Théâtre jeunesse et littérature: Terrains de jeu(x)

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Si le jeu est l’apanage de l’enfance, le théâtre jeunesse, lui, est clairement ancré dans la société. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne représente pas une version édulcorée ou magnifiée du théâtre dit « pour adultes ». Il se veut, bien au contraire, une formidable vitrine sur les conflits, les enjeux et les questionnements du monde dans lequel les jeunes (et moins jeunes) évoluent aujourd’hui. Tour d’horizon avec trois dramaturges québécois.

Quand on demande à Suzanne Lebeau (Le bruit des os qui craquent, Leméac) pourquoi elle a choisi de se vouer au public jeunesse dès le début de sa carrière de dramaturge, ses yeux se mettent à pétiller : « L’une des premières questions que je me suis posées a été : Où est la frontière entre la réalité et la fiction chez les publics d’enfants? » Une interrogation qui demeure toujours d’actualité puisque la présence croissante de la technologie et des médias dans la vie des jeunes semble déformer cette notion. « Le commerce, la télévision leur montrent tout sans jamais leur donner aucune forme de distance, de réflexion », déplore-t-elle. Contrairement à cela, le théâtre jeunesse leur permet plus de profondeur : « Une gifle au théâtre a plus de poids qu’une guerre en direct à la télévision. La réalité s’est transformée en fiction et la fiction a pris le poids de la réalité », explique-t-elle. Abondant dans le même sens, Simon Boulerice, comédien, romancier, poète et dramaturge, croit que la puissance du théâtre réside dans son pouvoir d’évocation : « Ce qui est beau, c’est de créer un lieu, une atmosphère à partir de presque rien », explique-t-il en ajoutant que faire travailler l’imaginaire de l’enfant est primordial, d’autant plus que ce dernier est d’emblée ouvert à ce jeu.

Aiguiser les sens – critique et créatif – de nos enfants en leur parlant des « vraies choses » de la vie… Oui, mais à quel point? Peut-on tout leur dire, tout leur montrer? « Il ne faut pas qu’il y ait de tabous, mais il y a des délicatesses à avoir avec un thème. Nous devons les laisser avec suffisamment de questions, mais suffisamment de clés pour qu’ils puissent faire leur propre chemin », explique Jean-Philippe Joubert, directeur artistique de la compagnie de création Nuages en pantalon, qui, dans ses spectacles, traite de sujets aussi variés que l’amitié en temps de conflit israélo-palestinien (Si tu veux être mon amie, Folio) et la symbolique de l’eau (Le chant de la mer, L’Ivresse des profondeurs). De leur côté, Suzanne Lebeau et Simon Boulerice imposent une part de lumière, d’espoir dans les œuvres qu’ils présentent à la jeunesse. Cela dit, toutes les expériences humaines intéressent les enfants, les dramaturges peuvent ainsi se permettre d’explorer quantité de thèmes, passant des plus durs aux plus rigolos, des plus ludiques aux plus quotidiens. Simon Boulerice fait la part belle à des thématiques telles que la cruauté, la vengeance et le rapport à la beauté (Éric n’est pas beau, L’École des loisirs), tout en alliant humour et tendresse. Bien sûr, il est nécessaire de ne pas négliger le jugement des parents, des professeurs, intervenants précieux du cheminement de l’enfant, afin de les convaincre de la pertinence de consommer des œuvres théâtrales. Enfin, tous s’entendent pour dire que la rencontre avec les enfants, qu’elle précède ou suive la réception de l’œuvre, est le plus sûr moyen de prendre le pouls de leurs aspirations et de leurs opinions, de leur vision de la culture, de l’art, de la vie, pour ainsi mieux les rejoindre.

Fait intéressant, le théâtre permet aussi d’intégrer la littérature à la vie des jeunes. « En France, entre autres, les enseignants se servent du théâtre parce que c’est une langue plus proche de l’oralité, alors elle touche beaucoup les tout-petits. Quand ils commencent à lire, les phrases sont courtes, ils peuvent se répondre, ils peuvent travailler à deux, à trois, à quatre… C’est inépuisable », s’enthousiasme Suzanne Lebeau. Au Québec, on peut notamment feuilleter la collection Gazoline des Éditions de la Bagnole (dans laquelle vient de paraître Les mains dans la gravelle, de Simon Boulerice), qui accompagne ses ouvrages d’un dossier sur les rudiments du théâtre afin de familiariser les jeunes à sa lecture. Bref, que le théâtre entre dans leur vie par la littérature ou par la scène, il parlera toujours d’humanité aux enfants. Leur parler d’humanité, c’est leur parler avec franchise. Et être là pour répondre à leurs questions est le plus beau legs que nous puissions leur offrir afin qu’ils entrent dans la vie confiants. Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle?

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