Les Voix de la nouvelle littérature russe

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Il y a de cela trois cents ans, sous la gouverne de Pierre le Grand, naissait Saint-Pétersbourg, ville devenue légende : Saint-Pétersbourg, la splendide, cité mythique auréolée de farouches mystères ou l'âme russe règne, souveraine ; royaume où l'étrange côtoie le fabuleux et où le réel folâtre avec l'imaginaire romanesque si bien qu'au détour d'une rue, on croit reconnaître un visage familier rongé d'angoisse, un personnage famélique échappé d'un livre l'espace d'un instant, d'un égarement.

Nouvelle garde

Depuis toujours la destinée de Saint-Pétersbourg est étroitement liée à celle des écrivains qui la louangent et la glorifient, trouvant en elle matière à créer un thème littéraire majeur. Dès lors, les lettres russes s’acharnent à dévoiler l’essence de ce Pétersbourg érigé contre les éléments de la nature, et explorent par le fait même l’âme de ses habitants, empreinte d’une perpétuelle mélancolie. De la littérature russe et soviétique nous connaissons le plus souvent les classiques incontournables tels Gogol, Dostoïevski, Tchékhov, Tolstoï, Gorki, Maïakovski, Pouchkine, Boulgakov, Pasternak, soit des auteurs qui sont sans conteste passés à l’histoire de la littérature universelle. Mais il est également des auteurs russes contemporains qui méritent qu’on s’y attarde : c’est le cas de Anatoli Kim, Mark Kharitanov, Gaito Gazdanov, Andreï Makine, Viktor Pelevine, Nicolas Bokov, Ludmila Oulitskaïa, Alexandre Ikonnikov, Iouri Bouida, Sergueï Dovlatov, Vladimir Makanine, Vassili Axionov et Valeria Narbikova, pour ne citer que ceux-là. De nouvelles voix s’élèvent, un ton se profile à l’horizon littéraire russe. Tous ces auteurs expriment dans un style qui leur est propre — tantôt cuisant, voire acide, tantôt empreint de nostalgie, teinté d’humour et d’ironie —, leur façon de vivre leur identité russe.

L’Après-perestroïka

La littérature postsoviétique ne rompt pas franchement avec les thèmes classiques chers aux auteurs russes. À l’époque de la perestroïka prenait forme un mouvement de créativité intense tant dans le théâtre, les arts plastiques que la littérature. S’ensuivit une décennie profondément marquée par la recherche d’identité et la nécessité d’exorciser un âpre quotidien.

Dans ses Dernières Nouvelles du bourbier, Alexandre Ikonnikov dépeint sa réalité russe à grands traits d’ironie et de grotesque, comme si l’absurdité avait le pouvoir de conjurer les misères quotidiennes. L’exercice est fécond puisqu’il réussit à dresser un portrait social saisissant. Une autre voix, celle de Viktor Pelevine (Homo Zapiens), l’un des représentants les plus éminents de la jeune génération d’écrivains postsoviétiques, choisit la satire pour réfléchir sur son époque chaotique. Plus près des thèmes classiques, Ludmila Oulitskaïa s’inscrit plutôt dans la lignée de Tolstoï. Son œuvre demeure imprégnée de ce fatalisme typiquement russe mais est également traversée d’une douce mélancolie et d’une sérénité apaisante. Un si bel amour et autres nouvelles, paru récemment, explore l’éveil du sentiment amoureux dans une prose sensible et juste. Un autre auteur digne d’attention, Nicolas Bokov, raconte l’errance de l’homme en quête de sens dans son très beau roman à saveur d’autoportrait à peine voilé La Conversion. Et que dire de cette imposante saga, Underground ou Un héros de notre temps de Vladimir Makanine, magnifique requiem pour toute une génération à la recherche d’une identité ?

La nouvelle littérature russe témoigne de la rudesse et de la misère d’un quotidien qu’il faut toutefois réussir à sublimer pour que soit possible la vie et la création. Les auteurs de la génération postsoviétique ont une plume souvent satirique où l’on sent poindre une note d’humour et d’ironie non dénuée de tendresse à l’égard de la condition humaine. Je vous invite à vous laisser charmer par la lecture de ces auteurs, témoins d’une ère nouvelle. Plongez sans retenue dans ces univers envoûtants où la quête de sens et la recherche de vérité se révèlent autant d’interrogations sur notre fragile condition d’êtres humains.

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Dernières Nouvelles du bourbier, Alexandre Ikonnikov, Éditions de l’Olivier
Homo Zapiens, Viktor Pelevine, Seuil, coll. Cadre vert
Un si bel amour et autres nouvelles, Ludmila Oulitskaïa, Gallimard, coll. Du monde entier
La Conversion, Nicolas Bokov, Noir sur blanc
Underground ou Un héros de notre temps, Vladimir Makanine, Gallimard, coll. Du monde entier

Quelques suggestions de lectures :
Lumineuse césarienne, Vassili Axionov, Actes sud
La Zone : Souvenirs d’un gardien de camp, Sergueï Dovlatov, Du Rocher, coll. Anatolia
Eros est russe, Valeria Narbikova, Éditions Pierre Horay

NDLR Deux titres récemment parus à l’occasion du tricentenaire de Saint-Pétersbourg méritent l’attention : Saint Pétersbourg : Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire (Lorraine de Meaux, Robert Laffont, coll. Bouquins) et Le Roman de Saint-Pétersbourg : Les Amours au bord de la Néva (Vladimir Fédorovski, Du Rocher).

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