C’est la première fois en 20 ans que le nombre de romans à paraître du côté de la littérature étrangère francophone passe sous la barre des 500, nous apprenait Livres Hebdo en amont de cette rentrée. Cela dit, plusieurs des 490 romans annoncés auront de quoi retenir l’attention cette saison : de nombreuses grandes pointures sont de retour et plusieurs pépites méconnues brillent ardemment. Ci-dessous, nous vous présentons plus de 80 titres étrangers qui titilleront, ose-t-on l’affirmer, votre envie de lire!

À surveiller

L’île haute
Valentine Goby (Actes Sud)
On décrit ce livre comme un roman-paysage. C’est qu’il entraîne son lecteur dans les montagnes, aux côtés d’un jeune garçon qui part s’installer dans les Alpes afin d’y guérir son asthme, mais pour qui ce type d’environnement est totalement inconnu. Pour lui qui n’a jamais quitté Paris, jamais lu de romans, vu de films, entendu de légendes… la nature qu’il découvre y est d’une force étonnante et son contact sur lui sera à la fois salvateur, initiatique et énonciateur d’une nouvelle vision des choses. Un roman d’un enchantement méditatif.

 

Le goûter du lion
Ito Ogawa (trad. Déborah Pierret Watanabe) (Éditions Philippe Picquier)
Sur l’île aux citrons existe un centre de soins palliatifs qui propose à ses pensionnaires de quitter leur existence dans une union de lumière et de sérénité. Chaque dimanche, les pensionnaires se réunissent pour déguster des plats et se faire en même temps leurs adieux. Des liens se tissent entre les insulaires — peurs et bonheurs sont échangés —, accentués par la beauté et l’aspect paisible des lieux. Avec sa plume délicate, Ito Ogawa parle de la Fin comme d’une noble poésie.

 

Strega
Johanne Lykke Holm (trad. Catherine Renaud) (La Peuplade)
Imaginez : un hôtel de luxe (ou est-ce plutôt un couvent?) en hautes montagnes, dans une forêt dense bordée d’un lac noir, neuf jeunes femmes de 19 ans qui y sont envoyées pour y apprendre les rudiments de leur vie de… femmes. Lorsque l’une d’entre elles disparaît, la colère gronde. L’écriture cinématographique, qui tient de l’onirisme et de l’inquiétante étrangeté, nous plonge rapidement dans cette sororité et dans l’ambiance luxueuse et indolente, ensorcelante et obsédante, de ces lieux comme nuls autres.

Les vertueux
Yasmina Khadra (Mialet-Barrault)
L’auteur des Hirondelles de Kaboul propose l’histoire, dans l’Algérie de l’entre-deux-guerres, d’un homme, traqué par le mauvais sort, qui ne peut compter que sur ce qui est le plus précieux : son humanité. Dans ce récit de plus de 500 pages écrit au je, on plonge avec Yacine Chéraga, l’aîné d’une fratrie de sept enfants dont le père devait mendier, dans une vie d’aventures incroyables qui s’enchaînent et dont le protagoniste n’a jamais cessé de se battre.

 

Crossroads
Jonathan Franzen (trad. Olivier Deparis) (L’Olivier)
Dans une Amérique des années 1970, à la croisée des chemins alors que la guerre du Vietnam agite les pensées et que la jeunesse conteste et se libère, Franzen dépose ses personnages : un pasteur, son épouse et leurs trois enfants. Dans ce roman polyphonique, il explore la question de ce que cela signifie d’être bon. Car tout basculera dans la vie de cette famille lorsqu’un second pasteur débarquera dans la paroisse. Ces 800 pages sont le début d’une saga annoncée, sur trois générations.

