Bilan fiction québecoise 2012: Crier, en toute beauté

3
Publicité

Faire entendre sa voix, pousser un cri pour s’éveiller, pour éveiller. En 2012, plusieurs ont su imposer leur parole au-dessus du chant ambiant. Douce, colérique, revendicatrice ou tout simplement présente, une voix, dit-on, portée par l’écrit comme un souffle de vie. Voici celles qui, en marquant au fer rouge la fiction des derniers mois, se sont détachées du chœur.

Plusieurs disent qu’il est la voix de la génération X, d’autres maintiennent que la ressemblance avec Orange mécanique est non négligeable. Alexandre Soublière, avec son roman bourré de néologismes, d’anglicismes et d’impudence, dépeint le quotidien d’un jeune homme dans la vingtaine, que la société purge mais que l’amour expurge. Charlotte before Christ (Boréal) est un premier roman audacieux, qui ose parler, crûment parfois mais en toute authenticité, d’amours actuelles, de doux rebelles et, somme toute, d’une époque bien réelle.

Parmi les autres jeunes auteurs qui ont su s’imposer, allumons les projecteurs sur Vickie Gendreau, que Le Quartanier a révélée en 2012 grâce à Testament, son ultime cri devant la vie qui s’enfuit. Figure de la scène littéraire underground de Montréal, danseuse nue durant trois ans et atteinte d’une tumeur au cerveau, Vickie Gendreau est d’abord et avant tout une écrivaine qui sait manier la plume dans l’urgence pour exploser sa douleur et son amour, dans une exploration bien loin de l’apitoiement et pourtant sans vernis. Au final, un cri de confrontation qui nous traverse de sa poésie.

Nouvelliste de talent qui aura marqué le Québec en 2012 tant par la sortie d’Éclats de lieux (Lévesque éditeur) que par son triste décès, Aude aura néanmoins eu la chance de laisser, une dernière fois, courir ses mots, ses phrases si précises, afin d’imprégner ses lecteurs d’une émotion indéniable. Son dernier recueil aborde la mort, certes, mais également l’espoir. D’une belle densité, Éclats de lieux est un hymne à l’écriture et à la vie, l’ultime souffle arraché à une grande dame des lettres d’ici.

Magnifique récit tout en concision d’un chauffeur de corbillard qui joue avec la langue et ne s’en laisse pas passer par la mort, Les doigts croisés(Jocelyn Lanouette, XYZ) fait partie des premiers romans qui s’inscrivent, tout en luminosité, dans la crème des récentes parutions.

Passons de la mort à l’amour avec Une femme comblée, publié chez Prise de parole. S’y dévoile le désir d’une femme, qui n’a plus 20 ans, mais qui ressent encore au creux de son ventre les papillons d’un amour naissant. Le désir d’une mère, envers l’ami de son fils. Le long cri de résilience qui confronte l’appel des sirènes, cet autre cri de tentation. Un roman écrit avec fougue, justesse et intelligence; c’est l’histoire superbe d’un amour de midinette dans un corps de femme mûre. Brigitte Haentjens, metteure en scène émérite et novatrice, prouve ici qu’elle est aussi habile avec l’art romanesque que théâtral.

Haut et fort, crier les secrets recueillis comme un gamin ne pouvant s’en tenir à la discrétion tant l’excitation le hante. Voilà ce que nous propose Chaque automne j’ai envie de mourir, recueil de monologues inspirés de vrais secrets offerts par la communauté et qui furent mis en scène lors du Carrefour international de théâtre. Ce petit livre, une petite bombe qui se lit comme un roman et qui renferme autant de sourires que de larmes, autant de colère que d’affranchissement, est écrit dans une langue actuelle qui se fond et se transforme en trente-sept voix uniques pour nous livrer cette plongée dans la vie, banale ou dramatique, d’autant de personnages. Signé Véronique Côté et Steve Gagnon, ce livre est d’une sensibilité éblouissante.

Ses pièces font maintenant partie du panthéon de la dramaturgie québécoise; son œuvre joue habilement avec les thématiques de l’identité, des liens familiaux et de l’exil : Wajdi Mouawad fascine au point de chambouler ses lecteurs, il frappe l’imaginaire comme peu savent le faire. Anima (Leméac), son premier roman proprement dit, prête voix à des narrateurs animaux qui suivent le chemin d’un veuf en quête de réponse à travers les Amériques. Notes sensibles et gammes harmonisées dans ce roman qui a mis sept ans à voir le jour.

