Philippe Ségur : Poétique de l’égorgeur

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Nid Immarskjöld, alias Nid Duguay, est un homme sans histoire qui apprécie le confort et la tranquillité que lui offrent son emploi de professeur de droit et sa situation familiale sans ombrage. Il a bien entendu quelques rêves, dont celui d'être écrivain. Or voilà, puisque la création demande un peu trop d'efforts, on ne lui doit à ce jour qu'un seul personnage, Yagudin, sorte d'être sanguinaire inspiré par les sagas nordiques. Oui, la vie est un long fleuve tranquille pour Nid Duguay... Mais une telle situation ne saurait durer, surtout lorsqu'on est le héros d'un roman de Philippe Ségur. Quatre mois et quatre jours, voilà précisément le temps que durera la déchéance du protagoniste de Poétique de l'égorgeur, dernier ouvrage de l'écrivain toulousain, qui s'est imposé grâce à son sens aiguisé de l'humour noir et sa pétillante érudition.

En se penchant sur le cas Ségur, on constate d’emblée que l’auteur apprécie les tours de haute voltige littéraire et les titres intrigants, comme Métaphysique du chien (Prix Renaudot des lycéens) et Autoportrait à l’ouvre-boîte. Poétique de l’égorgeur s’inscrit dans un même élan ludique et longuement réfléchi :
« C’est un titre qui, en réalité, a un double sens. Le premier est immédiat et provient d’une volonté de créer un choc chez le lecteur grâce à l’association de mots contradictoires. Le second, davantage codé, fait appel à l’étymologie de  » poétique « , qui signifie l’ensemble des moyens mis en œuvre. Ici, la poétique vise l’égorgement des apparences puisque mon but, à travers un récit d’aventure, d’action et de suspense, était de faire un livre sur la ruine du réel », affirme Ségur. De son propre aveu, Poétique de l’égorgeur, en plus de rassembler de multiples clins d’œil à d’autres genres que le roman traditionnel, offre un écho à La Faim de Knut Hansum : « Par l’imaginaire, c’était une manière très personnelle de le rejoindre. », confie-t-il, avant d’ajouter que son roman est né d’une volonté de réfléchir à la fragilité du réel, et ce, tant sur le fond que la forme : « Comme mon personnage va voir sa réalité s’effondrer, j’ai trouvé intéressant de faire que cette déconstruction du réel se retrouve dans la forme. Je voulais en outre que le roman ait une structure assez rigide avec ses quatre parties bien délimitées. Pour y arriver, j’avais l’intention de varier les moyens autant stylistiques que formels, comme la structure du roman feuilleton avec les chutes en fin de chapitre, les aphorismes et parfois les comptes rendus techniques, les confessions. J’ai essayé de varier les styles pour pulvériser la fiction et qu’il y ait des retournements de situation constants. »

Inquiétant personnage fictif flirtant parfois dangereusement avec le réel, Yagudin demeure la figure emblématique d’une œuvre qui interroge le processus de création, une problématique déjà présente dans les deux premiers romans de Ségur. Sur ce point, ce dernier conclut : « Yagudin, c’est celui qui égorge les apparences pour Nid Duguay. C’est un initiateur. Dès la fin du premier chapitre, lorsque le personnage dit qu’il a tout perdu, on comprend qu’il a été initié, qu’il a compris quelque chose. Dans le récit scandinave, Yagudin est plutôt celui qui s’oppose au devenir, à l’interruption du lendemain puisqu’il égorge les enfants et enlève les femmes en âge de procréer. Il veut ainsi stopper le temps, comme Nid Duguay, d’ailleurs, puisque ce dernier a peur de tout et qu’il souhaite que rien n’arrive. »

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