Serge Bouchard : Récits de Mathieu Mestokosho chasseur innu
Rémi Savard : La Forêt vive : Récits fondateurs du peuple innu

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Chasseurs nomades, caribous et forêt boréale : c'est une double incursion au pays innu que nous proposent les Éditions du Boréal, avec la parution de deux essais mettant en relief la culture, le savoir et la vie de ce peuple fondateur. Dans Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur innu, l'anthropologue Serge Bouchard nous entraîne à la rencontre d'un Montagnais de la Minganie, qui délaisse son rôle de chasseur le temps de devenir conteur.

Par l’entremise de Bouchard, l’autochtone raconte la vie sur la terre des Innus. L’entrevue entre les deux hommes remonte à plus de trente ans, alors que Serge Bouchard était étudiant : « En 1970, je faisais mes premiers terrains en anthropologie, dans la région de Mingan. Je préparais une thèse de maîtrise sur le savoir des Innus à propos des classifications animales. J’apprenais aussi la langue innu », explique l’auteur, qu’on connaît bien pour ses collaborations avec Bernard Arcand (Les Meilleurs Lieux communs, peut-être). Le contact entre Mestokosho et l’anthropologue s’est fait naturellement, comme en témoigne le récit que le chasseur a transmis au jeune anthropologue : « Mathieu ne parle pas de l’évolution moderne de la situation. Il est un homme traditionnel, très ancien, qui parle en détail de la vie des Innus sur la terre innu. » Serge Bouchard rappelle aussi que « Mathieu appartient au beau monde universel de la parole, du geste, de la marche, de la force physique, de la vie, de la mort, de la grandeur d’un individu dans une communauté forte, de la responsabilité directe, bref, toutes choses en péril dans l’aujourd’hui fragile. » Mestokosho nous entraîne aussi, selon Bouchard, dans « un univers culturel riche et immensément méconnu, le monde de référence des Innus. » Et c’est cette méconnaissance que cherche à contrer ce livre, publié une première fois en 1977, en visant « simplement à faire partager ces réalités avec un plus vaste public. Dans un monde où l’on ignore tout de notre magnifique forêt boréale, où l’on confond Innu et Inuit à qui mieux mieux. » D’abord publiée par le ministère des Affaires Culturelles, sous le titre Chroniques de chasse d’un Montagnais de Mingan, l’œuvre reste un document incontournable à l’heure où nombreux sont les Innus qui luttent pour retrouver leur mode de vie traditionnel.

Inévitablement, lorsqu’on songe au peuple autochtone, il est question de tradition orale. Avec La Forêt vive, Rémi Savard, quant à lui, propose de revivre la naissance du monde à travers quatre récits recueillis durant l’été 1970 à La Romaine, alors que l’auteur poursuivait ses recherches sur la Basse-Côte Nord : « François Bellefleur, alors âgé de 65 ans, les a racontés devant mon magnétophone, en présence d’un traducteur innu, qui a ensuite procédé à une transcription phonétique et à une première traduction. » Entre le merveilleux et la poésie, le lecteur est appelé à découvrir les aventures de Tshakapesh, qui s’initie à la vie, apprenant à départager le jour de la nuit, la vie de la mort, les animaux des hommes, le ciel de la terre, les chasseurs des proies. L’originalité de cette œuvre « tient au fait que je renvoie ces quatre récits les uns aux autres, et ce, pour en extraire ce qu’on pourrait appeler l’humanisme algonquien dont ils sont imbibés », d’expliquer l’auteur. « Selon moi, il s’agit là d’une première. C’est pourquoi j’ai mis beaucoup de soin à revoir le texte français, n’hésitant pas, au besoin, à revenir au texte original innu. » Cet ouvrage est l’une des rares occasions de renouer avec la tradition orale, forme d’art ancien qui est trop souvent oubliée. Faisant écho à son collègue anthropologue, Rémi Savard tient à souligner que « les peuples autochtones ne sont pas des résidus de hordes primitives, et que les difficultés avec lesquelles ils se débattent présentement sont en grande partie le résultat des politiques de purification ethnique auxquelles nos gouvernements successifs ont, en notre nom et avec nos taxes, consacré tant d’énergie depuis le milieu du XIXe siècle ». En somme, l’homme moderne trouvera dans ces deux œuvres matière à renouer avec ses origines, et une occasion de se réconcilier avec un humanisme autochtone qui fait cruellement défaut dans notre monde contemporain.

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