main de maître par Annie Pronovost, Écorchée amalgame à la perfection le récit d’apprentissage dans le Grand Nord – on pense à Nirliit – au roman de quête de sens par l’art – on pense à La femme d’en haut. Dans une écriture à la fois solide, précise et poétique, on découvre en deux temps la protagoniste : un chapitre sur deux, on se laisse happer avec cette jeune Terre-Neuvienne de 12 ans par les vents froids et la violence du choc culturel que crée en elle Sanikiluaq, ville inuite qu’elle habite le temps d’une année; puis, un chapitre sur deux, on la retrouve, dans la vingtaine, qui tente de recoller les morceaux égarés dans son enfance en plongeant à la fois dans l’art et les autres échappatoires. Un roman d’une beauté égale aux paysages que Tilley évoque. 

L’étincelle
Cela a commencé avec le désir de raconter des moments de mon enfance dans le nord du Canada avant de les oublier. Tandis que j’écrivais ces anecdotes sur le lieu, des personnages ont commencé à émerger, esquissant ensemble ce qui m’est apparu comme un roman sur le passé et le présent, l’adulte-enfant et l’enfant-adulte.

Le processus créatif
J’ai plusieurs champs d’activité, et quand je travaille pour le théâtre, je n’écris pas du tout. Puis la faim d’écrire me gagne, et j’ai hâte de retourner à la solitude de l’écriture. Pour Écorchée, il a fallu huit ans jusqu’à la publication, en partie parce que j’avais d’autres projets en même temps. Le point de départ n’était pas l’intrigue, mais une impulsion, une sensation. Des photos d’enfance, d’anciennes vidéos et de la musique m’ont aidée à évoquer le cadre du roman.

Votre passage préféré :
Si je rêve que je suis en train de couper des tomates, c’est là-bas que je les coupe, là où les tomates sont fictives. En rêve, tu es avec moi, et je ne sais pas pourquoi. Je ne me souviens pas pourquoi. La plupart du temps, tu coupes des concombres.

C’est une blague. Tu n’as probablementjamais mangé de concombre. C’est délicieux. Ça goûte comme du vitrail. Et une tomate fraîche. C’est ferme, comme de la viande, avec ces surprenantes poches de gel et de graines au milieu de la chair.

 

LE ROMAN DES QUESTIONNEMENTS

Une irrésistible envie de fuir 
Catherine Bellemare (David)

C’est en jouant avec les codes de l’autofiction que Catherine Bellemare, une touche-à-tout du milieu des lettres (auteure, réviseure, traductrice, rédactrice), nous révèle un personnage à fleur de peau. Émilie est à la croisée des chemins : sa vie, convenable, ne lui convient plus. Elle a besoin de se sentir vivre, de trouver un chemin jusqu’à elle, même si cela consiste à souffrir pour ressentir. Et Anna sera alors celle qui se dressera sur l’une des avenues. Un premier roman intimiste, rageur, qui aborde la maladie et le manque et qui cadre parfaitement dans la collection « Indociles » de l’éditeur. 

 

L’étincelle :
Rainer Maria Rilke a déjà écrit : « A work of art is good if it has arisen out of necessity. » Je ne pourrais pas mieux l’exprimer qu’à travers cette phrase. À un certain moment, j’ai senti que je devais le faire, que je devais écrire. Même si ça ne devait être que pour moi.

Le processus créatif : 
Lorsqu’il s’agit de composer, j’ai beaucoup de difficulté à m’imposer une structure. Pour ce roman, j’ai amassé plusieurs textes écrits depuis l’adolescence, mais sans avoir réellement l’intention de les utiliser. J’étais surtout à la recherche d’une piste, quelque chose qui m’animerait suffisamment pour y consacrer plusieurs chapitres. Au bout du compte, c’est lorsque j’ai abordé ce dont j’avais le plus peur que mon roman a fini par prendre forme.

