Ils sont nombreux à avoir alterné sous le rouleau de leur machine à écrire œuvres romanesques et articles journalistiques. Si pour certains travailler pour la presse était purement « alimentaire », pour d’autres, c’était une tribune à défendre avec conviction, un lieu d’où pouvaient s’élever leur voix et leurs idées. Et, avouons-le, à une certaine époque, les colonnes des journaux étaient les antichambres de la littérature, ce que plusieurs d’entre eux n’étaient pas sans ignorer…

Émile Zola (1840-1902)
Ce grand romancier laisse derrière lui une œuvre journalistique foisonnante, qu’il écrivit entre 1863 et la fin des années 1800, alors que le monde du journalisme et des médias était dans sa pleine expansion. Positif, il croit en un journalisme idéal qui amalgame des propositions de l’ancien journalisme et du nouveau journalisme d’information. Positif, il croit que littérature et politique peuvent être liées (se dissociant ainsi des débats qui opposent auteurs et journalistes). Positif, il voit les salles de presse comme des lieux pour « forger son style sur la terrible enclume de l’article au jour le jour », des laboratoires du naturalisme. Celui qui s’est investi grandement dans ce métier fera d’ailleurs des adieux publics à la profession, en 1881, publiant un portrait lucide, nuancé de ce métier et disant, comme cité dans Zola Journaliste (Flammarion), qui regroupe et met en contexte une sélection de textes parmi son œuvre journaliste : « il faut avoir longtemps souffert et usé du journalisme, pour le comprendre et l’aimer ». Mais bien que les adieux fussent faits, il reviendra quinze ans plus tard au tabloïd pour défendre le commandant Dreyfus ; la puissance de l’article « J’accuse! » laissera des traces indélébiles dans l’histoire de la littérature, mais également dans l’histoire tout court.

Colette (1873-1954)
C’est Colette qui a dit, et mis à profit durant sa carrière dans la presse écrite : « Il faut voir, et non inventer. » L’auteure du roman Le blé en herbe aura vendu sa plume, qu’on dit acerbe et lucide, durant près d’un demi-siècle à différents journaux, du Figaro au Paris-Soir, en passant par Marie-Claire et Marianne. Si elle y a fait des chroniques du quotidien ainsi que des récits de voyage (sa fascination pour New York est palpable et contagieuse dans ses écrits!), elle couvrira également les affaires judiciaires, dont le procès d’un tueur en série, sera critique de théâtre et rédactrice de mode. Dans Colette : Journaliste (Libretto), on découvre 130 chroniques signées par la plume simple mais hautement maîtrisée de cette auteure nobélisée; on retrouve une femme qui défend la voix de ses compatriotes féminines, notamment en parlant de leur vie durant les deux guerres mondiales; on retrouve des passages descriptifs subjectifs, qui touchent néanmoins à l’universalité.

Albert Camus (1913-1960)
Dans Le dictionnaire Albert Camus, on apprend que le premier patron de Camus, journaliste à l’Alger républicain, en a dit ceci : « Il n’est rien de ce qu’on peut faire dans une rédaction de journal que je ne lui aie demandé et dont il se soit acquitté avec autant d’aisance qu’un vieux professionnel, et en y mettant par surcroît de la sensibilité et du style, qui ne sont pas monnaie courante dans le commerce de la presse. » En bon journaliste, Camus mettra de l’avant témoignages et analyses, oscillera entre récits et essais, trouvera des sources honorables, notera les nuances, travaillera avec adresse ses chutes : il se fait un devoir de témoigner, car, comme il l’a lui-même écrit, « un journaliste est un homme qui, d’abord, est censé avoir des idées; ensuite un homme chargé de renseigner le public sur les événements de la veille. Un “historien au jour le jour” dont le premier souci est la vérité ». Nul ne sera surpris d’apprendre que cet homme socialement engagé cassait bien souvent du sucre sur le dos des autorités, usant notamment de son ton ironique, au point que celles-ci fermeront Le Soir républicain, journal dont il était rédacteur en chef. C’est cependant comme éditorialiste dans Combats et dans L’Express qu’il connaîtra la gloire. On peut d’ailleurs retrouver l’ensemble de sa production journalistique, réunie puis analysée, dans Albert Camus, journaliste de Maria Santos-Sainz, aux éditions Apogée.