 

Où es-tu, monde admirable
Sally Rooney (trad. Laetitia Devaux) (L’Olivier)
Elle a séduit trois millions et demi de cœurs avec Normal People (adapté en série télé en 2020). Gageons que ses charmes opéreront à nouveau avec ce roman qui nous plonge dans l’Irlande d’aujourd’hui avec des réflexions sur le sexe, l’argent, l’amour, l’amitié et la politique. Qu’est-ce qu’avoir 30 ans à une époque désenchantée? Les personnages gravitant autour d’Alice, une jeune romancière, en témoignent : sa meilleure amie, rédactrice à Dublin; son ami d’enfance qui en pince pour elle; et sa nouvelle flamme dénichée sur un site de rencontres.

L’inventeur
Miguel Bonnefoy (Rivages)
Octave. C’est le nom d’une machine inventée par Augustin Mouchot en plein cœur du XIXe siècle qui capte l’énergie solaire. C’est une révolution! Tous sont séduits — Napoléon III le premier — et son succès à l’Expo universelle de Paris, en 1878, le prouve. Mais voilà : ce projet est coûteux et le charbon se trouve quant à lui partout en plus d’être abordable. Miguel Bonnefoy entraîne son lecteur dans les fascinantes péripéties de cette invention, de sa découverte jusqu’au vol de son brevet.

 

L’inconduite
Emma Becker (Albin Michel)
Emma Becker a connu le succès très jeune avec Mr et a été au-devant de la scène notamment avec La Maison, revenant sur son expérience positive de prostituée dans une maison close à Berlin. Dans L’inconduite, elle continue d’explorer le désir et les différentes facettes de la femme, le tout avec un goût marqué pour ce qui est littéraire et toujours à travers le prisme de la sexualité. Ici, la femme est aussi devenue mère et se questionne : qu’est-ce l’amour, le désir et l’intimité? Combien d’hommes faut-il pour combler ces trois sphères?

Tout est bien
Mona Awad (trad. Marie Frankland) (Québec Amérique)
Mona Awad est une écrivaine épatante. Son Lapin, paru l’an dernier, avait charmé autant que déstabilisé ses lecteurs. Ici, elle explore avec son écriture hypnotique le thème de la douleur chronique. Sa protagoniste, une professeure de théâtre amère de souffrir atrocement et d’avoir perdu sa vigueur, dresse des parallèles entre elle et Hélène, rôle principal de la pièce mal-aimée de Shakespeare Tout est bien qui finit bien, qu’elle monte avec ses élèves. Mais un roman d’Awad n’en serait pas un d’Awad sans la petite touche d’étrange magie qu’elle infuse à son histoire…

Arpenter la nuit
Leila Mottley (trad. Pauline Loquin) (Albin Michel)
À 16 ans, l’autrice est nommée poète de la ville d’Oakland. À 17 ans, elle écrit ce roman coup-de-poing dont l’éditeur souligne la parenté avec l’œuvre de Toni Morrison, et qui fut choisi au club de lecture d’Oprah. Ce roman, c’est l’histoire d’une jeune Afro-Américaine d’Oakland : sa mère est en prison et, pour payer les factures, elle arpente la nuit en monnayant son corps. Multidimensionnelle et toujours tirée vers la lumière, cette femme qui subit la violence des hommes continue pourtant de poursuivre sa quête du bonheur, ce qui en fait un roman tant attendu.

Quelque chose à te dire
Carole Fives (Gallimard)
Elsa, une autrice plutôt discrète, apprend le décès de son écrivaine préférée. Afin de lui rendre hommage, elle place en exergue de son nouveau roman une citation de la défunte. Touché, le veuf contacte Elsa et voilà que tous deux se lient, amoureusement. Tranquillement, la jeune autrice prend ses aises chez celle qu’elle a toujours admirée… Dans cet hommage à la littérature sous forme de thriller, Carole Fives instaure un mystère : existe-t-il véritablement un manuscrit caché dans « la chambre à soi » de l’autrice décédée, pièce interdite à Elsa?

