Ces auteurs qui tiennent la route : Kenzaburô Ôe

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Chronique d’un pays aux mœurs ambiguës, réflexions existentielles sur la nature de l’homme, sur la beauté et la dureté de la vie, l’œuvre de Kenzaburô Ôe est riche, intemporelle et terriblement touchante.

L’œuvre de Kenzaburô Ôé est remplie d’enfants. D’enfants naïfs, d’enfants cruels, d’enfants défavorisés, d’enfants dépassés par la nature des événements qui s’offrent à eux. Des enfants sauvages, indomptés, des enfants de tous âges qui peinent à grandir, qui peinent à comprendre, qui tentent tant bien que mal d’agir pour le mieux.

Gallimard nous offrait tout récemment dans la collection « Quarto » l’intégralité de l’œuvre de ce grand écrivain japonais, prix Nobel de littérature en 1994. Romans, nouvelles et essais se côtoient dans cet indispensable recueil, couvrant une période de près de soixante ans d’écrits, d’histoires, de pensées.

Né en 1935 dans un petit village reculé de l’île de Shikoku, l’écrivain demeurera marqué par la Deuxième Guerre mondiale, puis donnera naissance à un fils lourdement handicapé durant les années 60.

Ce sont là des éléments qui marquèrent Ôé au fer rouge, teintant du même coup son écriture, sa sensibilité ainsi que son imaginaire. Pour sublimer toute la souffrance que peut engendrer une guerre totale, dévastatrice, pour soulager le deuil que génère la naissance d’un enfant différent, pour chasser hors de lui le campagnard à l’accent honteux, il s’est mis à l’écriture.

Tandis que plusieurs de ses récits de déroulent en campagne (je retiens entre autres la superbe nouvelle « Gibier d’élevage ») et mettent en scène des enfants désillusionnés, impitoyables, presque sadiques par moments (Le faste des morts, Seventeen), d’autres sont largement inspirés de sa vie personnelle, en particulier par la guerre (Notes de Hiroshima) ou la vie avec son fils invalide (Une affaire personnelle, Le jeu du siècle, Dites-nous comment survivre à notre folie).

Ce qui m’a frappé la première fois où j’ai lu Kenzaburô Ôé, c’est l’incroyable émotion que son écriture convoie, sa force de frappe, sa justesse de ton, et son humanité désarmante. J’avais acheté Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, complètement happé par le titre de l’ouvrage. J’ai par la suite systématiquement épluché le reste de son œuvre. J’y ai découvert un homme intelligent, humble, sensible et hautement poétique, mais également terriblement dur, subversif, très âpre. C’est un humaniste, un rêveur, un grand penseur et un extraordinaire conteur.

Ce que j’aime de Kenzaburô Ôé, c’est que, comme Faulkner, comme Vonnegut, il s’attelle à la difficile tâche de traduire en mots les émotions qui nous habitent. Ce que j’aime de Kenzaburô Ôé, c’est que, pour lui, nous sommes des enfants, transis, apeurés, désorientés, perdus dans le noir. Pour lui, nous sommes tous des enfants.

Photo : © DR, Gallimard

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