Carnet d’observations d’un homme à la sensibilité aiguisée, Choses vues(Oie de cravan) regroupe ces moments magiques d’un quotidien qui devient poétique, sous l’œil du passant prenant tout simplement le temps de s’y attarder. Thierry Horguelin dérobe au vol des parcelles d’images en mouvement qu’il fige par ses mots, pour faire cesser le temps et nous laisser le loisir de nous imprégner de ce que, trop souvent, nous oublions de regarder. D’une criante beauté, d’une étonnante simplicité et d’une déroutante acuité : un recueil qui n’a pas fini de se faire remarquer.

Jeune prodige de l’écriture, un prix Robert-Cliche en poche et un roman tout frais placé en rayons nouveautés des librairies, Olivia Tapiero aura fait parler d’elle en 2012 grâce à Espaces (XYZ). Ce récit tout en nuances et en ambiances donne voix à une narratrice qui traverse sa vie autant que les lieux physiques comme le ferait un fantôme : sans laisser de traces et avec une froideur électrisante. Lente descente dans la profondeur de l’esprit d’une narratrice en quête d’elle-même, cet ouvrage dénote la sagesse et le talent de celle qui a couché sur papier un récit intimiste réussi.

Du côté des traductions, soulignons que plusieurs libraires ont littéralement craqué pour le western déjanté signé Patrick de Witt, paru sous le titre Les frères Sisters (Alto). Deux acolytes à faire mourir de rire, deux tueurs à gages dont l’un remet en question sa profession : décidément, une rafraîchissante virée dans l’Ouest!

Autres voix marquantes de 2012 :
Pierre Szalowski | Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul? (Hurtubise)
Marc Séguin | Hollywood(Leméac)
Hélène Dorion | Cœurs, comme livre d’amour (L’Hexagone)
Daniel Grenier|Malgré tout on rit à Saint-Henri (Quartanier)
Louise Warren | Anthologie du présent (Du passage)

 

TOP 3 – Fiction québécoise
Par la librairie Du Soleil, d’Ottawa

Griffintown
Marie-Hélène Poitras, Alto, 216 p., 22,95$
Montréal comme on ne la connaît pas. Montréal qui sent la poussière, le foin, l’eau croupie et le crottin. Des personnages forts et brisés, hideux et sublimes. Un western moderne qui lève le voile sur l’univers des cochers et détruit au passage notre conception romantico-rustique du cow-boy urbain.

Les truites à mains nues
Charles Bolduc, Leméac, 144 p., 13,95$
Peut-être les trentenaires seront-ils particulièrement sensibles à la beauté de ce recueil. Ils y reconnaîtront leurs craintes, leurs désillusions et aussi leurs espoirs. Mais la plume de Charles Bolduc, elle, par sa justesse, sa sensibilité et sa poésie, saura émouvoir les lecteurs de tout âge.

Mayonnaise
Éric Plamondon, Le Quartanier, 214 p., 22,95$
Mayonnaise est le deuxième tome de la trilogie « 1984 » d’Éric Plamondon. Cette fois, l’auteur entrecroise la vie de son alter ego, Gabriel Rivages, avec celle de l’écrivain américain Richard Brautigan. On dévore ces récits-biographies qui confirment l’émergence d’une nouvelle plume. À découvrir sans faute.

 

TOP 3 – Fiction québécoise
Par la librairie Alire, de Longueuil

La fiancée américaine
Éric Dupont, Marchand de feuilles
Captivante histoire de famille se déroulant sur un siècle, ce roman-fleuve impressionne par son souffle romanesque, sa construction habile et surtout, ses personnages flamboyants. Ce livre saura plaire tant aux amateurs de romans populaires, dans le sens le plus noble du terme, qu’aux férus de littérature les plus exigeants.

Le Christ obèse
Larry Tremblay, Alto
À la fois plongée très troublante au cœur des questionnements identitaires et réflexion sur le bien et le mal, la souffrance et la culpabilité, ce roman hitchcockien fascinera et bouleversera les lecteurs qui ne craignent pas d’être troublés.

Javotte
Simon Boulerice, Leméac
Boulerice compose un récit saisissant et totalement hypnotisant en revisitant le conte de Cendrillon. Javotte, une adolescente mal dans sa peau, mal aimée, sensuelle, cruelle et envieuse, cristallise toute la souffrance et la puissance de cet âge qu’on dit ingrat. Culture populaire et références classiques se marient adroitement pour inscrire ce livre dans l’inconscient collectif de façon fort émouvante.

Publicité