Cultures autochtones : Regards plus respectueux

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Après des siècles de présence européenne en terre d'Amérique, comprend-on les cultures autochtones ? À peine veut-on répondre que déferlent les nuances à la saint Thomas : « Sous tel aspect, oui ; sous tel autre, c'est encore l'ignorance ou l'indifférence. » Pourtant, les excuses se font rares, car beaux livres et documents éclairants éveillent au respect.

Beau et traditionnel

Dans Le Refus de l’oubli1, l’art inuit révèle plusieurs de ses facettes. L’auteure présente, en effet, tantôt des oeuvres de style (presque) familier, tantôt celles où l’artiste inuit interprète librement la vie moderne. Le contraste est patent. Comme le succès commercial va aux oeuvres liées à un monde révolu, l’artiste doit choisir : passéisme rentable ou authenticité peu propice à la vente. Les choix des acheteurs repoussent-ils l’art inuit hors de la vie ?

Arborant le titre sobre et ambitieux d’Indiens2, l’ouvrage de Marie-Hélène Fraïssé tient bellement ses promesses. En plus de puiser dans le bagage photographique d’Edward S. Curtis, l’auteure fréquente aussi amicalement les Hopis que les Inuits, les récits fondateurs que les souffrances modernes des Indiens. Elle aborde avec tact des thèmes souvent occultés, de l’esclavage à l’ambiguïté sexuelle. L’Indien n’est pas canonisé, mais les pouvoirs blancs encaissent. Textes nets, photos émouvantes.

Un album portant trois signatures et intitulé Le Premier Printemps du monde3 mérite tous les détours et tous les auditoires. Le beau est là, la genèse innue déploie son étrangeté, jeunes et adultes sont placés devant une riche spiritualité.

Rééditant Arts traditionnels des Amérindiens4, Michel Noël rend hommage à la beauté des objets et à l’ingéniosité des artisans. Vocabulaire précis sans préciosité. Textes intelligents au sujet de l’objet ou du sens de la parure. Fort honnêtement, on distingue techniques modernes et dextérités traditionnelles.

Michel Noël ne s’arrête pas là. Dans son superbe Splendeurs amérindiennes5, la poésie du texte le dispute à l’éloquence des oeuvres reproduites. La famille et la nature façonnent l’âme, la culture amérindienne enseigne à remercier la vie, les voracités capitalistes sonnent comme des sacrilèges. Les dessins et les oeuvres choisies tiennent la nostalgie à distance, tant elles offrent couleur, confiance, fierté. Prenant.

Aux sources

Deux classiques relatent les premiers contacts avec les Amérindiens : Gabriel Sagard6 et Nicolas Perrot7. Le premier est un récollet polyglotte qui s’aventure dans le domaine huron ; le second, domestique chez les Sulpiciens, tâte des langues amérindiennes et glisse vers le truchement. Dans les deux cas, les textes sont livrés avec la rigueur usuelle de la Bibliothèque du Nouveau Monde. Le regard, parfois choqué, sait se faire admiratif : « … j’ai trouvé plus de bien en eux, écrit Sagard, que je ne m’estois imaginé » (p. 152). Quant à Perrot, il déclare les Hurons capables de traîtrise, mais juge plus durement les envahisseurs européens. Lire Perrot dans l’édition de 1864 de Jules Tailhan8, c’est choisir le texte nu et se débrouiller sans filet.

Sans viser surtout les Amérindiens, le récit de Saint-John de Crèvecœur9, que commente la géographe Françoise Plet, en dit long à leur sujet. L’accent est mis, non sur le contraste entre l’occasionnelle férocité des Amérindiens et leur habituelle douceur de vivre, mais sur leur relation avec l’espace. Avec justesse, l’auteure écrit : « Les Amérindiens représentent le territoire hérité et convoité » (p. 355). Crèvecœur, sympathique aux Amérindiens, sait qu’ils subiront la loi du conquérant.

Une foi maladroite

La biographie que consacre Emmanuelle de Boysson à Madeleine de la Peltrie10 recrée avec une crispante fidélité les préjugés des élites françaises de l’époque. On méprise les valeurs amérindiennes, on impose des coutumes inadaptées, on arrache les fillettes à leur milieu. Fidèle et choquant.

