La « new romance » sous la loupe : un phénomène plus grand que nature

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La « new romance », c’est ce nouveau phénomène qui a pris d’assaut le marché du livre depuis 2013, année où plus de 2 millions d’exemplaires de « Cinquante nuances de Grey » ont été vendus. Cette série fut rapidement suivie par « After », « Crossfire », « À fleur de peau », « Beautiful » et maintenant « Calendar Girl » : le genre s’est installé au point d’accaparer une part faramineuse de 13 % des ventes totales de livres en France. Dignes héritiers des Harlequin, ces romans agrippent les lectrices grâce à leurs histoires d’amour fortement pimentées. Petit tour d’horizon du phénomène.

Si elle est boudée par certains, la « new romance » peut néanmoins se targuer d’avoir une feuille de route impressionnante : des ventes mirobolantes (2,7 millions d’exemplaires en 2015 en Europe francophone), des centaines de nouveaux titres annuellement, une progression constante dans les parts de marché, des festivals – en Europe et aux États-Unis – entièrement dédiés au genre. Rencontré pour discuter du phénomène, Pierre Bourdon, directeur général et éditeur de la branche Hugo & cie au Québec, affirme qu’en France, « 10 % des lecteurs lisent de la “new romance” ».

Ce créneau d’édition, longtemps dominé dans le marché francophone par JC Lattes (« Cinquante nuances de Grey »), compte sur un nouveau meneur depuis 2015. Hugo & cie s’est alors démarqué grâce à la série « After » d’Anna Todd, publiée par eux en France et par les éditions de l’Homme au Québec, qui a rejoint plus d’un million de lectrices. Récemment, le succès du groupe français l’a mené à investir plus efficacement le Québec. Si Hugo & cie a décidé d’y ouvrir une division, c’est justement parce que le marché y est propice : les lectrices y sont en grand nombre, et il n’est pas question qu’elles soient laissées de côté.

Un genre qui fait place à l’érotisme
Une lectrice sur dix affectionne ce genre, butinant à la fois du côté des éditions Hugo & cie, mais également aussi chez Marabout, Michel Lafon, Milady, Lattes et J’ai lu, où l’offre est aussi florissante. Mais comment peut-on le décrire, ce genre? Il regroupe généralement des œuvres qui s’adressent aux 18 à 30 ans et qui mettent en scène les romances de ces groupes d’âge-là, dont les personnages, bien souvent, ont un passé tortueux. Selon Pierre Bourdon, « la clientèle de la “new romance” est celle qui va voir les comédies romantiques, qui écoute les Gossip Girl et qui a lu Quatre filles et un jean ».

L’amour et le sexe sont les deux axes principaux autour desquels la trame narrative s’articule. Et, parce qu’on est en 2017, forcément, la teneur sexuelle est plus explicite qu’elle ne l’étaitdans les Harlequin. En effet, depuis « Cinquante nuances de Grey », la littérature érotique semble s’être démocratisée, semble avoir été désacralisée : on en parle à table avec les beaux-parents, on en lit dans les transports en commun, on ne la cache plus dans notre bibliothèque. L’érotisme est plus assumé que jamais, et si quelques livres de la « new romance » frôlent drôlement avec les romans pornographiques, cela n’empêche pas des millions de lectrices de s’enticher de ce genre et de revendiquer publiquement leur intérêt pour une telle littérature. Mais la « new romance » est-elle à coup sûr érotique? Oui. « Il y a par contre une gradation, tout dépendant des séries, nous explique monsieur Bourdon. On se promène entre sensualité et érotisme, jusqu’à du plus hard. » En guise d’exemple précis, il nomme la série « Up in the Air », dont les tomes En vol et En l’air racontent les voluptueuses aventures d’une hôtesse de l’air de 23 ans, une série qu’il qualifie de « quatre piments ».

Si les Harlequin des années 50 plaçaient ses intrigues à la maisonnée, au chalet ou dans le voisinage, maintenant, bien des histoires se passent sur des lieux de travail (« Sexy Lawyers » d’Emma Chasse, « À fleur de peau » de Maya Banks et « Addicted to Sin » de Monica James), dans les bars (« Rock Chick », de Kristen Ashley ), dans de grandes villes (« Le choc » d’Anna Todd et « Calendar Girl » d’Audrey Carlan), bref, dans des univers près des femmes contemporaines. Pour Pierre Bourdon, la « new romance » se situe par contre « une coche au-dessus des Harlequin, parce qu’il s’agit de séries et qu’ainsi, les personnages ont le temps d’évoluer, de prendre de l’ampleur ». Il ajoute par ailleurs qu’aucune formule narrative n’est appliquée; les péripéties se déroulant au gré de l’auteure et non au gré de balises préétablies. Finalement, Pierre Bourdon résume le tout simplement : « Ce sont des femmes qui écrivent des romans érotiques pour plaire aux femmes. Ça fait une différence dans l’écriture. Le point de vue de la femme est davantage présent. »

Un nouveau mode d’écriture
Si dans la « new romance », l’écriture n’y est pas aussi fine que dans l’œuvre érotique des classiques du genre que sont Junichirō  Tanizaki, Pauline Réage ou Anaïs Nin, c’est que là n’est pas l’objectif de ce genre. Avec la « new romance », on vise le divertissement. Et fait notoire, le mode d’écriture a également fort évolué en même temps que la technologie. En effet, qu’ont en commun « Calendar Girl », « Cinquante nuances de Grey » et « Hacker »? Ces séries ont toutes été publiées sur des plateformes d’édition en ligne, elles ont toutes subi l’influence de cette révolution électronique dans le mode d’écriture et de lecture. La solitude de l’écrivain? Un mythe qui disparaît avec la « new romance ».

