À chaque édition de la revue Les libraires, nous vous proposons une sélection de livres qui se glissent facilement dans votre poche. Petit prix et petit format, certes, mais de grandes découvertes et de belles plumes!

Une forêt de laine et d’acier
Natsu Miyashita (trad. Mathilde Tamae-Bouhon), Philippe Piquier poche, 243 p., 15,95$
Lauréat du Prix des libraires japonais en 2016, ce roman est à la fois un hommage à la poursuite de ses passions et une ode au piano. Avec une grande sensibilité et en usant de la métaphore filée de la forêt, l’auteure nous raconte le cheminement d’un jeune homme qui fut un jour chamboulé à la vue d’un accordeur de piano en action. Il n’en faudra pas plus pour qu’il décide de suivre cette voie. Cette « forêt de laine et d’acier » — c’est la façon dont le protagoniste perçoit et nomme le piano — deviendra alors pour lui à la fois la source de son bonheur, mais aussi celle de ses doutes : car au-delà de son immense talent d’accordeur, il n’est pas musicien. Un roman tissé d’une finesse inouïe qui nous émeut en touchant nos cordes sensibles.

 

La goûteuse d’Hitler
Rosella Postorino (trad. Dominique Vittoz), Le Livre de Poche, 382 p., 13,95$
Ce roman, qui s’inspire de l’histoire de Margot Wölk, véritable goûteuse d’Hitler, a été couronné de succès et a remporté le prix Campiello en Italie. En 1943, Rosa fait partie des goûteuses d’Hitler, qui craignait qu’on essaie de l’empoisonner. Les neuf autres goûteuses la perçoivent comme une étrangère — comme elle est originaire de Berlin — et la tiennent à l’écart. Elles ont pourtant en commun de risquer leur vie à chaque bouchée et de tenter de survivre. En plus d’être persécutée par ses collègues, Rosa l’est également par les S.S. Avec ce livre, la romancière italienne sort de l’oubli une femme fascinante, au destin hors du commun, tout en abordant en filigrane la guerre, la complexité des liens qui unissent les gens et l’humanité des êtres.

 

William et Eva (t. 1) : À un fil du bonheur
Mélanie Calvé, Fides, 350 p., 12,95$
Vers les années 1900, dans un village de la région de Salaberry-de-Valleyfield, Eva doit jongler avec un drame qui touche sa famille et qui chamboulera ses aspirations et son destin ainsi que celui de ses proches. Cette jeune femme énergique découvre alors que le bonheur ne tient pas à grand-chose. Puis, abandonnant certains de ses rêves, elle quitte à regret la campagne qu’elle aime tant pour la ville où elle fera la rencontre de William, avec qui elle pourra enfin entrevoir un avenir. La vie, avec ses hauts et ses bas, lui réservera encore des surprises. Les deux autres tomes de cette trilogie historique captivante paraissent également en format poche.

 

Tenir jusqu’à l’aube
Carole Fives, Folio, 192 p., 13,25$
Parce qu’être monoparentale est essoufflant. Parce qu’être monoparentale engorge l’esprit. Parce qu’être monoparentale sans famille ni réseau est à la limite du surhumain lorsqu’il faut travailler, faire les allers-retours à pied à la garderie, prendre soin sans relâche de son enfant, pourtant adoré. La protagoniste de Carole Fives est dans cette situation. Pour éviter de craquer, lorsque l’enfant dort, elle sort à quelques mètres à peine de l’appartement. La fois suivante, un peu plus loin, vers le canal… Chaque fois, c’est une bouffée d’air qui lui permet de recommencer sa vie éreintante le lendemain. Avec cette histoire qui fait des allusions nombreuses à La chèvre de monsieur Séguin — instillant du coup l’idée qu’un drame surviendra —, Carole Fives signe un texte fort sur ce défi quotidien vécu pourtant par de nombreuses femmes. Une plongée en flèche, une narration précise et sans fioritures, des pensées si bien partagées.

 

Manam
Rima Elkouri, Boréal, 224 p., 13,95$
La journaliste et chroniqueuse à La Presse Rima Elkouri fait une incursion du côté de la fiction avec ce premier roman maîtrisé, qui fait œuvre de témoignage et de mémoire. Téta, la grand-mère de Léa, vient de mourir. Léa avait souvent demandé à son aïeule comment sa famille avait survécu à l’indicible, mais cette dernière, pourtant volubile et vive, refusait de parler de ce pan de son histoire. Jadis, presque toute la population de Manam, où Téta vivait avec les siens, a été décimée. Bien qu’elle ait vécu l’horreur, Téta avait choisi la vie. Dans cette fresque familiale bouleversante, Rima Elkouri raconte avec sensibilité et justesse le génocide arménien en mettant en scène une famille meurtrie qui enfouit un lourd et tragique passé.

 

Rhapsodie des oubliés
Sofia Aouine, Le Livre de Poche, 210 p., 13,95$
À Barbès, un quartier sinistre de Paris, où règnent la misère et la violence, vit Abad, un adolescent de 13 ans — l’âge de tous les possibles et des premiers émois amoureux — qui aspire à un meilleur avenir que celui des gens qu’il côtoie, englués dans un quotidien étouffant dans lequel ils tentent de survivre. Ayant soif de liberté et d’absolu, il souhaite échapper à ce difficile destin, même si cela implique de contourner les règles. Sous son langage cru, son style désabusé et sa délinquance, Abad s’avère un être sensible. Cette œuvre puissante, un premier roman qui a notamment été récompensé du prix de Flore, dépeint avec un regard acéré les laissés-pour-compte d’un quartier rude et pauvre.

 

Croc fendu
Tanya Tagaq (trad. Sophie Voillot), Alto, 208 p., 15,95$
L’auteure originaire du Nunavut utilise tour à tour la poésie et le récit, offre une hybridité qui donne le ton à l’ensemble du roman qui brise les conventions tant sur le plan de la forme que du fond. À l’instar de sa créatrice, la narratrice de l’histoire est native de ce territoire où « le froid prend tout en otage », ce qui n’empêche pas les rêves de se déployer dans la tête et le cœur de l’adolescente qui éprouve les limites pour par la suite trouver son centre. Dans une sorte de dualité qui traverse tout le livre, Tagaq embrasse la violence et la tendresse, fait resurgir les plus grands mythes au sein même de la réalité la plus prosaïque, et c’est de ces opposés que naît la puissance de son écriture. Armée d’un verbe qui écorche tout sur son passage, elle montre la force et la vulnérabilité qui habitent son personnage, puis pointe la déroute qui affecte son peuple, sans omettre pour autant sa beauté et son indéniable richesse.

 

L’outrage fait à Sarah Ikker
Yasmina Khadra, Pocket, 238 p., 12,95$
Le couple Driss et Sarah Ikker file le parfait amour quand un jour, en rentrant chez lui, le mari retrouve sa femme nue et menottée. À partir de cet événement, l’époux voudra venger ce viol et entreprendra de découvrir l’infâme qui lui a causé ce déshonneur qui le rend fou. Il est tellement obsédé par ses recherches qu’il ne voit plus clair et que s’étiole peu à peu la complicité qui l’unissait à Sarah. La ronde des faux-semblants s’agrandit jusqu’au moment où tout semble mener à l’effondrement. Par l’entremise du polar, l’auteur décrit une société marocaine où les mensonges et le jeu des apparences viennent corrompre les relations. D’une écriture alerte et fluide, Khadra enchaîne avec talent les détours tortueux que peut prendre un esprit soumis à l’aliénation.

Publicité