Colette, l’honnête homme

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Cette année, nous fêtons le triste 50e anniversaire de la mort de Colette, la grande dame de la littérature française, décédée le 3 août 1954. Notons qu'il est ironique de le fêter, Colette n'ayant elle-même jamais assisté à un enterrement, même pas à celui de sa mère, la flamboyante Sido, et ayant dit tout au long de sa vie : « La mort et moi, nous ne nous sommes jamais toisées ». Pour cette occasion, beaucoup de biographies paraissent ou sont rééditées. En voici quelques-unes qui méritent l'attention et représentent le mieux Colette.

Colette, personnification de la vie

Lors du dernier Salon international du livre de Québec, j’ai rencontré Hortense Dufour, auteure de Colette : La Vagabonde Assise. La biographe nous présente une Colette véritable, humaine et sans fard. Tout sont art réside, ici, dans son souci du détail, son talent à « supposer ». Dufour ne se contente pas de nous dire : « Elle est née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans la nuit. » Non, elle nous décrit ce moment : la neige qui tombe ; le feu qui s’éteint dans la cheminée ; la douleur de Sido, dont la lutte dura 48 heures, et l’attente du Capitaine, zouave unijambiste, le père si transparent de Colette, qui était fou d’angoisse pour sa Sido, « son âme très chère ». Hortense Dufour aime ses personnages, elle y met toute son âme pour les faire revivre, y plonge complètement pour tenter de saisir la substance même de leur vie : « D’abord, c’est un effondrement de tout mon être. Pour deux raisons : je me dis que je n’y arriverai jamais ; et puis j’ai l’impression que ces grandes mortes, quelque part, ne sont pas si contentes que ça que je déshabille lentement et entièrement ces corps et ces âmes-là. Il y a sentiment d’intrusion parce que je sais que j’irai très loin, que j’entrerai en symbiose avec elles. »

Colette, dite Colette Willy

Colette n’est pas qu’une femme de lettres, ou même une artiste de music-hall, ou encore uniquement une journaliste. C’est un personnage à part entière, une personnalité charismatique qui s’est formée tranquillement, épousant peu à peu son art. Ce n’est pas chose aisée que d’écrire sur Colette. Femme aux multiples talents et aux mille connaissances, elle a développé nombre d’amitiés particulières, a écrit une correspondance si volumineuse qu’elle ne tiendrait pas dans une Pléiade, en plus de ses romans, de ses articles (dans Le Matin ou Le Figaro, entre autres), ou de ses tournées de music-hall —magnifiquement décrits dans L’Envers du Music-Hall. Aussi ai-je décidé de m’arrêter sur son entourage proche.

