Meurtres en série, jazz et femmes fatales!

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Par essence, le polar est un genre littéraire conventionnel, avec des contraintes narratives assez strictes (crime, enquête, résolution). Pourtant, en dépit de ces codes figés, certains écrivains talentueux n'en finissent pas de nous surprendre, comme en témoignent les quatre romans suivants.

Avec Håkan Nesser, Jo Nesbrø, Arnaldur Indridason, Åke Edwardson et quelques autres, l’écrivain norvégien Kjell Ola Dahl appartient à cette nouvelle vague d’auteurs de polars scandinaves qui ont profité de la renommée d’Henning Mankell pour envahir les marchés francophone, allemand et nord-américain. Le quatrième homme, son troisième polar publié dans la collection «Série Noire», est aussi son meilleur! La situation initiale est commune à bien des romans noirs: au cours d’une affaire de routine, Frank Frolich, un inspecteur de police, rencontre Elisabeth, une ravissante jeune femme dont il tombe éperdument amoureux. Devant le mutisme de la belle, qui cultive un certain mystère, il décide de l’espionner. C’est ainsi qu’il découvre qu’elle est la sœur de Johnny Faremo, une figure centrale de la pègre, et qu’elle entretient des rapports intimes avec sa professeure de faculté. La situation se corse quand la bande de Johnny abat un vigile pendant une attaque à main armée. Au tribunal, Elisabeth leur fournit un (faux) alibi avant de disparaître dans la nature. Rien ne va plus pour le malheureux policier au cœur brisé, dont la liaison fatale est étalée au grand jour. Il est mis à pied, ses collègues l’évitent et le commissaire Gunnarstranda lui-même, son fidèle ami, prend ses distances. Mais Frank est un type intègre et déterminé qui n’a rien de commun avec les épaves alcooliques, lâches et veules des récits de James M. Cain ou de Jim Thompson. Au contraire… Bien décidé à laver son honneur et à faire toute la lumière sur les agissements d’Elisabeth, il se lance dans une quête personnelle riche en (mauvaises) surprises et en rebondissements!

Exception faite des explications finales, toujours trop alambiquées dans la majorité des polars, ce roman particulièrement bien ficelé est difficile à lâcher, avec un suspense soutenu et des personnages qui ne nous laissent pas indifférents.

Changement d’époque et de décor avec Courir après le diable de David Fulmer, un excellent polar historique dont l’action se passe à Storyville, le Red Light de la Nouvelle-Orléans, en 1907. Un mystérieux tueur en série assassine des prostituées. Considérant que ces crimes sont préjudiciables à la bonne marche des affaires, Tom Anderson, le grand patron de la pègre locale, charge Valentin St. Cyr, un détective mulâtre, de faire la lumière sur ces crimes. St. Cyr, dont la principale occupation est d’assumer la protection des bordels, fait une découverte troublante: son ami Charles «Buddy» Bolden a été aperçu sur les lieux de chacun des crimes. Musicien renommé, considéré par d’aucuns comme l’un des pères fondateurs de la musique jazz, le cornettiste Bolden affiche à partir de 1907 un comportement erratique, sombre dans des accès de violence spectaculaires et se comporte de plus en plus comme un individu dangereux et irresponsable: il est le suspect idéal. Mais le détective ne croit pas à la culpabilité de son meilleur ami. Sur fond de blues et de jazz, David Fulmer excelle à dépeindre l’ambiance exotique de la Nouvelle-Orléans avec ses quartiers chauds (dans lesquels se déroulent certaines pratiques étranges qui nous sont révélées!), ses musiciens et le vaudou, omniprésent. Ce roman est le premier d’une trilogie consacrée au détective Valentin St. Cyr, un personnage haut en couleur que l’on a hâte de retrouver dans de nouvelles aventures.

Avec Peter Robinson, Eric Wright, Joy Fielding, John Farrow et quelques rares autres, Giles Blunt appartient au club très sélect et restreint des meilleurs écrivains de polars canadiens-anglais traduits en français. Quand tu liras ces mots est le quatrième opus de la série mettant en vedette l’inspecteur John Cardinal et Lise Delorme, de la police d’Algonquin Bay, un bled perdu de l’Ontario. L’histoire commence par une scène éprouvante, choquante: Catherine, la femme maniacodépressive de Cardinal, s’est jetée du toit d’un immeuble de neuf étages. Pourtant, rien ne laissait présager un tel drame puisque ce soir-là, elle était de très bonne humeur et projetait de faire quelques photos. La police est formelle: c’est un suicide. D’ailleurs, Catherine a laissé une lettre sans équivoque… Pendant que sa collègue Delorme enquête sur une affaire de pédophilie, Cardinal continue à nier l’évidence et s’accroche obstinément à l’idée que Catherine ne s’est pas enlevé la vie. À force de fouiller et d’interroger des témoins, il va découvrir d’autres cas de suicides louches. Il n’en faut pas plus pour que son instinct de limier prenne le dessus, et le voilà parti en chasse. Plus noir, plus tragique que ses romans précédents, ce polar de Blunt, émouvant et lyrique, se lit néanmoins comme un thriller, sans temps morts ni longueurs.

Même si son éditeur français s’obstine à le faire passer pour un auteur britannique, Peter Robinson, un ancien président de Crime Writers of Canada* qui vit à Toronto, est une autre vedette du polar canadien. L’amie du diable est le dix-septième roman de la série mettant en vedette l’inspecteur Alan Banks, de la police d’Eastvale. Une fois de plus, Robinson nous propose une double intrigue: alors que sa collègue Annie Cabot enquête sur le meurtre d’une paraplégique égorgée au scalpel, Banks se démène avec le cas complexe d’une étudiante violée et étranglée à la sortie d’un pub. Maître du double jeu, Robinson nous entraîne dans une histoire oppressante qui plonge ses racines dans l’affaire des meurtres en série racontée dans Beau monstre: l’infirme assassinée était l’épouse du tueur. La justice n’avait jamais réussi à prouver sa participation dans les assassinats atroces commis par son mari. Elle avait de nombreux ennemis, dont plusieurs souhaitaient sa mort. Alan Banks est un de ces personnages qu’on a beaucoup de plaisir à retrouver roman après roman. Grand amateur de musique, ni alcoolique ni dépressif, moins tourmenté que certains de ses collègues, Banks est un flic sympathique, intelligent et sensible. Seul polar de cette liste, L’amie du diable a été sélectionné parmi les 100 meilleurs livres canadiens de 2007 par les critiques littéraires du Globe and Mail. Excellent!

* Regroupement d’auteurs de romans policiers et de professionnels canadiens (éditeurs, libraires, etc.) voué a la promotion du genre à l’échelle nationale et internationale (www.crimewriterscanada.com).

Bibliographie :
Le quatrième homme , Kjell Ola Dahl, Gallimard, 370 p. | 34,95$
Courir après le diable, David Fulmer, Rivages, 352 p. | 39,95$
Quand tu liras ces mots, Giles Blunt, Du Masque, 432 p. | 29,95$
L’amie du diable, Peter Robinson, Albin Michel, 410 p. | 29,95$

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