Les grandes heures de la terre et du vent, de Gilles Tibo

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On ne compte plus ses bons coups: «Simon», «Noémie», Le mangeur de pierre, Les yeux noirs… Deux fois récipiendaire du Prix Christie et deux fois lauréat du Prix de gouverneur général, Gilles Tibo, l'un des auteurs les plus prolifiques du Québec, a glissé ses couleurs ou ses mots sous plus de cent couvertures. Le temps d'écrire sur Les grandes heures de la terre et du vent, ce n'est sans doute déjà plus son dernier livre.

Par leurs thèmes et leur bonheur à mêler les mots et les choses, les trente-deux contes qui composent ce beau recueil reprennent l’esprit fantasque de la veine folklorique. On s’y retrouve comme un dimanche en famille, mais le merveilleux guette au détour de chaque phrase. Parce que Bernard «a la tête dans les nuages» à force de les observer, il finit par avoir charge d’en sculpter de toutes les formes possibles, libérant le zoo de son imaginaire: «l’éléphant cornet de crème glacée», «la toupie aux trois carottes» ou «le mouton à six pattes avec un trou au milieu».

On peut plonger dans la terre et s’y noyer. Libre à la mer, «au détour d’une vague», de renverser un pêcheur pour le garder «caché dans ses entrailles». Certains textes, longs d’à peine quelques lignes, tiennent en un court paragraphe; le plus ambitieux fait vingt pages. On vient à peine d’ouvrir le livre, qu’un berger qui croyait tromper avec ses moutons postiches abat trois loups de bois venu les dévorer. Plus loin, c’est un jeune mineur que l’ombre fugace d’une Dame Blanche sur la pierre mouillée décide de ne plus sortir du trou.

Un érable s’agite et prend vie; un enfant change tout ce qu’il touche en pierre; les habitants d’un curieux village ne quittent plus leur chaise, jusqu’au jour où leurs enfants entreprennent la construction d’une tour de Babel à quatre pattes. Saviez-vous le ciel si fragile qu’un simple caillou risque de le fracasser? L’arrogante croix de fer d’une église le déchire aussi, parfois. Le grand Couturier quitte alors de peine et de misère son lit douillet, le raccommode, puis disparaît. Plus tard, on surprend la trace de ses pas de l’autre côté du ciel…

Parsemé des illustrations sobres et rigolotes de Janice Nadeau, Les grandes heures de la terre et du vent plaira à tous ceux que la magie ne rebute pas.

Extrait

«C’était la belle époque»

Il y a très longtemps,
le silence avait l’apparence du verre.
Sous un soleil de plomb,
des roches de bois gisaient à perte de vue
sur des champs briquetés.
Les rivières crachaient leurs écailles
au fond des abîmes de lumière.
De fragiles oiseaux de papier
quittaient les fentes du ciel,
glissaient sur les alvéoles du vent
et se perchaient sur de grands sapins de pierre.
C’était la belle époque dont rêvent encore
les poètes et les fous.
(p.11)

Bibliographie :
Les grandes heures de la terre et du vent. Contes, Gilles Tibo, La courte échelle, 217p., 17,95$

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