Mouvement punk: Le désenchantement et la fureur

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«Anarchiste», «nihiliste», «provocateur», «insolent» et «excessif» sont des mots qui peuvent nous venir à l'esprit en évoquant le mouvement punk. Et, en effet, rien dans ce qui se publie sur le sujet ne viendra contester ce lexique.

Petite histoire du No Future
C’est, du moins, ce que nous démontre Bruno Blum dans son livre Punk. Sex Pistols, Clash… et l’explosion punk. Correspondant à Londres du mensuel rock Best à la fin des années 70, en pleine explosion punk, il nous donne toute l’ampleur du phénomène dans un ouvrage généreusement illustré. Le journaliste en retrace d’abord les origines lointaines. Tout ce que la musique populaire, la littérature et l’art en Occident ont connu de radicalement et d’ouvertement contestataire face à l’ennui et à l’oppression y passe. Le blues, le be-bop, la beat generation, l’internationale situationniste, le rock’n’roll, tout ce qui depuis environ un siècle appelle la jeunesse à renverser le monde se voit digne de figurer dans cette généalogie du punk. Puis viennent les ancêtres directs, Velvet Underground, Iggy Pop et les Stooges, les MC5 et David Bowie en tête. Bref, la face obscure et rageuse des années hippies qui, à grand renfort de décibels et de distorsion, bottait les fesses aux fleurs du Summer of love et aux béatitudes hallucinées des babas cool de tout acabit.

Ce dangereux amalgame d’écorchés vifs et de perdants, magnifiques ou non, donnera lieu, au milieu des années 70, à une pétarade sans précédent dans l’univers musical anglo-saxon. S’il faut fixer un lieu de naissance, c’est à New York, à l’intérieur du mythique bar CBGB’S, dans le sillage des New York Dolls (espèces de Rolling Stones déguisés en drag queens déjantées) que les premiers balbutiements du nouveau-né se feront entendre. On y voit alors défiler une véritable dream team pour l’amateur du genre: Patti Smith, Richard Hell, Talking Heads, The Ramones, Blondie, etc. Ces dandys loqueteux, chaussés de baskets et à la poésie furieuse ramenaient le rock à son essence première, à une esthétique faite d’urgence et de fureur, plus près de la rue et des tripes, renvoyant ainsi au néant la virtuosité mollassonne des dinosaures hippies confinés aux stades et aux palmarès.

Si, aux États-Unis, le phénomène se manifeste surtout dans la sphère artistique, il trouve, dans le contexte britannique, un réel tremplin à son expression sociale et politique. L’Angleterre de l’époque abrite une jeunesse paumée, désabusée par la rutilance onéreuse d’une couronne en déclin, symbole larvé de ce pays aux prises avec des tensions raciales et sociales, au taux de chômage en constante croissance et témoin de l’ascension de la droite conservatrice de Thatcher. Ainsi, dans le patelin de Shakespeare, les égouts de l’ennui et de la colère ont débordé à la face du monde et des tas d’adolescents ahuris, se reconnaissant dans la musique, entre autres, des scandaleux Sex Pistols et des revendicateurs Clash, ont surfé sur la vague qui en était sortie. Vague furtive et lourde des excès en tout genre qui ont causé sa perte, mais dont l’essor trouve encore des échos à notre époque dans le dynamisme farouchement indépendant qui la caractérisait à l’égard de l’industrie de la musique formatée et marchande.

Le Dictionnaire raisonné du punk de Pierre Mikaïloff, publié aux éditions Scali, vient compléter à merveille cette lecture. Les articles contenus dans ce dictionnaire particulier informent sur les divers éléments et acteurs qui composent l’univers du punk ou, par leur influence, gravitent autour: Doc Marten’s, Guy Debord, Sid Vicious, etc. Le tout est fait avec une certaine dose d’humour et un recul qui ne mythifie en rien le phénomène, mais en donne, toutefois, la juste mesure.

Les orphelins de Baudelaire
Toujours chez Scali, dans la même collection, dirigée par Patrick Eudeline et vouée au monde du rock, vient de paraître un ouvrage surprenant par son sujet: Les Décadents français. Ces derniers, sans constituer à proprement dit une école, sont rassemblés sous cette appellation dans un contexte générationnel. On y retrouve à peu près tous les artistes, les écrivains et les poètes qui, dans la foulée de Baudelaire et de Rimbaud et rompant avec la rigidité parnassienne, ont contesté, autant par leurs œuvres que par leurs modes de vie, le positivisme et le rationalisme bourgeois qui sévissaient à la Belle Époque. Un melting-pot sulfureux, à l’orée balbutiante des avant-gardes du XXe siècle et clamant son désespoir et sa folie à la face d’un monde tenu en laisse par les cordons de la bourse et de la raison d’État en cette période post-communarde. Une lecture truffée d’anecdotes qui fait comprendre pourquoi bon nombre de rockers, presque cent ans après, évoquaient cette tranche d’histoire littéraire ou s’en inspiraient.

Rock & Folk
Pour terminer et puisque nous traitons de livres concernant le rock, évoquons le livre-anniversaire des 40 ans de la revue Rock & Folk paru l’hiver dernier: Génération Rock & Folk. 40 ans de culture rock. L’existence de ce premier véritable mensuel de rock en France est une aventure journalistique à la fois significative et trépidante. Au fil des anecdotes et des témoignages des différents acteurs qui y ont participé, des modes et des tendances, c’est en filigrane l’histoire de la France et du monde des quatre dernières décennies qui défile sous nos yeux. Bien que parfois critiquable par son côté verbeux, la revue a tout de même donné l’élan à des plumes qui ont su forger une approche mûre et bien tournée du rock dans la langue de Johnny Hallyday.

Bibliographie :
Punk. Sex Pistols, Clash … et l’explosion punk, Bruno Blum, Hors-collection, 160 p., 44,95$
Dictionnaire raisonné du punk, Pierre Mikaïloff, Scali, 304 p., 44,95$
Les Décadents français, Marc Dufaud, Scali, coll. Culture et contre-culture, 432 p., 45,95$
Génération Rock & Folk. 40 ans de culture rock, Christophe Quillien, Flammarion, coll. Pop culture, 400 p., 36,95$

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