Dessous les roses
Olivier Adam (Flammarion)
Trois enfants réunis lors de l’enterrement de leur père : trois visions différentes d’une enfance pourtant partagée. Ce huis clos devient le prétexte parfait pour qu’Olivier Adam explore les dessous d’une famille et d’une société, où les choix de chacun ne sont pas toujours dans la continuité de ceux des autres. Le couple, le choix d’avoir des enfants, la construction de soi, l’adultère, la dérive sociétale : les sujets sont nombreux au sein de cette famille qui choisit de partager ses souvenirs et qui nous pousse à réfléchir à nos existences.

 

Cher Connard
Virginie Despentes (Grasset)
Trois personnages prennent la parole dans ce roman épistolaire sur l’amitié : une actrice dans la cinquantaine, un auteur quadragénaire qui aime le rap, et une féministe qui n’a pas encore atteint la trentaine. Des transfuges de classe, adeptes de drogues, d’art ou de réseaux sociaux, qui feront face à la violence du monde, à la beauté d’être proches les uns des autres et aux difficultés inhérentes à l’instabilité de leur vie, où colère et angoisses laissent peu de place à l’acceptation.

 

Le monde après nous
Rumaan Alam (Seuil)
Un couple de New-Yorkais blancs, « bobos » et habitués à la perfection, loue sur Airbnb une maison dans le Long Island. Mais voilà qu’un bruit retentit, étrange. Puis, un couple d’Afro-Américains frappe à leur porte : c’est en fait leur maison et une panne d’électricité majeure les pousse à revenir chez eux. S’ensuit un huis clos, une tension palpable face à l’inquiétant état d’urgence diffusé par le gouvernement et, surtout, face au racisme qui s’étend dans cette cohabitation imposée. Netflix a acheté les droits de ce livre, qui fut finaliste au National Book Award for Fiction en 2020. Ce sont Julia Roberts et Mahershala Ali qui y tiendront les rôles principaux.

Le rocher blanc
Anna Hope (trad. Élodie Leplat) (Le bruit du monde)
Après Le chagrin des vivants, La salle de bal et Nos espérances, Anna Hope propose un vaste roman — dans une toute nouvelle maison d’édition — qui nous entraîne dans une odyssée aux confins des contradictions de l’humanité, en nous promenant sur quatre siècles et aux côtés de quatre personnages principaux. Ils ont tous en commun de graviter autour de ce rocher blanc, auquel la tribu locale mexicaine des Wixarikas attribue l’origine du monde. Un roman entre l’intime et l’épique.

 


Des romans ambitieux

Impossible de passer sous silence La Cité des nuages et des oiseaux, d’Anthony Doerr, chez Albin Michel. Cet auteur, qui a reçu le prix Pulitzer et qui a vendu plus de 6 millions d’exemplaires en anglais et plus de 20 millions dans le monde pour son précédent roman (Toute la lumière que nous ne pouvons voir), offre cette fois une saga de 700 pages, sur huit siècles, et avec cinq personnages. La grande question qui s’y cache est : comment des histoires écrites il y a plus de 2 000 ans retrouvent-elles leur chemin jusqu’à nous? Et pour y répondre, on passe par la chute de Constantinople, la guerre de Corée, les changements climatiques et le futur de l’humanité, qui tente de se sauver dans un vaisseau… Oui, prometteur! Dans Les liens artificiels (Albin Michel), le jeune philosophe Nathan Devers propose quant à lui de réfléchir à l’aliénation numérique par le biais de deux personnages : un architecte du métavers appelé Antimonde, et un homme déchu, accro aux univers numériques.

