L’Énigme masculine

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Poètes et romanciers ont si souvent évoqué les délicieux et troublants mystères féminins qu'il doit être légitime d'évoquer les énigmes plus bourrues de l'autre sexe. En voici une : pourquoi cet inconfort dans la relation entre la lecture et le mâle ? Car le sexe dit fort lit moins, navigue avec une moindre aisance sur les eaux de la lecture, explore avec une prudence frileuse l'univers du livre. Certes, des exceptions existent que j'espère d'ailleurs nombreuses, mais la tendance est lourde et, comme dirait un lecteur de nouvelles qui s'éternise, elle se maintient.

À preuve, ceci, que je puise dans les actes du séminaire tenu à Québec le 28 février 2002 sur le thème de Politique culturelle et bibliothèque publique : « Bien que le Canada se soit récemment classé au 2e rang en lecture parmi 32 pays et que le Québec figure au 3e rang des provinces canadiennes derrière l’Alberta et la Colombie-Britannique, les résultats ont révélé que les jeunes filles sont plus habiles en lecture que les jeunes garçons, et ce, dans toutes les provinces canadiennes et dans les 32 pays qui participent au PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) ». Voilà l’énigme à résoudre d’une manière moins tranchante, si possible, que le classique nœud gordien.

Le réflexe québécois voudrait qu’on impute le problème à nos coupables habituels : un passé rural qui arme les garçons d’une faux plutôt que d’une plume, le nomadisme du coureur de bois qui impose à Maria des soirées de lecture solitaire et à François Paradis les errances analphabètes, l’engouement masculin pour la victoire sportive ou politique au détriment des joies poétiques, etc. L’énigme survit à ces explications étriquées : le Québec cuve peut-être un passé d’inculture masculine, mais les 32 pays analysés se heurtent à la même énigme sans avoir parcouru les mêmes sentiers. Alors ?

L’analyse peut énumérer les multiples rôles assumés par les femmes dans la diffusion du livre et de ses plaisirs. Les femmes sont nombreuses à s’adresser aux jeunes auditoires et plus enclines à écrire en fonction des filles. Les éditeurs confient aux femmes les postes d’attachés de presse. Les achats de livres sont plus souvent effectués par des femmes. Et quoi encore ? L’énigme, cependant, persiste et signe : les femmes sont plus nombreuses au chevet du livre, mais cela relève du constat et n’explique pas le désintéressement (relatif) de l’espèce mâle.

Tentant de résoudre l’énigme qu’il avait lui-même pointée du doigt en février, M. Claude Fleury, président de la Commission scolaire de la Capitale, osait une hypothèse : « …les garçons portent plus attention aux réactions des autres garçons tandis que les filles demeurent plus ouvertes au monde adulte (p.83) ». Réponse évocatrice, mais qui ne dit pas pourquoi il en est ainsi, ni si l’explication vaut pour 32 sociétés différentes. L’énigme est têtue.

Heureusement, il n’est pas indispensable de tout savoir de la rencontre entre l’oxygène et l’hydrogène pour remplir son verre d’eau. Pas indispensable que l’on sache tout des identifications sociales et mentales des garçons et des filles pour défaire les premiers brins de l’énigme que constitue la réaction masculine face à la lecture. Des stéréotypes existent, qu’il faut identifier et exorciser comme il a fallu purger les manuels scolaires de leur sexisme et de leur xénophobie. Les choix de textes et de livres méritent l’examen sous un angle supplémentaire. Les pères ont à évaluer leur relation avec la lecture, mais aussi avec la culture au complet. Les écoles, plus autonomes qu’autrefois, ont à réexaminer le contenu de leurs bibliothèques.

Paradoxalement, l’énigme peut se résorber avant que toutes ses causes soient connues. Cela donnerait raison au penseur grec qui prouvait l’existence du mouvement en marchant.

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