Budapest 1956: quand socialisme rimait avec révolution

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Il y a 50 ans, en octobre 1956, la capitale hongroise, Budapest, fut le centre d'un affrontement incroyable pendant près de deux semaines. Une population déterminée riposte, armes à la main, aux exactions de la police politique du régime stalinien de Matyas Rakosi. Elle s'en prend aussi violemment aux symboles du pouvoir communiste. Paralysés et impuissants devant le raz de marée qui déferle dans les rues de Budapest, les dirigeants hongrois font appel aux troupes soviétiques qui stationnent déjà sur leur territoire. Mais voilà que l'impensable se produit: les tanks russes sont repoussés par les insurgés, c'est le cessez-le-feu et les troupes soviétiques entament leur retrait de la capitale.

Entre-temps, une nouvelle équipe a pris les rennes du pouvoir hongrois sous la gouverne d’Imre Nagy, qui bénéficie d’un soutien réel parmi la population. Son discours se veut compréhensif; il tente de rassurer sur les changements à venir, mais il n’arrive pas à convaincre suffisamment. En fait, Nagy est dépassé par la situation. S’ensuit alors une nouvelle intervention russe, massive celle-là; elle s’appuie sur des moyens militaires décisifs. Bilan: près de 10 000 morts; 22 000 arrestations; 341 exécutions et 180 000 réfugiés qui passent à l’Ouest.

Octobre hongrois
Budapest 56 de Victor Sebestyen reconstitue de vivante façon l’enchaînement des épisodes qui précédèrent la crise puis, au jour le jour, il raconte l’histoire surprenante de cette éphémère «révolution hongroise». Délaissant l’analyse, l’auteur s’attarde plus ici à la narration des événements et à la mise en scène des principaux protagonistes. Mais pour mieux saisir le fort sentiment national qui animait la révolte, la violence du soulèvement et la détermination des insurgés, l’auteur nous renvoie utilement à certains épisodes de l’histoire de la Hongrie depuis la fin de la Deuxième Guerre. Il met alors en évidence l’influence déterminante de l’Union soviétique, le caractère spoliateur de la mise en place du nouveau régime sous la direction du parti communiste, ainsi que la conduite particulièrement répressive qu’il adopte vis-à-vis la société. Cependant, parce que centrée sur les dissensions politiques au sein des élites, la crise interne du régime et finalement sur les affrontements armés au cours de l’insurrection, la démarche de Sebestyen ne permet pas de prendre toute la mesure du caractère social de cet épisode, des transformations politiques qui s’y produisirent et des idéaux qui s’y déployèrent en toute liberté.

L’ouvrage de l’historien François Fejtö, 1956, Budapest, l’insurrection représente une bonne petite synthèse qui vient combler les lacunes du livre de Sebestyen. Il apporte une analyse éclairante sur la signification et la dynamique sociale de la crise hongroise. Fejtö parle ainsi de la «première révolution antitotalitaire» contre le système stalinien, mais également de «socialisme révisé». Cela peut paraître étonnant aujourd’hui, mais les discours et revendications de l’Octobre hongrois n’envisageaient pas un retour au capitalisme, ils s’y opposaient. En fait, la révolte hongroise épousait plusieurs dimensions: anti-impérialiste, démocratique et sociale. On se battait pour le plein exercice des droits et libertés; dans les usines, au travail, on prenait au mot la parole des dirigeants sur le socia-lisme et le pouvoir des travailleurs; enfin, partout on voulait affirmer son indépendance vis-à-vis de l’URSS, de ses symboles ou des relais politiques dans le pays. Toutes ces dimensions trouveront leur prolongement, mais aussi leur fer de lance, dans l’apparition de «nouvelles institutions démocratiques», organes de combat politique et revendicatifs de l’insurrection. Les Conseils ouvriers, les comités ou les conseils révolutionnaires, partant de la capitale pour s’implanter partout en province dans les entreprises, sur les lieux de travail et dans les municipalités, se substituèrent aux autorités locales. Ce faisant, ils posèrent gravement la question de l’exercice du pouvoir dans cette crise tout en imprimant une dynamique insoupçonnée à la révolte.

Peuple en marche
Le témoignage d’André Farkas, journaliste pour le quotidien du parti communiste hongrois en 1956, rend compte avec acuité du climat politique qui marquait cette dynamique. Ce qui apparaît évident aux yeux de l’auteur, c’est que le mouvement de révolte gagnait en soutien, en fermeté et en détermination au fur et à mesure de son développement. Bref, il se radicalisait. Le gouvernement réformateur d’Imre Nagy, même s’il cherchait à épouser le mouvement, se situera dans ce contexte constamment à la remorque des mobilisations de la société. Élément remarquable qui apporte un autre éclairage sur la nature de la révolte selon Farkas, c’est qu’en plus des initiatives de changement amorcées par les étudiants et les intellectuels, les travailleurs seront appelés à jouer un rôle déterminant dans l’armement, la résistance et le combat politique des insurgés et ce, jusque dans leur opposition au nouveau régime de Janos Kadar, après la défaite militaire de l’insurrection lors de la seconde intervention russe.

La révolution hongroise avait ses combattants. Parmi ses chefs, on retrouvait des personnages colorés, frondeurs, dangereux même. Mais il y avait aussi de simples ouvriers, des étudiants et travailleuses, souvent anonymes. C’est là l’objet des Héros de Budapest, qui nous entraîne dans les rues et les quartiers de la cité hongroise à la recherche de ces combattants inconnus. Le point de départ de l’entreprise est une photographie: un couple, elle blessée, un pansement à la joue; lui, tenant un fusil mitrailleur. Qui sont-ils? Que sont-ils devenus? Et qui est l’auteur de ce cliché mondialement connu? Les auteurs Casoar et Balazs tenteront de répondre à ces questions au fil d’une enquête passionnante. Les pistes sont multiples, trompeuses. Elles mènent à plusieurs endroits, nous font rencontrer des personnages surprenants, du Canada à l’Australie en passant par la Suisse et l’Autriche. Elles sèment aussi le doute, débouchent sur des impas-ses ou permettent d’espérer, encore. Ce beau livre, document photographique fascinant, est l’histoire d’une photo, mais c’est aussi le parcours retracé d’une jeune femme hongroise, exilée, et la quête inachevée d’une identité, celle de son compagnon. Dans ce voyage au cœur de la mémoire, on retrouve aussi les camarades de la révoltée. Mais qui étaient-ils? Pourquoi luttaient-ils, ensemble? Un regard unique et original sur ces événements.

Bibliographie :
Les Héros de Budapest, Phil Casoar et Balazs Eszter, Les Arènes, 251 p., 85,00$
Budapest 56. Les 12 jours qui ébranlèrent l’empire soviétique, Victor Sebestyen, Calmann-Lévy, 444 p., 39,95$
Budapest 1956. La tragédie telle que je l’ai vue et vécue, André Farkas, Tallandier, coll. Contemporaine, 352 p., 39,95$
1956, Budapest, l’insurrection, François Fejtö, Éditions Complexe, coll. Historiques, 218 p., 17,95$

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