De grands auteurs à (re)découvrir
C’est à une balade dans les cimetières de Pointe-Noire que nous convie Alain Mabanckou dans le roman social Le commerce des Allongés (Seuil) : l’histoire des dernières heures de Liwa, qui, par un soir d’été, rencontre celle qui signera sa fin… Une fois la veillée funèbre et son enterrement passés, Liwa ressortira de sa tombe… car il a une lutte de classes à terminer, cette dernière touchant même la gestion des sépultures. De son côté, l’auteur espagnol José María Merino présente pour la première fois un roman en français : Le fleuve des souvenirs (Faubourg Marigny), Prix national des lettres espagnoles 2021. C’est l’histoire revisitée d’un amour, alors qu’un père entraîne son fils sur l’Alto Tajo, un cours d’eau légendaire, pour y disperser les cendres de sa femme et lui raconter leur vie commune. Avec Oh, Canada (Actes Sud), l’écrivain américain Russell Banks met en scène un célèbre documentariste qui accepte une interview filmée, alors qu’il est au seuil de la mort. Cet homme qui a rempli sa vie de mensonges consent enfin à tout dévoiler. Mais voilà, sa santé se détériore plus rapidement que prévu et vient ajouter un défi à son récit des révélations. La ligne de nage, de Julie Otsuka (Gallimard), explore lui aussi la mémoire, mais différemment : avant que sa propre mémoire ne lâche, une nageuse fait remonter à la surface des souvenirs, notamment celui d’un camp pour Nippo-Américains durant la Seconde Guerre ou encore celui de son enfant disparu trop tôt. Et finalement, après Le bal des folles, adapté au cinéma, voici un second roman de Victoria Mas : Un miracle (Albin Michel). En 1830, sur une île du Finistère Nord, une jeune religieuse à vocation apostolique se fait annoncer qu’elle aura une vision et attend ainsi que la Vierge lui apparaisse… Trouble, désir et folie jouent du coude sous la plume de Mas.

À lire aussi
Je vais, tu vas, ils vont, Jenny Erpenbeck (Fayard)
Lincoln Highway, Amor Towles (Fayard)

Devant les préjugés raciaux
Si la construction raciale a toujours été au centre des écrits de Toni Morrison, Récitatif, sa seule nouvelle écrite — publiée chez Bourgeois cet automne pour la première fois hors recueil et préfacée par Zadie Smith —, a ceci de particulier qu’il n’y a nulle mention quant à la couleur de peau de ses protagonistes, Twyla et Roberta, inséparables dans leur jeunesse et qui se recroisent devenues adultes. Dans L’été où tout a fondu (Gallmeister) de Tiffany McDaniel (qui a signé l’incroyable Betty), un procureur met une annonce dans le journal : « Si le diable existe, qu’il vienne me voir ». Dès le lendemain, un jeune garçon à la peau noire et aux yeux verts débarque dans la ville, qui devient dès lors très chaude… Même thématique que dans Betty, même écriture touchante, même ébranlement chez le lecteur. Chez Actes Sud, Margaret Wilkerson Sexton propose avec Miss Josephine de replonger dans le passé esclavagiste américain, reliant une lignée de femme en Louisiane, sur trois époques, et dès 1924. Il s’agit d’une histoire puissante sur les tensions — et les transmissions — raciales intergénérationnelles, qui met en relief le mal fait, notamment, par le Ku Klux Klan. Dans Real Life (La croisée), Brandon Taylor dépeint un personnage qui doit combattre un double préjugé : celui contre sa couleur, et celui contre son orientation sexuelle.

À lire aussi
La douceur de l’eau, Nathan Harris (Philippe Rey)