Votre passage favori :
« Le teint livide, abominé par le manque. S’anéantir par micro-fragment. La mort en érection, bandée devant tant de signes avant-coureurs. S’insurger contre ce qui se fait attendre et raisonne, patiemment contre les tempes. Le corps en fin de parcours qui, tout compte fait, obéit. Combattre l’existence par la nécessité du vide jusqu’à l’ultime dessein, puisque la faim justifie les moyens. »

 

LE ROMAN DES FRISSONS

Anne-Renée Caillé
L’embaumeur (Héliotrope)

Tiré de conversations avec son père – embaumeur de métier –, le court roman de la Montréalaise Anne-Renée Caillé donne voix à un homme qui a côtoyé la mort de près, en a été un témoin curieux. Dans une langue libérée et sous un sobre vocabulaire, on découvre la vie en points de forme d’un être qui a rendu un dernier hommage à ceux qui ont trépassé, simplement ou avec éclats. La doctorante de l’Université de Montréal dont on peut lire les textes avisés dans la revue Liberté use d’une langue bien à elle et nous offre ainsi une plongée derrière une porte habituellement fermée.

L’étincelle : En 2010, mon père me parle de ce corps qu’il avait dû embaumer, celui d’une femme dans un hôpital psychiatrique, la peur était imprimée dans son visage et ses bras, pétrifiés. Il ne m’avait jamais parlé de son travail en vingt-sept ans. J’en ai fait un poème le lendemain. Et il a accepté de m’en dire plus.

Le processus créatif : J’écris vite et jamais très longtemps. Le matin surtout. Et pas chaque jour. Je dois avoir un projet : écrire sans but relève peut-être plus du chantier « intime » et n’est pas intéressant pour les autres. Le projet devient le moyen pour sortir un peu de soi. L’embaumeur s’est écrit vite, en quelques mois. Par contre, le soumettre officiellement à un éditeur m’a pris des années.

Votre passage favori : 
[…] la femme vient voir son mari au laboratoire une dernière fois et elle veut l’embrasser.

L’œil sorti de son orbite repose sur un bout de joue, il me dit il n’y a pas d’endroit où l’embrasser rien que l’on puisse encore définir comme visage ou partie, il reste un menton peut-être, c’est la seule chose qui restait.

C’est là sur le menton qu’elle embrassera son mari pour la dernière fois.

 

D’autres premiers romans à surveiller de près :

Le cœur de Berlin
Élie Maure (Les Allusifs) 
Le Berlin du titre, c’est le chien du protagoniste principal qui, alors qu’il se fait euthanasier, réveille en son maître le besoin de revenir sur son histoire familiale et son enfance en Afrique du Nord, de retrouver sa sœur, de faire la paix. L’écriture imagée de la Montréalaise Élie Maure déconcerte et charme à la fois : c’est simple et efficace.

Les hyènes rôdent toujours
Caroline Auger (Soulières éditeur)

En nous présentant ce premier roman comme un kaléidoscope, où chaque chapitre nous donne à voir un nouveau morceau de l’histoire sous un nouvel angle, Auger aborde les thèmes du racisme et de l’amitié. Prisca, une jeune Rwandaise installée à Montréal, reçoit d’étranges menaces, évoquant le conflit Tutsis-Hutus. Elle se confiera alors à sa voisine, avec qui elle développera une forte amitié au gré des aventures – pas toujours jojo. Pour les jeunes qui aiment frissonner et ouvrir leur horizon! Dès 12 ans

Zone de proximité
Nicole Vachon (XYZ)
Cinq jours, dix règles : voilà les deux certitudes que possède Hélène, alors qu’elle accompagnera Gabriel, cet homme aphasique qu’elle connaît peu, dans des jours sombres. Ce roman de facture classique met en scène des protagonistes d’une grande humanité et à la psychologie bien ficelée, qui abordent de front la question du suicide.   

 

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