Littérature ado : Le pays des merveilles

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Il n'y a pas si longtemps, il existait une catégorie composée de jeunes lecteurs en devenir qui semblaient s'ennuyer, ne pas avoir trouvé de véritable intérêt dans cette activité sédentaire. Pourtant, depuis les années 80, le créneau des 11-16 ans peut se considérer comme gâté par une production éditoriale foisonnante et de qualité. Cependant, il n'en demeure pas moins que les adolescents moins intéressés par les grands enjeux de l'existence et du passage à l'âge adulte n'avaient pas grand-chose à se mettre sous la dent. Et puis est surgi du néant Harry Potter, petit sorcier binoclard dont le plus grand tour de magie demeure sans conteste d'avoir éveillé l'amour de la lecture chez d'innombrables ados - et bien sûr aussi chez quelques adultes ! Magie, féerie, merveilleux, fantastique : il y a une vie après Harry, un quotidien pas toujours fabuleux. Panorama d'une contrée en mutation.

D’emblée, spécifions que les lecteurs de 11 à 16 ans ont depuis toujourstrouvé dans les classiques un divertissement fort honorable. Bien qu’ayant un peu souffert du temps qui passe, les écrits de Jules Verne, Robert Louis Stevenson, Gaston Leroux ou Roald Dahl restent des habitués des palmarès. Mais les auteurs qui traitaient des enjeux de tous les jours se faisaient plus rares : la récente arrivée d’une poignée denouvelles plumes redonne un second souffle à un marché qui semblait lentement s’engager sur le chemin de la sclérose, du moins en ce qui concerne la place du merveilleux.

Floraison de collections

De l’automne 2002 à ce printemps, plusieurs collections dédiées au lectorat adolescent sont nées, dont la très surprenante série  » Wiz  » chez Albin Michel. Cette dernière fut lancée à l’automne avec comme têtes d’affiche Le Quadrille des assassins de Hervé Jubert, volet initial d’une saga steampunk fort prometteuse, ainsi que Le Temps ne s’arrête pas pour les souris, la première aventure de Hermux Tantamoq par Michael Hoeye. Destiné à un public d’au moins 13 ans amateur de science-fiction, le roman de Jubert explore adroitement le thème du voyage dans le temps, le tout mâtiné d’un brin d’atmosphère digne des plus noirs polars ; un deuxième tome est prévu pour les prochains mois. Les lecteurs un peu plus jeunes devraient quant à eux craquer pour Hermux Tantamoq, une souris horlogère accompagnée de sa coccinelle apprivoisée qui se voient précipitées malgré elles dans un complot visant à faire maigrir les gens, tout en engrossant le portefeuille d’un odieux médecin. Rempli d’habiles descriptions loufoques du petit monde de Pinchester, où habitent une foule de personnages dont les noms trahissent bien la truculence (Hiril Mennus, Linka Perflinker), ce début de série brille par son rythme enlevé et son sens de l’humour. La sortie du second volet des aventures de la souris horlogère, Les Sables du temps, est quant à elle prévue d’ici la fin avril 2003. Soulignons également le début de la saga  » Les Aventures d’Eddie Dickens « . Ledit livre cumule des ventes de 120 000 exemplaires en Grande-Bretagne : parions qu’il conquerra aussi les jeunes lecteurs francophones ! C’est déjà bien parti ! Toujours chez  » Wiz « , Abarat de Clive Barker et Coraline de Neil Gaiman (dont nous traitons plus bas), confirment le flair de l’éditeur français, qui compte bien reprendre une part importante d’un marché outrageusement dominé par Gallimard.