Des premiers romans savoureux
En plus de celui de Claire Baglin (voir entrevue ici), cinq autres premiers romans sont particulièrement à surveiller cet automne. Tout d’abord, Une terrible délicatesse (Les Escales), de Jo Browning Wroe, dont on dit qu’il s’agit de l’événement littéraire de 2022 au Royaume-Uni. On plonge en 1966 aux côtés d’un jeune embaumeur tout juste diplômé qui apprendra, au-delà de son métier, la force de la compassion et du pardon sur sa propre histoire alors qu’une tragédie a lieu dans une école primaire. Dans Conquérir le ciel (Phébus), Pierre Roubin propose un roman autobiographique haut en émotions. Un jeune père apprend qu’il mourra bientôt. Il choisit donc de se consacrer à ériger une forteresse d’amour et de tendresse autour de ses fils, lui qui n’a pourtant pas connu l’amour de son père mais plutôt sa violence. Il doit donc tout apprendre, créer, et donner. Dans Open Water (Denoël) de Caleb Azumah Nelson, un photographe et une danseuse se rencontrent dans le quartier du sud-est de Londres, deviennent amis, puis amants. Ce roman interroge la nécessité de l’art, la liberté en amour, la nécessité pour un homme noir de nommer sa douleur et sa vérité. « Entre Calaferte et Edward Bunker, Matthieu Seel a écrit le premier grand roman français sur le crack », a commenté Virginie Despentes par rapport au premier roman-sensation qu’est Rien ne dure vraiment longtemps, chez HarperCollins. Et, finalement, on vous propose Le poids des choses (Le Quartanier), le premier roman de Marianne Fritz, dont la version allemande publiée en 1978 a remporté le prix Robert Walser et a été le premier volet d’un projet nommé La Forteresse, auquel elle travaillera toute sa vie et qui se base sur l’histoire de la première et de la deuxième république autrichienne. Du grand flair de la maison d’édition québécoise!

Quelques inclassables
Dans Taormine, Yves Ravey (Minuit) nous entraîne sur les routes de la Sicile avec un couple dont le mariage bat de l’aile. Dans une voiture d’occasion, le duo cherche ici la mer, là son hôtel, mais avec toujours cette ambiance insolite, faite de non-dits et de présuppositions à la suite d’une étrange collision entre sa voiture et un objet non identifié. Et parce qu’on est avec Yves Ravey, on accepte la proposition et on suit l’étonnant parcours de celui qui, derrière le volant, semble faire les mauvais choix. De son côté, Marcus Malte propose Qui se souviendra de Phily-Jo? (Zulma), qui met en scène un savant qu’on hésite à décrire comme un fou ou un génie et qui vit au cœur de la zone pétrolière américaine du Texas. Il aurait inventé une machine à énergie libre : la FreePow, qui crée de l’énergie gratuite. C’est le jeu de narration de cette histoire qui est captivante, car les récits s’emboîtent comme des poupées russes, alors qu’on suit l’enquête des héritiers qui cherchent les plans de cette machine et que le Phily-Jo en question est mort dans des circonstances pour le moins étonnantes… Un roman extravagant qui s’articule autour de la Vérité. Et, puisque peu d’information est encore disponible au sujet d’Angélique, prochain roman annoncé de Guillaume Musso chez Calmann-Lévy, nous ne vous en donnons ici que le titre!

À lire aussi
Une rétrospective, Juan Gabriel Vásquez (Seuil)
En mémoire de la mémoire, Maria Stepanova (Stock)
Le cartographe des absences, Mia Coulton (Métailié)
Je suis Jésus, Giosuè Calaciura (Noir sur Blanc)
Faire bientôt éclater la terre, Karl Marlantes (Calmann-Lévy)
L’homme peuplé, Franck Bouysse (Albin Michel)
Iochka, Cristian Fulaş (La Peuplade)
La loterie de la vie, Milton O. Walsh (Michel Lafon)

L’art au cœur de la vie
Finaliste au prestigieux Booker Prize 2021, La dépendance de Rachel Cusk (Gallimard) est un huis clos qui regroupe six personnages : une romancière et son second mari, sa fille et son compagnon ainsi qu’un peintre de renommée mondiale et une jeune femme qui l’accompagne. Les lieux sont sublimes, mais les tensions n’en sont que plus fortes autour d’une grande question : l’art peut-il autant nous détruire que nous sauver? On reste dans le domaine de l’art contemporain avec Catherine Millet et Les commencements (Flammarion), un roman autobiographique sur ses débuts dans ce domaine et les artistes qui en ont fait une longue carrière. De son côté, la romancière cubaine Zoé Valdés, avec sa plume qui fuit tous les tabous, propose Paul (Éditions Arthaud), un roman biographique sur Paul Gauguin, alors qu’il est au terme de sa vie, agonisant en Polynésie française. L’artiste y a des visions, son passé refait surface : prétexte parfait pour aborder l’amour, la mort, l’exil et, surtout, le thème de la création.

