Dans les anciennes légendes, les forêts immenses qui recouvraient le territoire avaient la réputation d’être peuplées de monstres et de créatures dangereuses. Repaires redoutables des ogres, des sorcières, des trolls et autres êtres malfaisants, refuges de brigands et de coupe-gorges, parcourues par des meutes de loups sanguinaires, elles étaient une menace pour les voyageurs qui osaient s’y aventurer, comme l’illustre à merveille la ballade classique Le roi des Aulnes, de Goethe, dans laquelle l’être maléfique poursuit un père et son fils dont il s’empare, le laissant mort. Si ces esprits malfaisants d’origine surnaturelle qui hantent les futaies inspirent surtout les auteurs de contes fantastiques, il en est de bien réels — braconniers, tueurs en cavale, prédateurs sexuels, trafiquants, et autres malfrats — que l’on retrouve plutôt dans les thématiques des thrillers et des polars contemporains. Quelques exemples…

Espace ludique pour les enfants, les promeneurs et autres amateurs de champignons, la forêt peut soudain se transformer en lieu de toutes les horreurs. « Le bout du rond-point de ma rue, c’était le paradis. Un grand bois avec des sentiers, la sainte paix pour des enfants qui souhaitent faire leurs affaires d’enfants, à l’abri des regards de ceux qui sont pus des enfants ». C’est ainsi que le jeune Baptiste, 10 ans, narrateur du Tribunal de la rue Quirion (de Guillaume Morrissette, Guy Saint-Jean Éditeur), décrit son terrain de jeu favori, sans se douter que du jour au lendemain, cet espace ludique va se transformer en scène de crime. En jouant à la guerre, un des gamins trébuche sur un os, un péroné humain ! Les analyses en laboratoire et les archives permettent d’identifier la victime : un jeune homme de Thetford Mines, disparu depuis une vingtaine d’années. Le cold case, ou affaire classée, est confié à l’équipe de l’inspecteur Héroux. Mais les jeunes du quartier se mêlent de l’enquête. Baptiste et ses amis jouent les détectives, dans l’espoir qu’une fois l’affaire résolue, ils pourront retrouver leur aire de jeu favorite, leur espace de liberté désormais marqué du sceau de l’infamie.

« Redressée sur son siège, elle interroge du regard la forêt de conifères qui se densifie à mesure qu’ils approchent de leur destination. Quel sombre secret la végétation camoufle-t-elle? » Telles sont les pensées de Lorie, dans les premières pages du polar Zec La Croche (Héliotrope), de Maureen Martineau, un court roman noir qui nous propose une excursion mouvementée et sanglante dans une forêt du Nord aussi dangereuse que belle. Pour Agathe Soulanges, la mère de Lorie, le camping sauvage au bord lac à Matte, situé dans la grande forêt de la zec La Croche, en Haute-Mauricie, était un havre de paix et de recueillement, où elle venait se ressourcer tous les étés. Jusqu’à ce jour fatidique, où elle fut violée et assassinée par un inconnu. Car une fois la nuit venue, toutes sortes de prédateurs rôdent dans ces espaces sauvages. Pour Lorie, fille d’Agathe, et ses amies Mikona et Sylvette, dont la fille ado a été agressée dans cette même forêt, l’heure de la vengeance a sonné. Avec l’aide d’un agent de la faune et d’un enquêteur de la police de La Tuque, les trois Atikamekws vont tenter de démasquer et de débusquer le tueur non identifié qui a déjà assassiné plusieurs femmes. Mais il n’est pas le seul prédateur à hanter les lieux. Une ourse gravide affamée est à la recherche de nourriture, n’importe quelle nourriture… Le dénouement sera brutal et le chant harmonieux des oiseaux sera remplacé par des cris d’épouvante et d’agonie!

« Il n’avait pas l’impression de marcher dans les bois, mais dans un conte, une légende. “Schwarzwald” : voilà un mot qui battait sous son crâne. La Forêt-Noire, région d’esprits et de sortilèges, territoire bourré d’angles morts et de plis de cape, où reposait la part la plus sombre de l’âme… » Extrait du roman La dernière chasse (Albin Michel), de Jean-Christophe Grangé, ce court texte illustre bien l’humeur inquiète du capitaine Pierre Niémans, envoyé en mission dans la Forêt-Noire allemande, un état d’esprit en phase avec l’aspect lugubre de cet environnement sylvestre dans lequel on a découvert un cadavre mutilé. C’est dans cet immense domaine boisé que la famille Geyersberg, à laquelle appartenait la victime, pratique la chasse à courre. Niémans et sa jeune partenaire Ivana ne vont pas tarder à découvrir les abominables secrets que cachent ces lieux bucoliques : les proies sont humaines, et ceux qui les traquent appartiennent aux Chasseurs noirs, un groupe composé de tueurs impitoyables qui écument les bois environnants devenus de hauts lieux de massacres d’innocents. De chasseurs, les deux flics deviennent des proies. Pour sauver leur peau et mettre fin à cette horreur, leur courage et leur endurance seront mis à rude épreuve.

Lieu de villégiature, de promenade et de repos, la grande forêt vosgienne favorise la solitude. C’est pourquoi Marc Torres, un écrivain à succès, a choisi de se retirer dans un immense domaine isolé dans ces bois. C’est là que va se jouer la tragédie de Cinq doigts sous la neige (Cosmopolis), un thriller de Jacques Saussey. Au cours d’une fête organisée par son fils Alexandre, et à laquelle participe un groupe de quinze jeunes, le ciel se couvre très vite au-dessus des sapins noirs. En quelques minutes, la neige bloque les accès et verrouille les occupants de la maison située dans un boisé silencieux et hostile. Au cœur de la nuit, l’écrivain découvre le corps inanimé d’une des jeunes femmes. Elle a été droguée et violée! Tous les indices incriminent Alexandre, qui convoitait la victime. Affolé, son père prend une décision insensée qui va le plonger, avec ses invités et leurs proches, dans une spirale infernale dont peu sortiront indemnes.

« Promenons-nous dans les bois… », comme le dit la comptine. À condition que les loups n’y soient pas!

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Quand les sorties en forêt avec enfants tournent au cauchemar…

Par Josée-Anne Paradis
Ici, âmes sensibles s’abstenir, car deux auteurs réunissent les ingrédients nécessaires pour ériger la frayeur au rang du littéraire, faisant de la forêt le théâtre d’une course contre la vie, un peu à la manière de Sa Majesté les Mouches. Dans Les lois du ciel de Grégoire Courtois (Le Quartanier), un groupe d’enfants de 6 ans, partis en classe verte, vivront les derniers effrois de leur existence. Dès les premières pages, le lecteur est averti : personne ne reviendra vivant de l’excursion. Voilà un thriller glauque, dont l’ambiance est cruellement angoissante. Mais on lira pour le plaisir de la plume, qui détourne habilement, et dans une écriture saccadée, les codes de la narration. Du côté de Nick Cutter, c’est avec Troupe 52 qu’il plonge son lecteur dans l’horreur — des scènes sordides à glacer le sang, une tension constante — alors qu’une troupe de scouts part en camping sur une île. Inspiré par Stephen King, l’auteur nous offre une balade dans le petit boisé d’une île déserte qui fera bien plus que donner des ampoules aux promeneurs…

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