José Carlos Somoza: Rencontre du troisième type

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Ma première rencontre avec l'écriture de José Carlos Somoza est inoubliable. Lors d'une discussion familiale animée, il me fut conseillé de lire sur-le-champ La dame N°13. D'un naturel obéissant ou, disons-le, très curieux, j'ouvris le livre prêté le soir même : une décision aux conséquences imprévisibles. Je me suis retrouvée seule dans une grande maison à deux heures du matin, effrayée par un objet faisant à peine 10 cm x 18 cm... en l'occurrence, le livre lu! Le ridicule ne tuant pas, ou si peu, je l'avoue maintenant aisément.

José Carlos Somoza, né à La Havane en 1959, vit en Espagne, où il fut psychiatre avant de se consacrer entièrement à sa carrière littéraire. L’auteur nous séduit par son habileté à construire des histoires étranges dans des genres différents. Plusieurs de ses romans offrent une fenêtre sur un art particulier. Alors que dans La dame N°13, roman fantastique, certains vers poétiques se transforment en armes, dans Clara et la pénombre, roman policier futuriste, les êtres humains peuvent devenir des tableaux.

Dans la tradition borgésienne
À travers la lecture de l’ensemble de ses livres, on distingue une réflexion omniprésente sur la notion d’œuvre et le pouvoir de celle-ci. Qu’est-ce que l’art? Dans quelle mesure la fiction peut-elle avoir un pouvoir sur le lecteur? La caverne des idées est un roman policier philosophique dont la particularité est une narration inédite, car l’auteur joue tour à tour le rôle de narrateur, auteur et traducteur dans de subtiles mises en abyme. L’originalité de Somoza vient non seulement de ses histoires atypiques, mais également des idées philosophiques et artistiques qui en découlent. La théorie des cordes, véritable roman de science-fiction, et La clé de l’abîme, roman d’anticipation, sont des creusets de références littéraires, scientifiques et philosophiques, qui nous entraînent très loin dans l’imaginaire, et où le suspense est toujours à son comble.

Quand la réalité bascule
Clara et la pénombre raconte l’histoire d’une jeune femme prête à tout pour devenir un chef-d’œuvre alors qu’un tueur de tableaux humains rôde. Les personnages s’interrogent sur ce qui, de la mort de l’individu ou de la destruction de la toile peinte sur le corps de la victime, est le plus grave. L’auteur a le don de toujours nous laisser dans l’incertitude: est-ce de l’art, si l’on considère les principes du récit, ou de la violence, si l’on s’en tient à des critères moraux? C’est un récit sombre et fouillé où chaque détail est d’une grande précision. Somoza apparaît comme un prédicateur quand la réalité le rattrape avec l’événement suivant: en novembre 2010, soit dix ans après la parution du livre, un homme se fait implanter un appareil photo dans le crâne pour prendre des clichés, qui seront ensuite exposés dans un musée d’art moderne. L’art sur le corps humain devient une thématique fréquente. Ce roman mène loin l’imbrication du concept artistique et du support humain, au risque de faire perdre son intégrité au dernier. Dans La dame N°13, c’est la poésie qui est étudiée, voire disséquée, afin de lui donner une fonction mortelle. Encore une fois, il s’agit d’interroger le lecteur sur le pouvoir de la littérature. Le fantastique ne vient qu’après une très réaliste mise en scène, qui laisse croire que le roman se déroule dans une époque contemporaine «normale». La tension monte de manière exponentielle, pour qu’à la fin, les mots soient aussi glaçants pour le lecteur que ceux d’un thriller d’horreur. Ce livre fait peur, il mystifie le lecteur, qui se laisse prendre dans l’univers complexe imaginé par l’écrivain. Un véritable monument littéraire, à mon sens, pour transmettre autant d’émotions et de surprises par le biais d’une plume parfaitement maîtrisée.

Sachez qu’un roman de Somoza est aussi travaillé qu’une peinture à l’huile, où plusieurs couches de couleurs différentes peuvent être appliquées les unes sur les autres pour atteindre la nuance souhaitée. Lecteurs aventureux, laissez-vous tenter, car vous serez déboussolés et conquis sans l’ombre d’un doute.

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