Semer la lecture: Que lisent nos jeunes?

88
Publicité

Composée d’une vingtaine de frimousses adorables, la classe de troisième année de l’école primaire l’Étincelle, à Saint-Charles-de-Bellechasse, a accueilli l’équipe du libraire, qui s’était donnée pour mission de découvrir, à la source, les véritables goûts et habitudes de lecture de ces jeunes de 8 et 9 ans. Tour d’horizon avec les principaux concernés.

Geronimo Stilton, Boule, puis Bill, Odie et Garfield, Astérix et finalement Kid Paddle : voilà les sept personnages qu’ont magnifiquement bricolés les élèves de la classe de troisième sous le thème « Mon personnage de fiction préféré ». Ces personnages, qui proviennent pour la plupart de bandes dessinées devenues classiques, furent créés au-delà des frontières de la Belle Province. Faut-il s’alarmer de cette préférence que nos jeunes accordent d’emblée à la BD? Et devant l’absence de personnages québécois? Faut-il plutôt se rassurer : nos jeunes lisent, et apprécient leur lecture? Pourquoi, tout simplement, ne pas comprendre leurs motivations?

Ces livres qui accrochent
Les ouvrages humoristiques et les bandes dessinées l’emportent haut la main au concours des livres favoris des élèves de cette classe. Alors que presque tous les garçons avouent leur passion pour la BD (Thierry et Olivier nous disent préférer « Kid Paddle »; Bastien aime les « Petit Spirou »; Skyler, les « Schtroumpfs » et Samuel les « Garfield », parce que « ce sont des livres drôles et les personnages font des grimaces. »), tous, sans exception, mentionnent que c’est grâce à l’humour que ces livres les attirent.

À ce sujet, les spécialistes s’entendent. « L’humour agit comme un couvre-feu puissant au discours moralisateur qui ne convainc plus guère aujourd’hui », explique Renée Léon dans le très pertinent La littérature de jeunesse à l’école (Hachette). L’auteure mentionne également que l’humour présent dans les images ajoute à l’attrait d’un livre, tout comme les procédés stylistiques (les allitérations, les répétitions, etc.) ajoutent un aspect rigolo à la forme du texte. « L’humour est d’ailleurs l’un des tout premiers critères de choix des livres pour les enfants de cet âge. Toutes les enquêtes et tous les sondages le montrent », écrit-elle.

Du côté des filles comme des garçons, la série des « Geronimo Stilton », à mi-chemin entre le roman et la bande dessinée, se démarque, sensiblement pour les mêmes raisons : « Quand je vais à la bibliothèque, je prends juste des livres de Geronimo. J’aime ses livres parce qu’ils nous cachent plein de surprises et parce qu’ils sont longs », nous dit Evelyne. Pour sa part, Laurie explique qu’elle aime également beaucoup cette série « parce que ce sont des histoires drôles et parce [qu’elle] aime les dessins et les couleurs ». Xavier, un lecteur vorace qui dit affectionner l’aspect humoristique de cette série en plus de la quantité d’aventures qui s’y trouvent, abonde dans le même sens : « J’aime les images parce que les couleurs sont belles. J’aime aussi les livres de Geronimo parce qu’ils sont longs et aussi parce que c’est plate d’avoir des livres courts que tu finis de lire en cinq minutes. »

Où, quand, comment et pourquoi
Un rapide sondage auprès de ces jeunes a démontré que, bien qu’elle se trouve derrière les activités sportives et les activités à l’extérieur, la lecture est loin devant la télévision et les jeux vidéo quant à leur loisir favori, garçons et filles confondus. Voilà de quoi réjouir les parents!

« J’ai remarqué que certains grands lecteurs ont plus de facilité en français. Ils font moins de fautes dans leurs productions écrites et ont souvent plus d’idées! Ils sont généralement plus calmes et sont plus attentifs », dévoile Laurie Ouellet, leur enseignante. Ainsi, l’idée de multiplier les contacts avec la lecture peut avoir du bon. Notons que le tiers de ce groupe n’a jamais mis les pieds en librairie, mais que les visites en bibliothèque sont fréquentes. Les endroits où ils lisent le plus? Dans leur lit, avant de s’endormir, ainsi qu’à l’école : « Les élèves ont 30 minutes de lecture obligatoires par jour. La majorité adore ce moment. Ils sont concentrés! Ils peuvent lire ce qu’ils veulent! Ce qu’ils aiment beaucoup, c’est de pouvoir choisir l’endroit où ils liront dans la classe. Ils peuvent le faire à leur place ou par terre. Lorsqu’ils ont du temps libre, plusieurs me demandent s’ils peuvent poursuivre leur lecture », nous dit Laurie Ouellet, dont la classe est munie d’un coin lecture, avec coussins et toutous apportés par les élèves. Tout pour rendre l’activité attrayante!

Bédéphiles, et après?
Drôle, divertissante et colorée, pas étonnant que la BD cartonne autant auprès des jeunes. Cependant, plusieurs parents s’inquiètent : « Si mon jeune ne lit que de la BD, cela fait-il de lui un vrai lecteur, en bonne et due forme? »

« À mes yeux, la bande dessinée constitue une lecture exigeante. Je préfère nettement les textes linéaires qui se lisent de gauche à droite et je ne suis pas particulièrement visuelle. Quand je lis, mon plaisir repose davantage sur la force de l’histoire et la puissance évocatrice des mots que sur une série d’images, aussi palpitantes soient-elles. » Qui aurait cru que la grande Dominique Demers trouverait la lecture de BD exigeante, alors que nos jeunes de 8-9 ans l’adorent? C’est du moins ce qu’elle dévoile dans Au bonheur de lire (Québec Amérique), un ouvrage que tous les parents devraient se procurer, afin d’y trouver quelques astuces pour susciter le goût de la lecture chez leurs enfants.