Victor Hugo (1802-1885)
L’auteur de Notre-Dame de Paris n’avait pas encore 20 ans lorsqu’il entreprit sa carrière de journaliste, commençant en signant des critiques de livres et de pièces de théâtre ainsi que des chroniques dans Le Conservateur littéraire, journal qu’il avait cofondé avec ses frères. Plusieurs sujets l’intéressent — l’urbanisme, le délabrement du patrimoine médiéval, le combat contre la peine de mort, l’abolition de l’esclavagisme aux États-Unis, etc. — et il se préoccupe toujours et en premier plan de la liberté d’expression. Lors de la création du journal Le Petit Nord, il rédigera des encouragements qui rendent compte de sa vision du journalisme en général et qui vont comme suit : « Servir le pauvre, aider le faible, renseigner le citoyen, affermir la République, en un mot, agrandir la France, déjà si grande, tel sera votre but; d’avance j’applaudis. » Sa plume, à qui il refuse toujours l’anecdotique, est aussi ample qu’allègre, joue d’éloquence et frôle souvent le grandiose. C’est ainsi qu’il émeut, crée la polémique et sait convaincre. Hugo a le don de la formule qui happe et certains de ses textes journalistiques sont même écrits en vers. Pour découvrir tout le talent caché dans son œuvre journalistique, il vous faudra plonger dans Hugo journaliste (Flammarion), anthologie rassemblée et commentée avec brio par Marieke Stein.

Honoré de Balzac (1799-1850)
Ce qu’on peut dire de Balzac, autant du romancier que du journaliste, c’est qu’il s’attelait à la tâche qu’était l’écriture en édifiant une œuvre pour le moins foisonnante. Mais bien qu’il ait écrit quantité d’articles, Balzac ronchonna vivement contre les journaux, voire les méprisa. Il le fit par le biais d’un des personnages d’Illusions perdues qui qualifiait les journalistes de « marchands de phrases » et qui soutenait que « des articles lus aujourd’hui, oubliés demain, ça ne vaut à mes yeux que ce qu’on les paye », mais surtout, et dans une ampleur vivement plus grande, il fit connaître son mépris des journaux dans Monographie de la presse parisienne et Des salons littéraires (ces deux textes étant réédités sous le titre Les journalistes chez Le mot et le reste), où il dénonça tous les torts et travers possibles de ladite profession et des gens qui l’exercent, pointant du doigt notamment l’influence sur la politique, la vanité qui s’en dégage et le manque de substance de plusieurs articles. Mais si Balzac est sévère contre la profession, c’est qu’il y entrevoit les possibles. C’est probablement pourquoi il s’y adonna autant, fondant même ses propres revues, se découvrant également une passion pour le fait divers — réel terreau romanesque pour l’auteur de La comédie humaine. Pour découvrir son œuvre journalistique, plongez dans Balzac journaliste (Flammarion) : vous jugerez ainsi par vous-même si son talent est à la hauteur de ses reproches!

Guy de Maupassant (1850-1893)
Maupassant aurait-il pu écrire Bel Ami s’il n’avait pas été lui-même journaliste? Probablement pas. Il ose, dans ce roman, une corrosive et satirique critique du milieu de la presse du XIXe siècle, chose qu’il n’aurait pu faire aussi adroitement sans connaître les rouages, les dessous et les fonctionnements d’un journal. Et il les connaît, car l’actualité le passionne, la vie politique de la IIIe République l’électrise, les scandales financiers l’enflamment, les opérations coloniales en Algérie le soulèvent; de tous ces sujets, il en fera son métier, en tirera reportages et chroniques, qu’il signera parfois d’un pseudonyme, en écrira des articles qui feront la une des grands journaux, dont Le Figaro, Le Goncourt, Le Gaulois et Le Gil Blas. Et à travers les près de mille papiers publiés estimés, dont quelque 200 chroniques en moins de dix ans, Maupassant trouvera le temps d’écrire rien de moins que six romans…

Photo de Colette : © Henri Manuel
Photo d’Albert Camus : © United Press International, 31 décembre 1956
Photo de Victor Hugo : © Nadar
Photo de Guy de Maupassant : © Nadar

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