Depuis trente ans, l’audacieuse maison d’édition Écosociété fait œuvre utile : bien avant tout le monde, elle a proposé des ouvrages sur des enjeux sociaux et environnementaux auxquels les médias commencent à peine à s’atteler. Pas question de s’asseoir sur ses lauriers, cependant. Elle ose encore et publie la collection « Radar », qui offre des essais aux ados.

Lorsqu’on demande à Pauline Gagnon, qui dirige la nouvelle collection, si ce n’est pas un brin risqué d’offrir des essais au public adolescent, elle répond du tac au tac : « Il y a un désert entre la littérature jeunesse et celle destinée aux ados. Après les documentaires qui pullulent du côté des enfants, il n’y a plus rien pour eux. Comment peuvent-ils s’informer, se tenir au courant? » Celles et ceux qui la connaissent savent d’ailleurs que c’est un de ses leitmotive. C’est que Pauline a œuvré comme représentante chez le distributeur de livres Dimedia pendant une trentaine d’années, d’où son flair et sa perspicacité pour bien débuter l’aventure « Radar », une collection qui promet quatre titres par année.

Bâtir une collection
Il faut le dire, s’adresser à un public adolescent est délicat, voire périlleux. Comment a-t-elle trouvé le ton? « J’ai demandé à nos auteurs de s’investir personnellement, de mettre en lumière leur propre expérience afin de bâtir leur propos. De se souvenir de ce qu’ils ont vécu, de l’événement déclencheur qui fait qu’ils ont eu envie d’écrire sur ce sujet. Leur texte doit résonner dans le quotidien des ados qui le liront. Surtout, ils ne doivent jamais, au grand jamais, écrire au tu. Et bannir le ton moralisateur et didactique. J’ai découvert que j’étais entêtée, et que je savais ce que je ne voulais pas. » Entêtée, certes, mais c’est grâce à sa sensibilité, sa pudeur, aussi, qu’elle a pu laisser toute la place à ces jeunes. « Nous avons conçu un sondage, diffusé en ligne, dont les réponses étaient entièrement anonymes. On demandait aux jeunes quels étaient leurs intérêts, leurs lectures et leurs préoccupations. Je suis aussi allée à des manifestations, et je leur ai posé des questions. D’abord rébarbatifs, ils ont répondu. » C’est donc au diapason des ados qu’elle a approché des auteurs, avec des sujets bien précis : l’amitié et la technologie.

Et comment attirer l’attention de ce public à l’intérêt délétère? « En optant pour un graphisme éclaté, confié au formidable Studio Feed, qui a conçu les maquettes et a teinté la collection d’un aspect si dynamique. » On voit ainsi des couleurs vives — turquoise, jaune, rose et bleu — habiller les deux ouvrages dont l’épine se pare également de couleurs éclatantes et au goût du jour. Il fallait surtout éviter la mise en échec du lecteur, rappelle Pauline Gagnon, afin qu’un ado moins aguerri à la lecture puisse accéder à l’information directement, notamment grâce à la phrase mise en exergue qui résume l’idée du chapitre. De plus, les chapitres sont courts et la mise en page aérée permet aux cerveaux en ébullition de prendre une grande respiration puis de replonger.

Deux premiers titres accrocheurs
Dans GAFAM, le monstre à cinq têtes, Philippe Gendreau décortique les géants du Web qui cherchent à en savoir toujours plus sur leurs utilisateurs. L’auteur, qui enseigne depuis plusieurs années aux jeunes du secondaire à se prémunir des influences des médias de masse, invite les ados à exercer leur vigilance et leur jugement face aux infos qu’ils reçoivent des GAFAM, ainsi qu’aux traces qu’ils laissent eux-mêmes sur le Web. Il le fait sans glisser dans la pédagogie ni dans la culpabilité : c’est à leur intelligence qu’il s’adresse, et il le fait avec humour et lucidité.

Camille Toffoli, lauréate du Prix des libraires en 2022 pour son essai Filles corsaires, publié chez Remue-ménage, est cofondatrice de la Librairie L’Euguélionne et collabore notamment aux revues Liberté et Lettres québécoises. Dans S’engager en amitié, le second titre lancé cette saison par « Radar », elle nous invite à mesurer la place de l’amitié dans notre vie, à la célébrer et à comprendre nos biais face à celle-ci. Elle raconte les amitiés issues du sport, celles des filles comme celles des gars, aborde la subtile frontière avec l’amour. Elle offre un essai éclairant sur ce rapport à l’autre qui nous fait grandir, et qu’on néglige pourtant si souvent.

Ouvrir l’horizon
Mais comment est-ce possible qu’aucun éditeur avant Écosociété n’ait publié d’essais destinés au public adolescent? Probablement parce que l’essai, au départ, fait un peu peur au commun des mortels, et qu’on suppose que l’adolescent ne s’y intéressera que lorsqu’il franchira l’âge adulte. Cela dit, les temps ont changé. Les jeunes, tout comme nous, ont davantage accès à l’actualité et s’en préoccupent incidemment plus, et plus tôt. Et bien que les essais fassent depuis longtemps partie du paysage québécois, il y a tout de même un intérêt plus marqué envers le genre qui émerge depuis quelques années. Qu’Écosociété ait repêché Pauline Gagnon alors qu’elle prenait sa retraite témoigne du flair que possède la maison. D’abord de lui confier ce mandat, ensuite de pressentir qu’il fallait oser l’essai, pour la génération suivante. Pari réussi! « Lorsque j’ai commencé à approcher des personnes pour leur demander d’écrire pour nous, elles ont d’emblée accepté le défi. Pourquoi? Parce que c’était Écosociété. » Une confiance, bâtie au fil des livres publiés à contre-courant. Gageons que « Radar » saura apporter aux jeunes les outils nécessaires pour bousculer — encore — les idées reçues.

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