Qui pense à Colette pense immanquablement à Willy, son premier mari certes — elle s’est par la suite remariée deux fois et a eu entre temps de nombreux amants et amantes —, mais le plus important. Il a été son mentor. Mariée à 20 ans, sans fortune, ses parents ayant dilapidé le patrimoine familial, elle quitte la province pour Paris aux côtés de Henry Gauthier-Villars, dit Willy, de quatorze ans son aîné. Il l’initie à l’amour, bien sûr — Colette restera une amoureuse convaincue —, et au « vice » (elle l’accusera de tous les maux par la suite), mais surtout il l’introduit dans les milieux littéraires et les salons parisiens, l’amenant ainsi à la postérité. François Caradec réhabilite, dans Willy, le père des Claudine, cet homme dont Colette divorce en 1910 après quatre ans de séparation, et surtout après l’affront ultime qu’il lui fait en 1909 en revendant, sans lui en parler, les droits des Claudine. Colette ne le lui pardonnera jamais. Elle le haïra jusqu’à la fin, et l’immortalisera à jamais dans Mes apprentissages, sous les traits d’un homme dépravé, mesquin, vicieux et incapable d’écrire par lui-même. Willy est un homme cultivé, François Caradec insiste beaucoup sur ce point, qui pouvait rédiger avec aisance ses critiques en latin. Il dirige parallèlement un atelier de nègres : ils écrivent pour lui des chroniques musicales et des romans légers qu’il retravaille, puis signe de son nom. Colette sera son meilleur nègre. Il signera les Claudine, la privant ainsi de tous droits. « Malgré cela, selon Hortense Dufour, c’est lui qui a décelé son talent, lui a enseigné la discipline, la rigueur et l’exactitude. Il le paiera par la suite, car Colette est un véritable orfèvre de la langue, et s’en servira d’une façon tout à fait destructrice contre lui. Il mourra dans la misère, oublié de tous. Voilà un tableau bien noir. » François Caradec essaie cependant de nous réconcilier avec Willy, longtemps boudé, et il y parvient, montrant un homme dépassé par sa peur de ne pas pouvoir écrire, par son amour pour Colette, qu’il adorera jusqu’à la fin de ses jours, par sa gentillesse, peut-être, et par son goût pour la provocation. Dans Colette, une certaine France, Michel Del Castillo dit de François Caradec que « son livre reste jusqu’à ce jour l’un des plus honnêtes non seulement sur Willy, mais sur le couple. Caradec ne croit ni dans la biographie, ni dans l’autobiographie ; cette lucidité le rend modeste. »

Colette, amoureuse des hommes et de la nature

Colette aimait les gens, mais aussi les animaux et les plantes, les jardins et le silence de la nature. Dans Colette, une dame, trois rois et quelques cavaliers, Paul Argonne montre une Colette vive et vivante, enchaînant les amitiés et les amours brûlantes. Son ambivalence sexuelle est présente à la fois dans sa vie privée et dans ses écrits. La femme y a souvent besoin de la femme — Willy dirait pour mieux revenir à l’homme — mais rien n’est moins sûr. Colette était avide, curieuse de tout essayer, les hommes comme les femmes : la Comtesse de Morny, dite Missy, fut sa compagne, entre Willy et Henri de Jouvenel, le deuxième mari, avec lequel Colette eut Colette de Jouvenel (Bel Gazou, dite Petite Colette), sa fille si peu présente dans sa vie et sa littérature. La biographie de Paul Argonne est intéressante, car elle répertorie toutes les relations que Colette a eues et qui ont influencé sa vie. Elle se contente toutefois de répéter ce qui est déjà connu et comporte quelques inexactitudes. Ces dernières ne sont pas d’importance, mais pourraient gêner un spécialiste.

Colette, une passion sans limite

Colette était une femme de paradoxe : moderne, mais pas féministe, écrivaine, mais prétendant n’avoir aucune vocation littéraire, provocatrice, mais sans ostentation, ni vice, car le « vice, c’est ce qu’on fait sans plaisir ». Ce n’est pas un mythe : Colette continue de fasciner, encore et toujours, 104 ans après la publication de Claudine à l’école, qui lui collera toujours à la peau, et ce, malgré ses frasques, ses scandales, son goût pour l’amour libre, et son franc-parler qu’elle cultivera à l’extrême. Pourquoi ? Hortense Dufour en donne une explication très juste : « C’était une grande vivante, qui nous donne envie de retrouver les heureux chemins de l’épanouissement, sans que nul tabou ne nous écrase. Si tout homme et toute femme vivaient à la manière de Colette, on serait sûrs que la planète resterait belle (…), que les animaux ne seraient pas cruellement massacrés, que les femmes ne seraient pas humiliées, méprisées, on serait sûrs que la guerre n’aurait aucun sens. »

Grâce à tous ces ouvrages, le portrait est brossé. Laissons le soin à Colette de conclure, par cette phrase qu’elle avait confiée à Claude Farrère : « Si je suis orgueilleuse, ce n’est pas d’avoir écrit : c’est d’avoir vécu. Et vécu en honnête femme… Pardon, je veux dire : en honnête homme… ».

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