Pour l’amour de la littérature
L’incandescente Sylvia Plath est au cœur d’Euphorie de Elin Cullhed (L’Observatoire), qui a remporté l’équivalent du Goncourt en Suède. L’autrice y dépeint en fiction la dernière année de vie de la poète, où il est question de désir et de féminisme, mais aussi de liberté, de folie, de la lourdeur des tâches domestiques et de la pression familiale. Chez Zulma, on retrouve avec bonheur Hubert Haddad dans L’invention du diable : il s’intéresse alors à Papillon de Lasphrise, un poète du XVIe siècle mort dans d’étranges circonstances. Haddad imagine alors un roman baroque où Lasphrise aurait passé un pacte avec le diable : tant que l’œuvre du poète ne sera pas éternelle, le poète, lui, le sera. Ainsi, son personnage vivra d’époque en époque, ira d’aventures en mésaventures, rencontrera le Marquis de Sade à la Bastille, les Précieuses ridicules dans leur salon, et sera, malheureusement, éternellement amoureux. Selon l’éditrice, ce roman — dont l’auteur parle depuis dix ans — serait LE grand roman d’Haddad. « Toute la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre, comme si une urgence se tenait tapie encore, à retrouver », écrit Lola Lafon dans Quand tu écouteras cette chanson (Stock), de la collection « Ma nuit au musée ». Elle y visite la maison d’Anne Frank, l’absence et le vide de cette annexe devenue musée. Et dans Le magicien (Grasset), Colm Tóibín s’attarde à la vie intérieure du romancier nobélisé Thomas Mann. Tóibín imbrique intime, histoire et politique dans une grande épopée littéraire sur la première moitié du XXe siècle.

À lire aussi
Nous irons mieux demain, Tatiana de Rosnay (Robert Laffont)
Appelez-moi Cassandre, Marcial Galla (Zulma)
Une autre vie, Elisa Sagnelonge (Michel Lafon)

Des écrivains nordiques
Dans l’ambitieux Les vainqueurs (Gallimard), le Norvégien Roy Jacobsen embarque son lecteur de la côte du Helgeland jusqu’à Oslo, de 1927 à 1990, avec une fresque familiale de 700 pages qui retrace la grande histoire d’un peuple par le biais de gens ordinaires. Dans Stöld (Robert Laffont), Ann-Helén Laestadius nous entraîne dans les méandres xénophobes qui opposent certains Suédois au peuple sami, dont les membres sont principalement des éleveurs de rennes. L’histoire débute alors qu’une fillette samie voit son faon se faire tuer par un Suédois. Dix ans plus tard, un événement ravivera ces souvenirs douloureux et la pousseront enfin à prendre parole et à agir. On assiste alors à sa lutte pour défendre la place de son peuple et sa culture, ses traditions et la préservation de l’environnement, et ce, au sein d’une modernité qui est moins ouverte qu’elle ne le dit. Avec Et la forêt brûlera sous nos pas (Autrement), traduit déjà dans vingt-deux pays, Jens Liljestrand signe un roman-phénomène de cli-fi : on y côtoie quatre personnages qui réagissent différemment devant la catastrophe environnementale que sont les gigantesques feux de forêt qui ravagent la Suède, la transformant en zone de guerre.

