L’Oulipo, mode d’emploi

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Fondé le 24 novembre 1960 par François Le Lionnais, mathématicien passionné de littérature, et Raymond Queneau, littéraire féru de mathé-matiques, l'Ouvroir de littérature potentielle, que l'on abrège par l'amusant sigle Oulipo, a fêté son cinquantième anniversaire l'automne dernier. Au tout début, l'Oulipo s'appelait le Séminaire de littérature expérimentale et constituait une branche du Collège de 'Pataphysique. Malheureusement, et malgré les années qui se sont écoulées depuis sa création, l'Oulipo n'est pas encore connu à sa juste valeur, du moins au Québec.

Ouli quoi?
«Ouvroir» (atelier de travail), parce que les membres du groupe souscrivent à l’idée que l’on fabrique de la littérature. Et «potentielle», parce que les possibilités qu’offre la littérature sont infinies et que les oulipiens travaillent à l’invention de nouvelles formes et structures littéraires (que d’autres pourront ensuite utiliser à leur guise). La littérature que fabriquent les auteurs de l’Ouvroir en est donc une sous contrainte. Fait intéressant et rigolo, les oulipiens se définissent, dans La littérature potentielle (Gallimard), comme des «rats qui ont à construire le labyrinthe dont ils se proposent de sortir.» Ni une école, ni un mouvement, l’Oulipo est un groupe constitué d’hommes et de femmes qui ont en commun leur amour pour les maths et la littérature. François Le Lionnais a divisé les activités du groupe en deux secteurs: l’anoulipisme et le synthoulipisme. Le premier relève de l’analyse de textes déjà écrits, afin d’y trouver des possibilités encore ignorées par leurs auteurs, et de la recherche de plagiaires par anticipation, comme Raymond Roussel qui usait de procédés d’écriture semblables aux contraintes oulipiennes. Le second, qui est d’ailleurs le mandat principal de l’Oulipo, consiste à «ouvrir de nouvelles possibilités inconnues des anciens auteurs», en inventant des contraintes. Je tiens à préciser que c’est dans une perspective d’élargissement – et non de remplacement – que travaille l’Oulipo, en ce sens que le but n’est pas de faire table rase du passé, loin de là.

L’écriture sous contrainte
Pour un auteur oulipien, la contrainte n’a rien d’oppressant, bien au contraire, elle stimule l’imagination en ouvrant l’écriture à des possibilités que l’écrivain n’aurait peut-être pas envisagées autrement. Si le «S+7» est une contrainte mécanique (elle consiste à remplacer chaque substantif d’un texte existant par le septième plus loin dans le dictionnaire), les autres se présentent plutôt comme des problèmes à résoudre, les textes proposant des solutions. Futés, les oulipiens se permettent le clinamen, c’est-à-dire une erreur délibérée! Un des exploits les plus populaires est sans doute La disparition de Georges Perec, roman qui compte plus de 300 pages, entièrement écrit sans la lettre «e»; il s’agit de la contrainte du lipogramme. Alors que cette contrainte est facilement perceptible pour le lecteur, d’autres ne le sont pas du tout, notamment celles qui régissent la structure des textes. Le Chiendent, de Queneau, ou La vie mode d’emploi, de Perec sont de véritables chefs-d’œuvre architecturaux, leur structure n’étant pas laissée au hasard, je vous le garantis!

Plus loin encore…
La notion de potentialité est très importante au sein de l’Oulipo. Raymond Queneau a su la pousser au maximum avec ses Cent mille milliards de poèmes, recueil qui contient pas moins de 100 000 milliards de sonnets, exploit réalisé grâce à un principe combinatoire. Cette prouesse engendre toutefois bien des débats quant à l’auteur, puisqu’il est impossible, et ce, même pour lui, de les lire tous: selon Queneau, il faudrait lire pendant près de 200 millions d’années, vingt-quatre heures par jour, pour y arriver! On peut donc se demander qui est l’auteur des poèmes: Queneau ou le lecteur qui combine les vers comme bon lui semble? La potentialité d’un texte réside aussi dans ce qu’il aurait pu devenir. Par exemple, Le Chiendent présente toutes les caractéristiques d’un roman policier (intrigue, meurtres, magouilles, etc.), mais il n’en est pas un, puisque l’auteur ne l’a pas construit à la manière d’un polar.

Cinquante ans ont passé
Pour célébrer ce demi-siècle d’activités prolifiques, quelques membres actuels de l’Ouvroir ont fait paraître C’est un métier d’homme, recueil de nouvelles inspirées du texte «Autoportrait d’un descendeur», de Paul Fournel, dans lequel le métier de descendeur camoufle celui de nouvelliste. Toutes les nouvelles du livre sont construites de la même façon, c’est-à-dire que chaque autoportrait proposé en cache un autre, que l’on vous laisse découvrir. Notez que vous pouvez aussi faire connaître l’Oulipo aux plus jeunes, grâce au Petit Oulipo, anthologie de textes d’auteurs oulipiens destinée aux enfants de 8 ans et plus, leur expliquant une vingtaine de contraintes amusantes.

Plongez dans l’univers de l’Oulipo: les textes que vous rencontrerez seront tous d’une diversité et
d’une ingéniosité surprenantes! Laissez-vous prendre au jeu!

Bibliographie :
La littérature potentielle, Oulipo, Folio, 320 p. | 17,95$
Atlas de la littérature potentielle, Oulipo, Folio, 432 p. | 17,95$
C’est un métier d’homme, Oulipo, Mille et une nuits 142 p. | 16,95$
Cent mille milliards de poèmes, Raymond Queneau, Gallimard 68$
Le chiendent, Raymond Queneau, Folio, 448 p. | 15,95$
La disparition, Gerorges Perec, Gallimard, 320 p. | 16,95$
Le petit Oulipo, Paul Fournel, Rue du monde, 56 p. | 29,95$

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