Jérôme Lambert et L’école des loisirs: Le livre comme miroir

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L'école des loisirs est aujourd'hui l'un des fers de lance de la littérature jeunesse française. Dans les années 60, elle a été la première maison d'édition à insuffler l'idée de lire pour le plaisir chez les enfants. C'est cette idée «révolutionnaire» qui accompagne depuis plus de quarante ans des millions de jeunes lecteurs.

L’école des loisirs (lecoledesloisirs.fr) a constitué un fonds de 3500 livres, lus à travers la francophonie, et a également créé des clubs de lecture. Aujourd’hui, elle publie 250 nouveautés annuellement et se définit toujours comme une maison d’édition indépendante, familiale et dynamique, vivant avec le souffle renouvelé de la relève littéraire. La maison sise rue de Sèvres à Paris forme également les enseignants, les libraires et les bibliothécaires, ces passeurs de livres qui mettront entre les mains des jeunes des ouvrages aptes à les faire rêver, rire et réfléchir. Jérôme Lambert, auteur et responsable des communications, est venu au Québec pour mieux faire connaître cet éditeur pas tout à fait comme les autres.

Enseigner le roman
Lors de son passage, Jérôme Lambert a été invité par Sylvie Roberge, professeure et directrice de collection chez Dominique et compagnie, afin de donner un cours sur la littérature jeunesse à l’Université Laval dans un groupe de deuxième année en Sciences de l’éducation: «Je suis venu afin de partager ma connaissance des albums illustrés et des romans de la maison à tous les acteurs du métier du livre, explique-t-il. Ces formations permettent d’échanger avec eux, de leur présenter les nouveautés et de leur enseigner ce que sont les romans et les albums. [Ces] étudiants se destinent dans deux ans à être professeurs dans les cycles primaire et secondaire. Je leur ai expliqué ce qu’il est possible de faire en classe avec le livre, parce que, souvent, les jeunes enseignants sont assez démunis. Soit ils le prennent comme un outil pour apprendre à lire et à écrire, ce qui n’est pas le but; soit ils le prennent comme un divertissement à la fin du cours s’ils ont le temps, ce qui n’est pas le but non plus. Ce qu’on a envie de leur montrer est que le livre peut avoir sa place en classe et leur présenter la raison sociale de la maison: l’école et les loisirs.»

La maison est également connue pour aborder de front des thèmes difficiles comme l’homosexualité, l’anorexie ou la perte, parmi les romans pour adolescents, publiés dans la collection Médium. Les professeurs les présentent en classe comme de la littérature. Lambert souligne que la littérature adolescente est tout autant légitime que celle pour adultes: «Lorsque je commence à écrire un roman, je sais à qui je vais m’adresser, mais cela ne veut pas dire que je me censure. Souvent, j’écris des textes qui sont là pour réparer, que j’aurais aimé lire adolescent et que je n’ai pas trouvés sur mon chemin de lecture», signale-t-il.

Ces trente dernières années, une véritable littérature jeunesse s’est développée, où dominent aujourd’hui les livres «girly» et fantasy. Le contraste avec les années 70 est frappant, «car il existait une censure idéologique et les seuls éditeurs étaient catholiques ou communistes, rappelle Jérôme Lambert. Les livres destinés aux enfants étaient des médicaments déguisés en bonbons, comme un cours de géographie sous forme de roman. C’est aux États-Unis que les auteurs étaient plus libres. Parmi eux se trouvaient Robert Cormier et Judy Blume. Ils innovaient avec des thèmes contemporains, qui touchaient les ados, qui résonnaient pour eux: la sexualité, la violence. C’étaient des thèmes tabous».

Soulever les tabous
Ces auteurs ont réussi à interpeller les jeunes «à une période où on se pose beaucoup de questions et parfois des questions difficiles, poursuit Jérôme Lambert. Geneviève Brisac, auteure et directrice de collection à L’école des loisirs, tient à ce que les romans parlent du monde, c’est-à-dire d’amour, de politique et de mort. Les ados sont confrontés à la solitude, à la sexualité, au divorce, à la drogue mais aussi à la joie, au plaisir, et à l’amour bien sûr. Comme tous les auteurs sont traversés par ces sentiments, ils les restituent en littérature jeunesse comme ils le feraient en littérature adulte. En France, on définit leur écriture par le terme de « roman miroir », et les miroirs ne réfléchissent pas toujours des choses consensuelles». Pour appuyer son propos, le jeune auteur cite Stendhal: « »Un roman, c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin ». De fait, c’est le roman de l’intime, des choses qu’on n’exprime pas quand on est adolescent et pourtant, on les vit. Il n’y a pas de péripéties, mais on est plus proche du roman d’apprentissage.»

Une autre particularité de la maison est de publier de nombreux auteurs français contemporains tels Olivier Adam, Arnaud Cathrine et Nathalie Kupperman. Avant eux, il y a eu, entre autres, Marie Desplechin, Marie-Aude Murail et Grégoire Solotareff. «Ils ont commencé à écrire très jeunes, dans la vingtaine, se souvient Jérôme Lambert. Mais on n’est pas les seuls à éditer la relève. Toutefois, on se démarque, car on a commencé il y a vingt ans avec des traductions et, aujourd’hui, on privilégie les auteurs français.»

Pour les années à venir, L’école des loisirs continuera à être fidèle à sa mission, celle de former la nouvelle génération de lecteurs et d’enseignants, ainsi que de leur inculquer le vrai goût de lire.
«On veut donner des pistes et des bouées de sauvetage à ces profs qui se retrouvent propulsés dans le milieu sans outils. Leurs formateurs sont des gens passionnés, et c’est vraiment par eux que ça passe, mais aussi par les libraires et les bibliothécaires. Avant que les gens aillent acheter, ouvrir ou emprunter un livre, il faut qu’ils en aient envie», conclut Jérôme Lambert.

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