Car il faut bien l’avouer, la crème des livres appartient aux éditions Gallimard, qui célébraient récemment leurs 30 ans d’édition jeunesse. Personne n’affiche autant d’audace et de génie lorsqu’il s’agit de dénicher les futures étoiles du genre. Ainsi, non content d’avoir révélé Philip Pullman, William Nicholson et bien auparavant Roald Dahl, Gallimard a dernièrement lancé l’extraordinaire collection  » Scripto « . Synonymes de cran et d’audace, les titres de cette collection s’adressent pour la plupart à un public de 13 à 16 ans, et abordent de front des thèmes comme la violence familiale, les filles-mères et l’usage de drogues dures.  » Scripto  » compte déjà dans ses rangs des œuvres étonnantes comme Avez-vous vu Zachary Beaver ? de Kimberly Willis Holt (récipiendaire du National Book Award for Young People’s Literature), qui traite de la différence à travers le destin d’un enfant de 291 kg, ballotté dans une caravane à travers l’Amérique comme un phénomène de foire. La Guerre des rêves de Catherine Webb flirte quant à lui avec le fantastique en relatant la bataille entre les royaumes de Haven et de Nightkeep, enjeu qui vise à mettre la main sur le  » Royaume des Rêves « . Fait à noter, l’auteure n’a que 16 ans ! Enfin, malgré la controverse les entourant, on ne peut passer sous silence les nouveaux romans de Melvin Burgess. Fort remarqué avec l’âpre Junk qui traite de l’abus de drogue, l’écrivain britannique récidive avec le cruel Lady, ma vie de chienne, qui suit cette fois les tribulations d’une adolescente qui, ayant abusé de tous les vices, se réveille transformée en chienne… Comme si ce n’était pas déjà assez, Burgess signait récemment, avec Rouge Sang, une relecture cinglante d’une saga islandaise se déroulant dans un futur rapproché. Chapeau bas, donc, à Burgess et à tous les auteurs de la collection  » Scripto  » (mentionnons aussi l’immense succès des livres de Louise Rennison, qui forment  » Le journal intime de Georgia Nicolson  » : Mon nez, mon chat, l’amour et moi…, Le Bonheur est au bout de l’élastique, Entre mes nunga-nungas mon cœur balance).

Enfin, toujours dans la veine réaliste mais en beaucoup moins brutal, mentionnons e et Grande Gueule de Joyce Carol Oates (18,95 $), prolixe romancière américaine réputée pour son œuvre  » adulte  » (Zombi, Solstice, Blonde). Il s’agit d’une subtile réflexion sur les difficultés d’insertion à l’école, qui pose un regard juste sur les événements tragiques pouvant s’y dérouler lorsque les jeunes sont poussés à bout : pensons à la tragédie de Columbine.

Le  » merveilleux  » ou la poule aux œufs d’or ?

N’en déplaise aux tenants d’un certain réalisme en littérature pour ados, c’est encore et toujours le fantastique et le merveilleux qui se détachent du peloton. Le succès considérable de la trilogie « À la croisée des mondes » signée Philip Pullman (Les Royaumes du Nord, La Tour des anges, Le Miroir d’ambre) ou celui, plus récent, de la série
« Arthur » de Kevin Crossley-Holland (La Pierre prophétique et À la croisée des chemins, Hachette) le prouvent bien. Depuis les deux dernières années, il faut aussi compter dans les rangs les aventures d’Artemis Fowl d’Eoin Colfer (Artemis Fowl et Mission polaire, Gallimard). Cependant, la piètre qualité de la prose de Colfer n’a pas semblé plaire autant aux libraires et aux parents. Qu’à cela ne tienne, avec deux épisodes à son actif, Artemis Fowl a la cote chez les 11-13 ans.

Ceux et celles que le Japon attire ne manqueront pas d’apprécier Le Silence du rossignol, premier tome de la trilogie du  » Clan des Otori  » signée Lian Hearn (Gallimard). Remarquable tant par sa recherche que par la finesse de sa prose, cette saga s’annonce comme un incontournable. Idem pour une autre trilogie plus poétique et symbolique publiée par Gallimard et intitulée  » Le Vent de feu  » de William Nicholson, dont le troisième et dernier volume après Les Esclaves de la Seigneurie (19,75 $), Le Chant des flammes, vient d’arriver sur les tablettes. Les Secrets d’Aramanth, le premier tome, est quant à lui déjà disponible en format de poche dans la collection Folio Junior. Le très prolifique Serge Brussolo s’est lui aussi lancé dans la vague en publiant coup sur coup deux séries,  » Peggy Sue et Les Fantômes  » (Le Jour du chien bleu, Le Sommeil du démon et Le Papillon des abîmes, Plon) et  » Sigrid et Les Mondes perdus  » (L’Œil de la pieuvre et La Fiancée du crapaud, Masque). Si Peggy Sue n’a pas obtenu le succès escompté, Sigrid semble en bonne voie d’enflammer l’imagination : une histoire à suivre. Toujours dans la veine du merveilleux, il ne faut pas oublier Harald le courtois de Sybille Lewitscharoff (Seuil/Métaillié), qui relate le périple d’un jeune garçon mis à la porte par sa mère, qui le somme de ne revenir que lorsqu’il sera devenu un héros… Croisement burlesque des aventures d’Alice au pays des merveilles et d’un épisode du Flying Circus des Monthy Python, Harald le courtois se détache du lot grâce à sa fraîcheur et au caractère saugrenu de ses personnages.