Histoires de famille
Le nouveau roman d’Amélie Nothomb s’intitule Le livre des sœurs (Albin Michel) et poursuit la lancée de l’autrice sur la veine familiale. Mais cette fois, elle ne s’inspire pas tout à fait de sa famille, mais plutôt du type de relation qui l’unit à sa soeur : fusionnelle. L’histoire est la suivante : dans les années 1980, un couple dont la fusion de l’amour cache un vide abyssal met au monde deux enfants, Tristiane et Laeticia. Entre le duo des parents et celui formé par les petites, il semble y avoir concurrence, voire aucun pont possible. Ce roman en est un sur la force de l’amour sororal lorsque les parents ne jouent pas leur rôle de parents, trop enfermés dans l’amour qui les unit. De son côté, la très attendue Pauline Delabroy-Allard (Ça raconte Sarah) revient avec son second titre pour adultes, Qui sait (Gallimard), un roman qui aborde la disparition et la possibilité de salut, et qui nous entraîne aux côtés de l’arrière-grand-mère aliénée de l’autrice à travers le Paris homosexuel des années 1980 et la Chine des années 1900, à la poursuite de l’héroïne de la pièce Partage de midi de Paul Claudel.

Parfois, famille rime également avec conflits : c’est le cas dans La nuit des pères (Noir sur Blanc), de Gaëlle Josse, où l’on suit une femme qui, à la demande de son frère, retourne vers le paternel, dont la santé périclite. Elle souhaite comprendre cette violence, ces silences, ce comportement destructeur. Les voix des membres de la famille se succèdent pour ainsi démontrer l’ambiguïté, les troubles, les non-dits. Même relation dévastée entre le père et la fille chez Sarah Jollien-Fardel dans Sa préférée (Sabine Wespieser), mais ici, la violence est physique, le silence est dur, l’émancipation n’est pas facile. Et, finalement, quoi faire quand la mère disparaît? Comment organiser la famille de trois enfants, comment faire pour que les larmes cessent de couler? Dans Zizi Cabane (Le Tripode), la passionnante Bérengère Cournut se penche sur ces questions et joue d’onirisme, en faisant revenir la mère parmi les siens grâce à ce ruisseau qui traverse le jardin.

À lire aussi
Vers la violence, Blandine Rinkel (Fayard)
La vie clandestine, Monica Sabolo (Gallimard)
La nièce du taxidermiste, Khadija Delaval (Calmann-Lévy)
Ajar-Paris, Fanta Dramé (Plon)

Quand l’amour n’a pas d’âge
En cette rentrée 2022, il est étrange de constater combien est fréquente la thématique des amoureux dont des décennies séparent leur naissance! Julian Barnes ouvre le bal avec Elizabeth Finch (Mercure de France), dans lequel un comédien de 30 ans tombe sous le charme de sa mystérieuse enseignante de « Culture et civilisation » dont, vingt ans plus tard, il héritera des écrits personnels et tentera de comprendre les obsessions. Sur fond de Brexit et de dissonances politiques, Nick Hornby nous présente quant à lui dans Tout comme toi (Stock) Lucy, 41 ans et divorcée, qui se cherche un baby-sitter pour ses fils. Elle trouve plutôt un amant, âgé de 22 ans et rêvant de devenir DJ. Une thématique qu’on retrouve aussi dans Free Love (Bouquins) de Tessa Hadley, soit l’histoire, dans les années 1960, d’une femme qui se découvre alors qu’elle tombe en amour avec le fils de son amie. Elle a alors une révélation sensuelle, mais aussi amoureuse et identitaire. De son côté, Simon Liberati fera sensation avec Performance (Grasset), qui s’attarde à la jeunesse contemporaine, aussi intense que désirante. Son personnage, un romancier de 71 ans victime d’un AVC qui accepte à contrecœur d’écrire le biopic des Rolling Stones, vit une passion, certes scandaleuse, avec sa belle-fille de 23 ans… Alors que les forces du romancier déclinent, leur passion, elle, est loin de péricliter. Et puisque nous sommes avec Liberati, c’est également une grande aventure truffée d’histoires littéraires à laquelle on assiste. Et finalement, on ne pourrait passer outre Mon bel animal, de l’auteur non binaire Marieke Lucas Rijneveld chez Buchet-Chastel, où un vétérinaire de zone rurale se livre dans un journal intime à une seule et même longue phrase sur sa relation avec une nymphette. Les références à Lolita sont nombreuses et voulues, les élans passionnés côtoient le discours clinique et les frontières se brouillent à plusieurs égards.

