Quand la transsexualité s’invite dans les romans jeunesse

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Le thème de la transsexualité explose dans l’espace média ces derniers mois. Avec des séries comme Transparent, des téléréalités sur Caitlyn Jenner ou encore la série Je suis trans à Moi & Cie, cette réalité qui était jusqu’alors généralement méconnue prend aussi son espace en littérature, qu’elle soit écrite pour les adultes ou pour les adolescents. En jeunesse, alors que les livres portant sur le sujet sont déjà présents depuis une dizaine d’années aux États-Unis, ils arrivent maintenant en force au Québec : six titres ont été publiés presque simultanément, abordant ce sujet fort et s’adressant tant aux plus jeunes qu’aux plus âgés.

Selon Samuel Champagne, auteur et doctorant qui rédige présentement une thèse sur le coming in et le coming out dans les romans à thématique homosexuelle destinés aux jeunes adultes, il y a un désir, du moins au Québec, de « pousser l’acceptation de plus en plus loin », ce qui nourrit les auteurs. Les éditeurs s’y ouvrent aussi, voyant le succès de collections comme « Tabou » aux éditions de Mortagne, et l’acceptation sociale de cette réalité.

Parmi la sélection que vous pouvez trouver en librairie, il y a d’abord George, un roman d’Alex Gino qui s’adresse aux 9 ans et plus et qui raconte l’histoire d’un petit garçon qui ne montre aucun signe extérieur de différence jusqu’au jour où il dit vouloir jouer le rôle féminin principal d’une pièce. Devant l’ébahissement de son entourage, il ose se définir lui-même. Mettant en scène un enfant de 10 ans, ce titre est le plus accessible au jeune public, et trouve son miroir en Opération pantalon, publié chez Robert Laffont. Cette fois, c’est l’histoire de Liv, jeune fille de 11 ans qui s’est toujours vue comme un garçon et qui, devant le nouveau règlement de son école qui la force à porter une jupe, décide de déclencher une rébellion. Écrit avec un « je » masculin, le roman fait aussi vivre au lecteur l’ambivalence du genre puisque, dans la tête de Liv, on a tendance à oublier qu’il est en fait une fille.

Au Québec, Lyne Vanier, grande auteure de la littérature jeunesse, a aussi choisi ce thème en publiant chez Pierre Tisseyre un roman au titre particulièrement joli : La fille désaccordée. L’auteure y aborde le thème sous l’angle des contes de fées, la grand-mère d’Alex, jeune garçon convaincu qu’il est une fille, lui racontant toujours des contes qui lui permettent de s’évader de son quotidien et de croire qu’un jour, il sera possible qu’elle change. Avec elle, on vit aussi la crainte de la puberté, moment terrible qu’il est désormais possible d’éviter grâce aux bloqueurs hormonaux qui retardent cette étape. On sent que l’auteure, qui est aussi médecin, a voulu donner des pistes aux lecteurs qui vivent la même réalité.

Chez Pocket Jeunesse, c’est Celle dont j’ai toujours rêvé, roman de Meredith Russo, qui aborde ce sujet. Particulièrement intéressant, ce récit montre la difficulté de vivre avec cet « avant » pour les trans. Amanda a vécu beaucoup de souffrance dans son ancienne école, mais quand elle déménage chez son père, personne ne sait qui elle était avant. Jolie, elle se fait accepter dans le cercle des populaires et attire rapidement l’attention des garçons, d’un en particulier, gentil, attentionné… Mais comment avouer qu’on a été un garçon? Comment oublier les réflexes de défense quand on a été si longtemps la cible de railleries?

À côté de ces fictions plus traditionnelles, il y a aussi la biographie de Samuel Champagne, pionnier de ce thème, lui qui l’avait abordé dans la collection « Tabou » avec les très pertinents Garçon manqué et Éloi. C’est parce qu’il se faisait toujours demander s’il parlait de lui avec ces deux fictions qu’il a ressenti le besoin de raconter sa propre histoire, qui apporte encore une teinte différente dans le nuancier des romans sur le thème, puisqu’il n’a découvert qu’à l’âge adulte, et une fois parent de deux enfants, que le malaise qu’il vivait était associé à son genre. Le format de la biographie permet d’aller plus loin dans la découverte de la transition, la plupart des romans se passant avant ou après. Cette fois, on suit le processus de transformation et tout ce qu’il implique, tant sur le plan administratif que sur le plan émotionnel, un parcours complexe vraiment intéressant à découvrir.

Finalement, chez Thierry Magnier, c’est par la science-fiction que la transsexualité est abordée. Dans le monde inventé par C. Kueva dans Les porteurs, la neutralité sexuelle est la norme : les enfants naissent hermaphrodites et choisissent leur sexe le jour de leur seizième anniversaire avant de suivre un traitement hormonal. Matt, lui, ne réagit pas bien au traitement et est forcé de vivre la neutralité encore plusieurs années. Et s’il était persuadé d’être un homme à 16 ans, il se pourrait bien qu’il change d’idée. Forte, cette idée de neutralité des genres est ici présentée de la façon la moins clichée possible. Au fil du récit, les stéréotypes se répondent entre eux et démontrent leur ridicule. Comme quoi la science-fiction est encore le genre littéraire qui permet d’aller le plus loin dans certains thèmes puisqu’on est dans une réalité modulable et que les auteurs se donnent une liberté qu’ils se refusent quand ils écrivent des romans réalistes.

Dans la majorité des récits présentés ici, les auteurs indiquent d’ailleurs sous une forme ou une autre qu’ils sont les porteurs que d’une partie de la réalité. Comme s’ils tenaient à rappeler que la transsexualité est multiple, qu’elle ne peut être résumée qu’en un livre. « Je parle beaucoup de la multiplicité des représentations dans la normalisation des homosexualités. C’est sensiblement la même chose pour les trans, relève Samuel Champagne. Plus on en voit, plus on a des facettes de ce que c’est, plus on réalise que finalement, ils sont bien normaux, ces gens-là! »

Comment saura-t-on que cette réalité est pleinement intégrée dans la littérature jeunesse? Peut-être, comme pour l’homosexualité, quand cette réalité sera celle d’un personnage, principal ou secondaire, mais pas le thème principal du livre, quand on ne sentira plus l’obligation de mettre l’accent sur le sujet et qu’on sortira des clichés dans lesquels on est encore généralement plongés, associant le rose et la douceur au féminin, le sport et le côté frondeur au masculin. Vite, brisons les moules!

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