Quand les dauphins de l’horreur s’en mêlent

En revanche, la plus belle surprise dans le domaine du fantastique destinée aux lecteurs à partir de dix ans demeure sans contredit l’apport vivifiant de deux pointures majeures du genre, habituées de s’adresser à un public adulte au cœur solide : Neil Gaiman et Clive Barker. Pour Barker, qui livre le premier volet d’une tétralogie intitulée Abarat (Albin Michel), il ne s’agit pas d’une nouvelle expérience. Malgré un triste désintérêt de la part du grand public, Le Voleur d’éternité (épuisé), paru quelques années avant l’arrivée de Harry, constituait un véritable bijou. Espérons qu’ils seront plus nombreux à apprécier la quête de la jeune Candy Quackenbush, une fille bien ordinaire qui habite la tout aussi ordinaire ville de Chickentown. Un jour, les portes de l’archipel d’Abarat, un ensemble de quinze îles représentant chacune une heure de la journée, s’ouvrent à Candy. Aidée par une ribambelle de créatures fabuleuses, elle part non seulement à la recherche du secret de sa naissance, mais aussi du mystère de la 25e heure. Outre l’originalité de sa riche mythologie, Abarat se démarque des autres livres abordés grâce aux illustrations de son auteur (120 en tout). Les lecteurs adultes ayant déjà lu Imajica ou Le Royaume des devins retrouveront donc avec plaisir certains éléments qui ont fait le succès de ces livres hors-normes, tandis que ceux et celles qui ne jurent que par Les Livres de sang vont s’ennuyer. Malgré son prix élevé- tout de même justifié en raison de la présentation exceptionnelle de l’ouvrage -, Abarat peut déjà prétendre à un grand succès en librairie. Trois autres tomes sont attendus d’ici 2005.

Enfin, pour conclure ce tour d’horizon, signalons Coraline (Albin Michel) premier roman pour jeune public de Neil Gaiman, qui arrive précédé d’une critique élogieuse et qui semble bien engagé sur les sentiers de la gloire. Avec des ventes qui frôlent les deux millions d’exemplaires pour Coraline, il y a fort à parier que les lecteurs francophones devraient aussi adopter cette petite fille incomprise, qui découvre un jour une porte qui mène vers une dimension parallèle, dans un monde semblable au sien mais habité par d’effrayantes créatures. Ainsi, sa mère est remplacée par un ersatz racorni avec des yeux de boutons qui tente de la séduire afin qu’elle s’établisse de son côté de la maison. Quelque part entre les univers glauques d’un Tim Burton ou d’un Lemony Snicket (Nés sous une mauvaise étoile, Le Laboratoire aux reptiles et Ouragan sur le lac: Le Funeste Destin des Baudelaire, Héritage, une autre valeur sûre qui comptera 13 tomes), Gaiman signe une variation sur les contes de Grimm, Hansel et Gretel plus particulièrement. Visant un lectorat un peu plus jeune que celui auquel s’adresse Abarat, Coraline s’inscrit déjà comme l’une des grandes révélations de la dernière année. Seule ombre au tableau : l’absence, dans l’édition en français, des dessins de Dave McKean qui, dans la version anglaise (Harper Collins), appuyaient à merveille les sombres pérégrinations de cette jeune fille. Gaiman promet un autre roman dans la même veine d’ici un an ou deux.

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