À lire aussi
Cléopâtre et Frankenstein, Coco Mellors (Éditions Anne Carrière)

Parole aux femmes
Dans Mon cher mari, de Rumena Bužarovska (Gallimard), l’autrice fait résonner plusieurs
à voix féminines qui se livrent sans tabou sur leur mari : celui-ci est impuissant, celui-là Mon cher mari - Rumena Bužarovska - Babeliomacho, l’autre adultère. Dissection de la figure du couple grâce à une plume désopilante qui égratigne également les contradictions portées par les femmes, cette œuvre féministe tragi-comique met à mal le patriarcat. Dans un tout autre ordre d’idées, n’est-ce pas intrigant, comment la fondation de la Tasmanie a eu lieu en 1840? Dans Le pays au-delà des mers (Belfond), Christina Baker Kline nous parle de ces femmes — dites de moins bonne famille — qui y furent envoyées, survivant à une longue traversée en mer, et sans qui la Tasmanie n’aurait jamais pu devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Grâce à son écriture joyeuse, Olivia Ruiz nous entraîne pour sa part dans un café familial où se rejoignent des femmes fortes et libres : plusieurs portraits de personnages bien tissés constituent Écoute la pluie tomber (JC Lattès).

À lire aussi
Le choix, Viola Ardone (Albin Michel)
La poupée qui fait oui, Agnès de Clairville (HarperCollins)
Une vie possible, Line Papin (Stock)

Ces journalistes qui prennent la plume
On dit de Leslie Jamison, titulaire d’un doctorat en littérature anglaise de l’Université Yale La baleine solitaire et autres textes habités par Jamisonet professeure à l’Université Columbia, qu’elle est l’enfant rêvée de Joan Didion et de Susan Sontag. Avec son recueil aussi inusité que profond, elle plonge entre le reportage et la confession pour épater son lecteur. Les quatorze textes qui constituent La baleine solitaire et autres textes habités (Fayard), flirtent avec les questions du manque et de l’obsession. S’y retrouvent notamment 52 Blue, la baleine la plus solitaire du monde, mais aussi ce musée croate qui recèle une collection de reliquats provenant de relations brisées. La presse française soutient qu’il y a du Mrs Dalloway et du Virginia Woolf déjanté dans la narratrice de Comment font les gens? (Stock) de la journaliste Olivia de Lamberterie. Il s’agit de l’histoire d’une femme, éditrice et mère de trois fillesVignette du livre Comment font les gens ? dont le nom de chacune évoque la joie, qui tente de s’y retrouver entre la charge mentale, le mari dont elle a fouillé le cellulaire, son travail où les mots deviennent un lieu de refuge et sa mère atteinte de légère démence. Une femme insatisfaite, qui continue de vivre une heure à la fois, et dont le lecteur suivra les réflexions, les pensées sur son quotidien comme son passé. De son côté, Emmanuel Carrère a chroniqué, à raison d’un texte par semaine, le procès des attentats du vendredi 13 novembre 2015 au Bataclan pour de grands journaux européens. Dans V13 (P.O.L), il rassemble ses chroniques judiciaires, qui ont comme point commun de faire ressortir l’humanité de tous, « qu’elle soit bouleversante, admirable, ou abjecte », en dit son éditeur.

À lire aussi
Cavales, Aude Walker (Fayard)

Publicité