Daniel Sernine : la jeunesse en revue

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Parce que l’univers de la littérature jeunesse québécoise en est un aussi riche que vaste, aussi florissant qu’instructif, la revue Lurelu, publiée trois fois l’an,se pose en fidèle éclaireuse sur le sujet, débroussaillant pour ses lecteurs ce qui se fait de mieux en matière de littérature et de théâtre, offrant au passage des suggestions de lecture et d’activités, et des réflexions pertinentes sur le milieu. Daniel Sernine, rédacteur en chef, a accepté de nous parler de ce beau projet et nous conseille quatre ouvrages jeunesse à découvrir.

Comment est née Lurelu?
Lurelu est née en 1978, comme « Bulletin d’information sur la littérature de jeunesse » publié par l’organisme Communication-Jeunesse, alors sous la présidence de l’écrivaine Cécile Gagnon, qui en confia la direction à l’auteur Serge Wilson. Voilà les cofondateurs de ce magazine gratuit qui comptait à l’origine seize pages. Lurelu est devenue juridiquement (et factuellement) autonome trois ans plus tard. Fidèle à son mandat d’origine, elle est consacrée à la littérature québécoise et canadienne-française pour la jeunesse. Pendant plusieurs années, elle parvenait à commenter de manière exhaustive tout ce qui paraissait ici en littérature pour la jeunesse; mais ce n’est plus possible, depuis qu’il se publie 600 à 700 titres annuellement.

En 2008, nous avons remporté le prix Raymond-Plante, créé pour honorer la mémoire de l’écrivain et scénariste décédé en 2006. Ce prix est accordé à un individu ou à un organisme pour sa contribution exceptionnelle à la littérature jeunesse ou à la promotion de la lecture chez les jeunes. Pour citer le jury, « De manière assidue et sans interruption, Lurelu est demeurée pendant trente ans le témoin privilégié de l’évolution de cette littérature. »

Selon vous, quel rôle joue la littérature jeunesse dans la société?
On sait depuis les années 90 que le fait de savoir lire dès la maternelle, et d’être familiarisé avec l’objet livre à un âge plus jeune encore, diminue de façon marquée le risque de décrochage scolaire à l’adolescence. Le fait d’intégrer la lecture à tous les apprentissages, à tous les niveaux scolaires et en milieu familial, crée des lectrices et des lecteurs qui continueront de lire à l’âge adulte. D’où la pertinence de proposer à toutes les tranches d’âge des livres et des magazines adaptés aux goûts et intérêts des jeunes lecteurs. Et, bien entendu, de les laisser aller plus loin et plus vite que leur groupe d’âge.

On dit que les jeunes ne lisent plus. Selon vous, est-ce vrai? Quel est l’apport de Lurelu dans ce combat?
Lurelu a publié début 2014 un dossier intitulé « La lecture a-t-elle un avenir chez les jeunes? ». Les réponses aux questions soulevées étaient mitigées, variant selon les intervenants. Ceux et celles dont le mandat est de promouvoir la lecture chez les jeunes ou de former des enseignants à ce faire, formulaient des réponses à l’optimisme suspect, comme si l’aveu d’un déclin de la lecture remettait en question leur mandat, voire leur emploi. Certains parvenaient à rester positifs en incluant dans leur réponse la lecture sur écrans (tablettes, portables, voire même téléphones intelligents), comme si cela avait la même valeur. De mon côté, je suis plutôt pessimiste : la lecture spontanée de livres et de revues, par plaisir, lecture perdurant à l’école secondaire puis à l’âge adulte, ça, c’est effectivement en net déclin. Pour moi, la lecture de tweets écrits tout croche ou de statuts Facebook et de leurs commentaires, c’est un peu démagogique de compter cela comme de la lecture…

 

Daniel Sernine nous conseille de lire…

La saison des pluies
Mario Brassard (Soulières éditeur)
Voici une exquise perle grise parue chez Soulières éditeur : La saison des pluies, un court livre sans chapitre du poète Mario Brassard. Junior vient de perdre son papa dans un accident de la route. Les premières heures, les premiers jours d’un premier deuil s’égrènent pour le petit bonhomme, suivant le sentier des larmes. C’est bref, livré en courts tableaux lyriques, où de brillantes trouvailles littéraires côtoient les belles images grisées de Suana Verelst, une artiste belge établie ici. Où l’on constate une fois de plus que les mots, entre des doigts habiles, peuvent être l’une des manifestations les plus sublimes du sentiment.

Une petite bouteille jaune
Angèle Delaunois (Isatis)
Angèle Delaunois a gagné le prix littéraire du Gouverneur général en 1998, pour un recueil de nouvelles sur le thème de l’amour. Mais c’est comme auteure d’albums pour enfants que je veux la signaler ici. À ce titre, elle a plus d’une fois été lauréate ou finaliste à divers prix. Je m’en tiendrai à l’un de ses plus récents, Une petite bouteille jaune, consacré aux petites victimes des mines antipersonnel. Les œuvres les plus touchantes d’Angèle Delaunois sont d’ailleurs celles qui ouvrent les yeux des enfants d’ici sur le drame des réfugiés, des enfants de la guerre, victimes de la violence ou de l’intolérance des adultes, de par le vaste monde…

L’oiseau des sables
Dominique Demers (Dominique et compagnie)
Lorsqu’on sonde le profane sur le livre québécois pour enfants, parfois un seul nom vient à l’esprit, celui de Dominique Demers. Et pour cause : sa bibliographie suffirait presque à remplir ces deux pages, et la liste des prix qu’elle a remportés comblerait le reste. Je vais citer l’un des magnifiques albums qu’elle a créés avec l’illustrateur Stéphane Poulin, L’oiseau des sables. Il lui avait valu le Prix du livre M. Christie en 2004. Tendre, mélancolique, c’est l’histoire d’un fils à qui son père a donné cinq minuscules oiseaux blancs trouvés dans un coquillage, chacun pouvant exaucer un vœu, les derniers devenant rares et d’autant plus précieux pour le garçon devenu adulte…

Le cadeau des frères Bravo
Caroline Merola (La Bagnole)
Caroline Merola. Le nom s’impose, comme auteure et surtout comme illustratrice, parmi mes préférés dans un champ bien rempli. Mais quel titre choisir parmi tous ses albums? Il y aurait bien Prince Olivier et le dragon aux Éditions Imagine ou Le voyage des reines aux 400 coups. Ou encore, chez Dominique et compagnie, Lili et les poilus, cet hommage à Sendak qui lui a valu le Prix du Gouverneur général 2011, volet jeunesse/illustration. Mais je vais y aller avec son plus récent, Le cadeau des frères Bravo, à La Bagnole. C’est là qu’elle a perfectionné son art du dessin ludique, où une page en cache une autre (en l’occurrence, ici, une demi-page cache en partie la suivante, modifiant instantanément les premières apparences).

 

Biographie
À l’invitation de Robert Soulières, Daniel Sernine écrit son premier article dans Lurelu en 1983. Trois ans plus tard, cette fois grâce au successeur de Robert Soulières, Raymond Plante, Daniel Sernine devient membre de la rédaction et titulaire d’une chronique. C’est en 1991 qu’il succède à Renée Gravel-Plante, au poste de rédacteur en chef. Mais outre sa passion pour la littérature jeunesse, Sernine est reconnu dans le milieu littéraire pour ses qualités d’auteur de littérature fantastique, récompensées par de nombreux prix au fil des ans. Récemment, il faisait paraître chez Soulières éditeur Les îles du ciel. De plus, il est directeur littéraire aux éditions Médiaspaul et membre du comité de rédaction de la revue Solaris.

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