L’oblat René Fumoleau11 propose la même foi, mais avec respect et humour. De succulentes anecdotes mettent les Autochtones en valeur, moquent les Blancs vaniteux, s’achèvent en rires. Ma préférée : celle où une Dénès du nom de Rosalie exige sa pension de vieillesse d’une fonctionnaire. Celle-ci refuse  : son registre dit que Rosalie n’a pas 65 ans. « Mais Tim a eu son chèque ! » ; « Tim a 65 ans, pas vous ! » Réplique de Rosalie : « Tim est mon fils ! » C’est frais, drôle, amical.

Le respect de l’Amérindien est partout chez le théologien Achiel Peelman12. Il se soumet aux rituels purificateurs des Premières Nations. Il oublie un instant la doctrine pour suivre la spiritualité amérindienne qui voit la foi comme un événement. Une formule revient : « Ensemble pour prier, et non pas prier ensemble. »

L’anthropologue Rémi Savard, toujours impressionnant d’intégrité, de curiosité et d’empathie, renouvelle une fois encore la lecture des récits fondateurs du peuple innu13. Il ne s’agit pas de légendes, mais de mythes par lesquels le peuple innu s’explique à lui-même le sens du monde, exactement comme d’autres utilisent la Bible ou l’épopée de Gilgamesh. Quatre récits sont racontés et font l’objet d’une exégèse fiable et ingénieuse. Mine de rien, Savard pose des questions dérangeantes. Ainsi, « l’hypothèse du pont terrestre entre la Sibérie et l’Alaska » aurait perdu son monopole (p.163). Récits fondateurs et avancées scientifiques se relancent les uns les autres.

Le présent et l’avenir

Vingt-cinq ans après la signature du document, l’heure a sonné d’un Regard sur la Convention de la Baie-James et du Nord québécois14. Exercice exigeant, fécond, révélateur. On ne sait trop ce qui surprend le plus : la précipitation avec laquelle le Québec a ouvert ses chantiers, le choc provoqué par le jugement Malouf bloquant l’intrusion hydro-québécoise, la rapidité avec laquelle (deux ans) on a rédigé la convention… Vingt-cinq ans plus tard, les bilans diffèrent. Les Amérindiens notent des progrès, les Inuits en voient peu. Le gouvernement québécois fait ses classes, Hydro-Québec étale sa bonne conscience, tous disent que la Convention n’a pas prévu le suivi. Travail structuré, opinions articulées, ouverture d’esprit en progression.

Bibliographie :

1.Le Refus de l’oubli : Femmes-sculptures du Nunavik, Céline Saucier, L’instant même, 191p., 54,95 $
2.Indiens, Marie-Hélène Fraïssé, Éditions du Chêne, 192 p., 79,95 $
3. Le Premier Printemps du monde, Rémi Savard, Catherine Germain & Geneviève Côté, Les 400 coups, 48 p., 14,95 $
4. Arts traditionnels des Amérindiens (n.é.), Michel Noël & Jean Chaumely, Hurtubise HMH, 192p., 49,95 $
5. Splendeurs amérindiennes, Michel Noël & Jacques Néwashish, Henri Rivard Éditeur, 200 p., 135 $
6. Le Grand Voyage au pays des Hurons suivi du Dictionnaire de la langue huronne, Gabriel Sagard,édition critique par Jack Warwick, BNM/PUM, 530 p., 70 $
7. Mœurs, coutumes et religion des Sauvages de l’Amérique septentrionale, Nicolas Perrot, édition critique par Pierre Berthiaume, BNM/PUM, 590 p., 70 $
8. Mémoire sur les mœurs, coustumes et religion des sauvages de l’Amérique septentrionale, Nicolas Perrot, Comeau & Nadeau/Agone, 248 p., 13,95 $
9. Une géographie de l’Amérique du Nord à la fin du XVIIIe siècle : Saint-John de Crèvecœur : Voyage dans la Haute Pennsylvanie et dans l’État de New York depuis l’année 1785 jusqu’en 1798, Françoise Plet, Presses de l’Université de Vincennes/XYZ, 400 p., 29,95 $
10. L’Amazone de la foi, Emmanuelle de Boysson, Presses de la Renaissance, 450 p., 34,95 $
11. Cinquante ans chez les indiens Dénès, René Fumoleau, Geste Éditions, 235 p., 25,95 $
12. L’Esprit est amérindien, Achiel Peelman, Médiaspaul, 162 p., 22,95 $
13. La Forêt vive, Rémi Savard, Boréal, 216 p., 25,95 $
14. Regard sur la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, Alain-G. Gagnon & Guy Rocher,Québec Amérique, 610 p., 34,95 $

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