Nicolas Lévesque : Un psy sur sa lancée

Rares sont les textes qui résonnent en nous pour leur calme et leur sérénité sans que cela soit leur but. C’est pourtant l’impression qui se dégage de Phora, le premier de deux ouvrages que Nicolas Lévesque consacre à une nouvelle approche en tant qu’auteur et psychanalyste chez Varia dans la collection « Proses de combat ». L’auteur nous entraîne sur les chemins de l’empathie, de l’héritage et de la transmission; phora veut dire « porter » en grec. Avec beaucoup de pudeur, il nous invite à son cabinet, nous fait découvrir une galerie de personnages lambda, comme dessinés au fusain, à main levée, avec juste assez de détails pour nous toucher. Ces rencontres librement inspirées de sa pratique sont autant d’occasions pour lui d’aborder la relation d’aide, cette capacité que nous avons à prendre sur soi, à porter notre fardeau et celui des autres, à préserver l’équilibre en somme. La plume de l’auteur est aérienne, soutenue par une kyrielle d’observations qu’il nous livre sur le ton de la confidence.

Ce qui le distingue en tant que psy, c’est son parti pris littéraire. Quand un patient lui confie « Tout m’agresse », il entend Tout m’avale de Réjean Ducharme. De Nelly Arcan à Saint-Denys Garneau et en passant par Maurice Blanchot, l’auteur se nourrit des fulgurances qui l’habitent encore. Pour nous décrire la psyché humaine, il y va d’une comparaison avec la Terre du Milieu de Tolkien. De même, son rapport aux métaphores fait sourire. On devine que la verve de ses patients et patientes doit beaucoup à ses lectures. Il en résulte une écriture fluide et décomplexée où le thérapeute s’efforce de trouver les mots justes pour décrire des situations complexes, loin du jargon clinique habituel.

Retrouvant ce ton feutré, il récidive avec un sujet d’actualité. En service durant le confinement, le psychanalyste mesure l’impact de cet arrêt brutal; ptoma signifie « tomber » en grec. L’ouvrage explore nos pertes d’équilibre. Le croquis qu’il fait de ses patients et patientes est toujours aussi doux, mais les apartés sont plus nombreux, le sentiment d’urgence vécu collectivement le force à chercher des appuis plus ancrés dans sa pratique. La conversation fait place à l’analyse, le thérapeute creuse son sujet tandis que le littéraire va jusqu’au bout du verbe tomber. Il cite Saint-Denys Garneau : « C’est là, sans appui, que je me repose. » Cette position sied bien à l’auteur.

Phora et Ptoma se balancent, poussés par un observateur qui s’intéresse aux mouvements. Il cherche du côté des arts, de la philosophie, de la politique. Deux toiles du peintre Jean-François Millet font le lien entre les œuvres, par la couverture, respectivement Les fagoteuses et La sieste. Il décrypte la part d’inconscient qui transparaît des tableaux. N’y a-t-il pas plus belle manière de tomber que de faire une sieste? Il évoque Hubert Aquin, Dédé Fortin et Nelly Arcan tombés au combat, il réfléchit à l’identité du Québec qui s’accommode mieux des mouvements sociaux que des ambitions politiques, il interroge notre « rapport fictif à l’économie, à la nature, à l’amour », nous parle de psychisme-peau, d’épiderme sensible, de couches successives qui absorbent le réel. Il en revient toujours à la racine grecque de ses titres, dont le sens nous échappe de prime abord. C’est sa manière de souligner l’importance du langage. S’il se réfère peu à l’Antiquité, l’auteur donne volontiers la parole à Nietzsche, à Montaigne et à Georges Bataille : « La poésie, ce sacrifice dont les mots sont les victimes. »

Le style se veut fragmentaire, pictural et intime. La psychologie sert de toile de fond, le propos est ailleurs, dans la sublimation, l’effet de levier inhérent à la création. L’auteur avoue : « […] je ne sais plus écrire sans évoquer mes patients. » Il va sans dire que ces coups de pinceau successifs font partie de sa démarche, permettent le dialogue. Le psychanalyste suit des pistes, fait des liens sans tirer de conclusions hâtives, procédant plutôt à un inventaire, un recensement de ses idées, ses inspirations, ses découvertes, s’efforçant de trouver le bon ballant entre analyse thérapeutique, expression artistique et expériences personnelles. Il semble évident que Nicolas Lévesque touche à quelque chose d’essentiel à travers cette forme particulière. Espérons que son exploration ne fait que commencer.

Photo : © Vicky McDermott

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