Richard Brautigan : début et fin d’un écrivain

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Richard Brautigan est un écrivain méconnu parmi les écrivains connus. Il aurait pu être le poète des années hippies, alors qu'il s'est fait connaître parmi la jeunesse exubérante des belles années de San Francisco. Ou il aurait pu être un autre larron de l'école du Montana, où il s'est retiré dans les années 1980, fréquentant ses amis Jim Harrison et Thomas McGuane. Pourtant, son style unique, tout en humour et en brièveté, en a fait un franc-tireur des lettres américaines, trop imparfait pour passer au corpus universitaire, mais tellement original que des millions de lecteurs ont succombé à ses histoires débridées et sa poésie atypique.

La présence de Brautigan en France est discrète mais tenace, soutenue par quelques lecteurs célèbres comme Philippe Djian et Thierry Séchan, ce dernier lui ayant consacré un livre dont il sera question ici, et par un éditeur minutieux, Le Castor Astral, qui a fait paraître deux titres.

L’humour comme support

Élevé dans l’Oregon dans une famille où une carrière d’artiste était absolument hors de question, Brautigan est descendu à 19 ans à San Francisco qui, au début des années 60, était depuis un certain temps en effervescence littéraire et culturelle. Plus jeune que les écrivains beat, il publie ses premiers romans, Le Général sudiste de Big Sur (1964), La Pêche à la truite en Amérique(1967) et Sucre de Pastèque (1968), en pleine explosion hippie. Un peu comme Bukowski, Brautigan écrivait indistinctement prose et poésie, avec une signature inimitable. Retiré au Montana, après avoir écrit plusieurs livres hétéroclites, inclassables et plus ou moins bien reçus, l’auteur devait se suicider en 1984.

Toute la poésie de Richard Brautigan raconte le désenchantement sur le mode de l’humour, qu’il soit absurde, satirique ou très noir. Les poèmes sont brefs, reposant tantôt sur le pouvoir évocateur d’un simple fait remarqué pour sa banalité ou sa bizarrerie, ou sur le choc imprévu des images qui témoignent d’une influence surréaliste. Souvent, c’est la forme elle-même qui s’annule dans un grand éclat de rire. Le poème parle de lui-même ou se refuse à l’existence en montrant sa propre futilité. Entre l’amusement tout à fait ludique des formes littéraires et du monde jusqu’à la tristesse de son évanescence, l’auteur, qui par boutade se disait « humoriste », a signé une œuvre profonde et originale, qui rappellera peut-être au lecteurs québécois celle de Patrice Desbiens.

Graine de poète

Le Castor Astral nous donne l’occasion de commencer par le début en publiant Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus, un livre qui devait connaître le sort des manuscrits mythiques. L’ayant donné en main propre à sa seule lectrice, la mère d’une amie, Brautigan, alors âgé de 21 ans, avait eu ce mot : « Quand je serai riche et célèbre, ce sera ta sécurité sociale ». La propriétaire devait le garder pour elle jusqu’en 1992… Le livre résume bien son auteur. On y trouve de la prose et des poèmes, d’ailleurs beaucoup plus légers que ses œuvres ultérieures. La deuxième partie offre une série d’instantanés extrêmement concis intitulés « photographie » ou « nature morte », qui vont au cœur des choses et des sentiments, le poème ne reposant plus que sur le pouvoir d’évocation et la musique des enjambements.

Son Journal japonais est constitué de poèmes écrits au jour le jour, comme un journal. L’auteur s’excuse lui-même de la qualité inégale de ses textes car, dit-il, la vie elle-même est inégale. Plus qu’une simple accumulation de notes versifiées, ce Journal japonais raconte le parcours d’un homme perdu dans un pays qui le fascine. Dans le beau texte en prose qui ouvre le livre, Brautigan raconte la mort de son oncle en 1942 sur le front japonais, alors qu’il n’avait que 7 ans. Le Japon venait de faire une entrée singulière dans sa vie, et ne cesserait plus de le hanter, jusqu’à la découverte de Basho et Issa, poètes des haïkus, forme à laquelle son écriture doit tant. Alors un jour, Brautigan dut aller voir de lui-même ce pays étrange, et c’est bien la vision d’un étranger total qu’il nous donne. Un des rares recueils de poèmes qu’il faut lire d’une traite, d’une couverture à l’autre, pour refaire ce voyage à travers le Japon… et Brautigan.

Relecture et redécouverte d’un corpus

C’est ce qu’a fait à sa manière Thierry Séchan dans À la recherche de Richard Brautigan. Son livre n’est pas une étude, mais plutôt l’hommage d’un lecteur qui plonge dans une œuvre. Littéralement, Séchan « recherche » Brautigan, jusqu’aux États-Unis, tentant de découvrir les signes annonciateurs de la mort qu’il s’est donnée, ou de retrouver les personnes qui l’ont connu. Ce faisant, il rencontre des libraires, des poètes inconnus qui sont restés inconnus, d’autres plus célèbres, des amis, tous formant une espèce de communauté de lecteurs qui « considèrent [l’écrivain] comme un ami intime » pour reprendre les mots de la quatrième de couverture.

Le lecteur qui voudrait s’initier à Richard Brautigan devrait commencer par ses premiers romans, dont certains sont disponibles dans la collection 10/18 — d’autres titres seront réédités plus tard cette année chez Christian Bourgois —, ainsi que le superbe Il pleut en amour, publié il y a quelques années au Castor Astral, et qui regroupe ses trois premiers recueils de poésie.

Après, il aura rencontré un écrivain.

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