Lorsqu’un parent décide d’écouter attentivement l’imaginaire de son enfant, de se laisser transporter dans cette folle aventure à hauteur de trois pommes, il en résulte un voyage tout aussi puissant que le lien qui se crée. Trois parents — Sylvain Bouton, Anik Jean et Dominique Fortier — ont laissé l’imagination de leur progéniture envahir leur propre créativité. Le résultat : Gouache!, Nathan au pays des pirates et Violette et Fenouil.

Sylvain Bouton, le papa de Philémon, travaille, comme beaucoup d’entre nous, 40 heures par semaine. Pour le plaisir, il illustre et crée des albums jeunesse, dont l’hilarant La véritable histoire de Noël et Noé. Afin de passer du temps avec son fils de 2 ans et demi tout en profitant de leur passion commune pour le dessin, ils font ensemble des « ateliers de couleurs ». « Un jour, on s’amusait à mélanger les couleurs primaires, le jaune, le rouge, le bleu. Philémon s’appliquait, faisait parfois des gestes frénétiques. À mesure qu’il étendait de la gouache, je lui enlevais subtilement les feuilles des mains pour éviter que tout ne devienne brun et je les plaçais de côté pour qu’elles sèchent. »

Il demande alors à son fils ce qu’il voit sur les feuilles : « Philémon était dans sa phase lapin… donc il voulait peut-être plus en voir que ce qu’il voyait réellement dans les dessins! » En bon papa, Sylvain Bouton joua le jeu : en superposant certains dessins puis en dessinant au trait noir sur les images, il déniche finalement une histoire qu’il qualifie « d’assez farfelue, d’assez imaginaire ». En résulte ainsi Gouache! (Les 400 coups), un album tout-carton qui explose de couleurs et où l’on suit deux lapins renverser des seaux de peinture pour voir où tout cela peut les mener. « En fait, c’est un délire pictural. Et le fait qu’il n’y ait pas de mots, ça fait agir et interagir le lecteur — l’enfant, mais aussi le parent —, car il doit alors réfléchir, créer sa propre histoire qu’il juxtapose aux images. Car c’est possible de dévier de ce qu’on voit, ce n’est pas juste deux lapins… », explique le papa qui, une fois les livres imprimés reçus à la maison, s’est fait candidement demander par le petit Philémon s’ils pouvaient lire ensemble tous les exemplaires reçus dans la boîte!

Du côté du duo formé par Dominique Fortier et sa fille Zoé, l’élément déclencheur de Violette et Fenouil (La Bagnole) a été une activité organisée par la maternelle, alors que les parents devaient aller en classe et parler de leur métier. « Comme je suis écrivaine, j’ai imaginé avec Zoé d’écrire une histoire à lire aux enfants puis de leur distribuer le texte et de le leur faire illustrer afin que chacun ait un petit livre (enfin, c’était plutôt un feuillet) à rapporter à la maison », nous explique celle qui fait parler d’elle jusqu’en France ces jours-ci en raison du succès que récolte Les villes de papier.

« Je savais déjà qu’elle avait beaucoup, beaucoup, beaucoup d’imagination, explique Dominique Fortier, mais ça s’est confirmé de spectaculaire façon. Elle s’est aussi montrée extrêmement sérieuse et très observatrice quand est venu le temps, par exemple, de commenter les illustrations préliminaires (magnifiques) qu’avait réalisées Amélie Dubois. C’est Zoé qui a suggéré que la princesse Violette soit habillée d’une robe… violette, et c’est aussi elle qui avait choisi le nom du personnage. En fait, l’histoire telle que je l’avais d’abord imaginée mettait plutôt en scène un prince! » L’auteure du Bon usage des étoiles explique qu’il faut savoir écouter les enfants, qu’ils ont souvent des idées bien arrêtées sur ce qui leur plaît et ne leur plaît pas : « Il faut faire confiance à leur jugement, à leur intelligence, à leur instinct, et les encourager à s’y fier eux aussi. »

