Jennifer Tremblay et Jonathan Bécotte sont deux auteurs qui ont usé de poésie dans leur dernier livre destiné aux adolescents (ce qui n’empêche surtout pas un adulte de les lire et de les aimer). L’une avec un recueil de poèmes de jeunesse (Cendrillon au pays des cannibales), l’autre avec un récit poétique (Maman veut partir), ils font la preuve que la poésie n’a pas d’âge.

L’adolescence est une période charnière qui bouscule conscience, horizons, perspective, ce qui, à bien des égards, a beaucoup à voir avec la poésie. Cette forme littéraire possède plusieurs atouts lorsqu’il s’agit de redéfinir les repères d’une existence en pleine métamorphose. La poésie distille le récit pour n’en garder que le suc nourricier issu de l’authenticité du cœur. Elle touche aux fibres élémentaires de l’être et réussit même parfois à exprimer ce qu’on croyait indicible. Les mots de la poésie ne servent pas seulement à nommer les choses mais aussi à les faire ressentir, à les évoquer, à les imaginer et à exploser leur sens. « Elle laisse beaucoup de place au lecteur », explique Jonathan Bécotte. « Comme un texte troué. Il y a assez d’information pour que le lecteur se trace un paysage mental, mais pas trop, pour lui laisser le choix d’inviter ses souvenirs, ses envies, son instinct. Un peu comme une poésie dont vous êtes le héros! » En quelque sorte, les chemins proposés sont nombreux, mais le lecteur va là où bon lui semble, conquérir ce qui le rendra à la meilleure part de lui-même.

Riche en remise en question, l’adolescence a besoin d’espace pour explorer ses avenues. La jeune femme ou le jeune homme en devenir aspire à une grande liberté pour déterminer sa position dans le monde, pour identifier sa vérité. Jennifer Tremblay emprunte la pensée de Robert Melançon qu’il expose dans son essai Questions et propositions sur la poésie, à savoirque « la poésie, c’est l’espace de la liberté. Liberté de penser, de rêver, de dire. C’est le seul lieu où la langue exprime son plein potentiel ». Même analyse du côté de Bécotte qui au lieu de juger la poésie trop abstraite, comme certains le déplorent, trouve dans cette forme une liberté prolifique pour le lecteur. Elle n’est pas contrainte à une seule définition, mais est fragmentée de mille significations et est vivante parce que continuant à se transformer sous le regard du lecteur.  

La poésie pour tous!
Jennifer Tremblay arpente le territoire poétique depuis quelques lunes. Le recueil Cendrillon au pays des cannibales est composé de poèmes qu’elle a écrits de 14 à 17 ans. Pour elle, la découverte de la poésie à l’âge tendre a tout changé. Dès lors, elle a mis tout son temps et son énergie à en lire et à en écrire. « Je suis une femme mature, mais je n’ai pas oublié combien les émotions de l’adolescence sont puissantes et dévoreuses », écrit-elle en guise d’épilogue. « Un rayon/À peine lucide/Posé sur moi/Et mon chagrin/M’avait chanté/Au cœur/Une longue rhapsodie ». Le fait que près de trente ans plus tard d’autres yeux adolescents liront ses mots prouve que la poésie transcende les époques et qu’elle s’adresse à qui veut bien en faire l’expérience. « Maintenant, pour des raisons commerciales, on fragmente la production et on décide, pour le lecteur, quel livre s’adresse à lui. Heureusement qu’il y a des esprits libres dans ce monde! », s’exclame Tremblay. « J’aime penser qu’un livre trouvera son lecteur… mais on se moque de moi quand je dis ça. Baudelaire avait-il décidé que ses poèmes s’adresseraient aux adolescents? Et en particulier aux adolescents du XXIe siècle? Évidemment, pas du tout! Baudelaire a écrit ce qu’il pouvait écrire de meilleur. Voilà. » Si la poésie est un lieu de liberté, il serait en effet indécent de la compartimenter.

Jonathan Bécotte utilise le récit poétique pour les mêmes raisons; libérer les mots le plus possible pour que chacun puisse les faire siens. Pour lui, Maman veut partir prend la forme d’un travail d’admiration. « Depuis le décès de ma maman en 2015, j’avais en tête l’idée de lui rendre un hommage. Pas un hommage gonflé, “stéroïdé” d’adjectifs et de fausses joies. Non, je voulais lui rendre un vrai hommage, humble, sincère, mettant en lumière toutes ses facettes. […] Depuis son départ, je me plais à croire qu’elle vit maintenant à travers mes mots (même que j’entends sa voix parfois quand je me relis ou quand j’écris). » C’est l’amalgame de la voix de Bécotte et de celle de son frère qui devient celle du narrateur du livre. Elle dit comment a été vécue la première peine qui surgit après la séparation des parents, puis celle qu’engendre la mort de la mère. « Ma mère est un mannequin des bords d’océan./Ça m’effraie soudainement./Parce que la marée part/Et revient,/Et repart. » Par cette histoire pourtant bien personnelle, le lecteur reconnaît ses propres deuils et fait sienne cette « grande lettre d’amour d’un fils pour sa mère ». Parce qu’ils portent en eux un rythme pulsé d’émotions brutes, souvent sans compromis, les mots des poèmes ont une charge symbolique commune.

Un peu rêveur et distrait, Jonathan Bécotte choisit à l’école les livres les plus minces. C’est ainsi qu’il se retrouve à lire de la poésie et que contre toute attente, il est subjugué. Nelligan et son halo « trouble, sombre » l’attirent. Alors qu’il choisit la poésie « par paresse » comme le dit lui-même Jonathan Bécotte, il y fait la connaissance d’un langage qui ne le quittera plus. Par une sorte de procuration, la poésie permet au lecteur de se voir à travers le prisme à plusieurs faces qu’elle reflète. Le lecteur de poésie attentif découvre qu’il n’est plus réduit à une seule définition, il se regarde dans toute sa multitude, ses possibilités, sa complexité, sa richesse.

Mes amis, mes poètes
Surtout, le jeune amateur de poésie partage ses doutes et ses fragilités, prépare sa nouvelle peau à l’aune des aveux sincères; il se prépare à vivre une longue relation d’amitié. « J’entretiens une conversation avec Anne Hébert et Saint-Denys Garneau depuis si longtemps… ce sont de vieux amis. Et même si je fréquente bien du monde, ils restent mes préférés », explique Jennifer Tremblay. Dans les pages de son livre où elle parle de la genèse de son recueil, elle s’adresse directement au lecteur : « Je vous en prie, ne vous demandez jamais, en lisant un poème, ce que le poète a voulu dire. Demandez-vous plutôt ce que ce poème vous permet de dire, car son sens vous appartient. » Voilà le conseil d’un véritable ami qui suggère au lieu d’exiger, qui laisse de la place à vos rêves et qui vous invite à faire comme chez vous.

Photo de Jennifer Tremblay : © Mathieu Rivard
Photo de Jonathan Bécotte : © Guillaume Bell

Publicité