Mais écrire sur une plateforme Web (de type Wattpad, Fyctia ou Lecthot), quel impact cela a-t-il? Tout d’abord, il faut savoir que bien souvent, les livres déposés sur les plateformes numériques sont produits sous forme de chapitres, ce qui provoque un style d’écriture plus sérialisé. Par ailleurs, comme l’écriture de courts chapitres peut se faire d’un téléphone intelligent, dans les transports, au café, etc., on reste dans l’ère de la rapidité. Ensuite, la barrière entre lecteur et auteur tombe : les commentaires fusent rapidement et – surtout – forgent l’œuvre en création. Soumis aux likes, aux commentaires d’encouragement et aux conseils de lecteurs qui veulent connaître la suite de l’histoire, le projet grandit, tout comme la pression de plaire. Les éditeurs, eux, surveillent les tendances et guettent assidûment les prochains succès. Pour l’éditeur, publier une auteure ayant fait ses preuves sur les plateformes de publication est gage de succès : un public déjà gagné, et un réseau déjà bien établi. En effet, Pierre Bourdon nous confirme que, du côté d’Hugo & cie, pour publier une auteure, il faut qu’elle ait un large réseau d’amis sur Facebook et d’abonnés sur Twitter et qu’elle ait plus de 75 % de commentaires positifs sur Goodreads, site de recensions et de critiques de lecteurs. De plus, ajoute-t-il, « il ne s’agit que d’auteures à succès qui ont gravi les colonnes des best-sellers du New York Times ».

On pourrait alors se demander si ça vaut la peine de publier un roman qui a déjà reçu 600 millions de clics sur Wattpad (comme ce fut le cas pour Anna Todd); quel lectorat reste-t-il à atteindre? Mais le résultat est révélateur : les ventes traditionnelles de « After » ont atteint les 200 millions d’exemplaires. Monsieur Bourdon avance plusieurs hypothèses pour expliquer ce phénomène, notamment le système de publication en feuilleton, qui pourrait maintenant pousser les lectrices à souhaiter lire le roman d’un bout à l’autre sans coupure; de nouvelles lectrices, qui préfèrent lire en format papier; tout simplement de grandes admiratrices qui souhaitent relire l’œuvre.

En 2017, plusieurs séries de « new romance » sont annoncées, autant chez Hugo & cie que chez Milady ou Michel Lafon. En librairie, il faudra parfois demander à son libraire où ces livres sont cachés – en littérature étrangère, en roman érotique, en chick lit –, mais assurément, ils seront de plus en plus visibles. Vous saviez que des cocktails, des fashionistas et même de grands festivals sont créés autour de la « new romance »? Oui, ce phénomène littéraire plus grand que nature a de quoi attiser notre curiosité!

 

LE NOUVEAU BUZZ : « CALENDAR GIRL »

La grande nouveauté du côté de la « new romance » est débarquée au Québec en janvier 2017 sous le nom de « Calendar Girl », série d’abord autopubliée par Audrey Carlan, puis éditée chez Hugo & cie. Aux États-Unis, les douze volumes de la série — qui portent chacun le nom d’un mois de l’année — ont été vendus à 6,5 millions d’exemplaires. De plus, Josh Schwartz et Stephanie Savage, les producteurs de Gossip Girl, ont acquis les droits de la série et en feront douze épisodes pour la chaîne ABC. Le buzz a conquis l’Allemagne, le Brésil, le Danemark, la Hongrie, l’Italie, la Norvège et même Israël.

« Calendar Girl », c’est l’histoire d’une gentille fille qui souhaite venir en aide à son père, criblé de dettes — un million de dollars — et plongé dans le coma par un prêteur sur gages. Afin de subvenir aux besoins de sa famille — son père, sa soeur et elle-même —, elle trouvera une solution payante : devenir escorte. « Tu rejoindras le client où qu’il soit, et tu joueras le rôle qu’il veut pendant un mois. Mais attention, ma poupée : je ne vends pas de sexe. Si tu couches avec eux, c’est parce que tu en as envie, et crois-moi, quand tu verras les hommes que j’ai sur la liste d’attente, tu réfléchiras à deux fois avant de refuser — sans parler de la prime que tu gagneras. » Ainsi, on découvrira dans cette série douze hommes — peintre, scénariste, restaurateur, joueur de baseball, etc. —, dans douze villes différentes — Chicago, Las Vegas, Seattle, Boston, etc. En devenant leur dame de compagnie, Mia devra se mouler à la vie de chacun de ces hommes fortunés et, heureusement pour elle, tous séduisants. Si la qualité littéraire n’est pas le point fort de cette série, il n’en demeure pas moins que si on souhaite plonger dans une lecture coquine qui fera rêver, c’est un choix judicieux.

Photo Audrey Carlan : © Julien Poupart

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