Un peu plus loin dans le même ouvrage, l’auteure de la populaire série « Mlle Charlotte » revient sur les beautés du neuvième art : « Les lecteurs de BD apprécient une lecture active. La bande dessinée célèbre le mouvement : mouvement de l’œil pour lire et actions dans la narration. À la linéarité prévisible, elle préfère le désordre et la surprise, ce qui ravit certains lecteurs. En examinant les caractéristiques d’une bande dessinée, on constate rapidement que ce n’est pas un sous-genre et qu’un amateur peut s’amuser longtemps et très intelligemment. »

Le droit de détester certains livres
Que signifie être un « lecteur »? Papa qui lit les journaux tous les matins, est-il un lecteur? Et Grand-maman, dont l’armoire s’écroule sous les livres de recettes et de tricot, est-elle une lectrice? Avant de dire qu’un jeune ne lit pas, il vaudrait mieux revoir la définition de « lecteur ». Les statistiques démontrent que 80% des garçons préfèrent les ouvrages de non-fiction, alors que c’est l’inverse pour les filles. Plusieurs garçons associent la lecture de fiction à une perte de temps non instructive. Et comme ce sont les ouvrages de fiction qui sont le plus souvent mis de l’avant, on associe souvent ce dédain de la fiction au mépris de la lecture tout court…

Tous les livres ne se valent pas. Ne nous le cachons pas, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous… En 2010, au Québec seulement, 700 livres jeunesse ont été publiés. Certes, célébrons cette diversité de choix dans la production québécoise, mais n’oublions pas qu’un jeune lecteur est un individu à part entière, avec sa personnalité et ses goûts, et que la totalité de cette production ne lui est pas nécessairement dédiée. Ainsi, s’il aime les chevaux, cela ne veut pas dire qu’il aimera tous les romans qui en font mention. Et il ne faut surtout pas lui assurer le contraire! Afin que le lecteur découvre lui-même ce qui lui plaît, il s’avère judicieux de le placer devant tout ce que la production livresque propose, en variant les types d’ouvrages (fiction, BD, documentaires, revues, journaux, poésie, etc.). Et pourquoi ne pas critiquer, avec lui, les ouvrages lus, comme le font les adultes? Si un jeune a détesté un livre, le laisser nous dire pourquoi renforce l’idée que tous les livres ne se valent pas et qu’il en existe de très bons, qu’il suffit de dénicher.

Pourquoi n’autoriserions-nous pas les jeunes à appliquer les règles de Daniel Pennac (Comme un roman, Folio), dont « Le droit de lire n’importe quoi » et « Le droit de sauter des pages »? Pourquoi ne pas leur montrer que la littérature n’est pas un monde balisé, mais un univers de découvertes infinies? Laurie Ouellet semble avoir compris l’importance de laisser ses élèves libres de leurs choix : « Je parle souvent de mes lectures personnelles, mais je n’oriente pas les élèves vers un type précis. L’important, c’est de lire, peu importe le type de livre. » Et il fallait entendre William, 9 ans, parler de sa passion pour le magazine Lego pour saisir l’ampleur que la lecture peut prendre dans la vie d’un jeune qui découvre enfin un lieu où converge tout ce qui le fait vibrer!

Ce qu’il faut en retenir?
Il n’existe aucun lecteur type, aucun lecteur modèle. Il faut laisser aux jeunes le temps de se faire la main, de toucher à différents genres, d’apprivoiser l’objet livre, que ce soit en BD, en album ou en roman. Ils choisiront ensuite, selon leurs valeurs, leurs goûts et le type de lecteur qu’ils sont, ce qu’ils ont réellement envie de lire, d’approfondir. Et la meilleure façon pour les jeunes de trouver la lecture attrayante, c’est de voir des grands non pas la louanger, mais en train de s’y adonner!

 

Suggestions des lecteurs :

Emmy, 8 ans, nous présente son livre préféré :
Dewey le petit chat de la bibliothèque, de Vicki Myron (Scholastic)
« C’est mon livre préféré parce que sa commence bien et ça finit bien. Aussi, parce que les couleurs et les images sont belles. Dans le livre, ça parle d’un chat dans une bibliothèque et j’aime les chats. C’est un livre qui m’intéresse beaucoup! »

Antoine, 8 ans, nous présente son livre préféré :
La planète filante. Une aventure de Cosmo, de PatRac (Origo)
« J’aime ce livre parce que ça parle de l’environnement. J’aime les livres d’aventures comme celui-là. Il y a des belles images en couleurs. C’est le fun quand l’écriture change de forme. J’aime ça parce qu’il y a une série de Cosmo. J’aime ça aussi parce que ça parle un peu d’astronomie. »

Marianne, 9 ans, nous présente son livre préféré :
Lili Pucette contre les 400 lapins, d’Alain Ulysse Tremblay
« Parce qu’il y a plein de belles aventures. Il y a aussi de superbes images. C’est facile à lire parce que c’est écrit assez gros. Et c’est assez long à lire. Un livre qui n’est pas assez long, c’est plate si tu l’aimes. Et si c’est trop long, c’est décourageant! »

 

Des ouvrages pour outiller les parents

Au bonheur de lire (Dominique Demers, Québec Amérique)
Les 100 livres québécois pour la jeunesse qu’il faut avoir lus (Édith Moore, Nota Bene)
La revue Lurelu
La littérature pour la jeunesse
(Fides)
La littérature de jeunesse à l’école (Hachette)
Quand les livres relient (Érès)
Le site Communication-Jeunesse : www.communication-jeunesse.qc.ca

Publicité