Cette histoire, c’est donc celle de la fabuleuse amitié entre une princesse et une grenouille qui se verra mise à l’épreuve lorsque le batracien, au petit matin, aura disparu… Violette partira à sa recherche, ce qui la mènera chez Calorifère, qui, bien qu’elle soit une sorcière, est peu douée avec les potions! Cette princesse, en plus d’être très futée, est courageuse et pleine de bonnes idées. On dit aussi dans le livre qu’elle n’est pas toujours patiente. Ainsi, on a osé poser la question à l’idéatrice de l’histoire, à savoir si ce personnage lui ressemblait : « Je pense qu’elle me ressemble parce que moi aussi, des fois, je suis impatiente. J’ai souvent de bonnes idées. J’ai déjà un peu imaginé dans ma tête le tome deux de notre livre », répond avec candeur Zoé, qui célébrera ses 8 ans à la mi-décembre. La pomme n’est pas tombée bien loin de l’arbre : déjà, Zoé affectionne les livres, principalement la série « Mes amis les chevaux » de la Bibliothèque rose ainsi que N’importe quoi! d’Elise Gravel, qu’elle relit souvent.

Pour sa part, la femme de scène Anik Jean nous explique que l’idée de Nathan au pays des pirates (Édito) est venue de son fils, qui avait alors 7 ans : « Il voulait qu’on invente une histoire plutôt que d’en lire une, alors on s’est lancé dans un brainstorm, lui et moi, du pays des Rêves, le pays où tout est possible. Il y a un arbre en bibelot dans la chambre de Nathan qui tient un livre, on a décidé que l’arbre devenait le guide de toutes nos aventures. On a alors créé des mondes imaginaires, et j’ai eu l’idée d’en faire des livres! » Dans leur histoire, qui met d’ailleurs en scène un personnage du nom de Nathan et sa mère, les protagonistes doivent affronter la Terrifiante Épreuve des moussaillons, qui consiste à vaincre l’une de leur plus grande peur… Lorsque le Grand Bateau des pirates est en vue, le lecteur comprend que l’aventure commence…

De l’imagination à l’état pur
À n’en pas douter, les enfants ont un imaginaire très riche — peut-être même davantage que celui des adultes — et il y a certes de quoi en inspirer plus d’un. Selon Anik Jean, l’imaginaire des enfants est encore à l’état pur et non modifié. « C’est quelque chose qu’on doit entretenir », ajoute celle qui soutient que le travail des parents est justement de continuer à croire que tout est possible. Elle souligne qu’il n’y a pas de tabou dans les idées ou les pensées de son fils, qu’il n’existe aucune limite, ce qu’elle adore. « J’ai la chance d’avoir un garçon très allumé créativement. Il est un grand rêveur tout comme moi, et j’admire ça chez lui. Il me pousse à rester créative et rêveuse et on se nourrit comme ça tous les deux. »

« Ce qui est certain, abonde pour sa part Dominique Fortier, c’est que les enfants voient des choses qui nous échappent — parfois littéralement. Il y a quelques années, alors que je marchais avec Zoé dans une rue de Boston, elle s’est arrêtée tout net sur le trottoir, émerveillée. Je me suis arrêtée moi aussi, mais sans voir ce qu’il y avait d’étonnant. Elle m’a alors pointé, à la hauteur de ses yeux, une brèche dans le mur de briques d’un édifice qui avait été comblée… avec des blocs Lego multicolores. Des centaines d’adultes devaient chaque jour passer devant cette œuvre d’art en miniature sans la voir, trop pressés, trop grands, trop blasés. On aurait tous intérêt à se remettre à hauteur d’enfant de temps en temps pour découvrir le paysage différemment — ou carrément découvrir un paysage différent. »

Ainsi, que vous ayez 2, 7, 16 ou 80 ans, ne laissez personne vous dissuader de laisser libre cours à votre imaginaire… Qui sait ce que vous pourriez découvrir!

Photo de Sylvain Bouton et son fils Philémon : © Sylvain Bouton
Photo de Dominique Fortier et sa fille Zoé : © Melany Bernier
Photo d’Anik Jean et son fils Nathan : © Patrick Huard
Illustration tirée de Violette et Fenouil (La Bagnole) : © Amélie Dubois

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