Un âge va, un âge vient, la terre tient toujours et tout est ennuyeux…

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Dieu que l'on s'ennuie en bande dessinée ce printemps ! Outre quelques émois commerciaux qui ont su faire la joie du marchand cupide, on ne trouve rien que le véritable amateur puisse se mettre sous la dent. Les seuls îlots de verdure dans cette grisaille éditoriale ne viennent ni de la Belgique ni de la France, mais d'un petit « pays » producteur qui ne nous avait pas habitués à tant de qualité : le Québec.

Paul a un travail d’été

Michel Rabagliati est entré involontairement dans le monde de la bande dessinée par la grande porte : il en est venu à faire de la BD presque par hasard et a connu immédiatement sinon le succès public, du moins la reconnaissance de ses pairs. Son premier album, Paul à la campagne, a immédiatement été acclamé comme une production majeure de la bande dessinée québécoise. Deux ans plus tard, il nous offre la suite de ses aventures pseudo-autobiographiques.

Paul a un travail d’été relate les premières expériences d’un Paul décrocheur, d’abord comme apprenti typographe, puis comme moniteur dans un camp d’été. Là, il fera ses premières expériences et aura l’impression de pénétrer dans le monde des adultes. Quelques années plus tard, au cours d’une soirée où le passé lui tendra une perche imprévue, il fera partager une partie de son expérience à sa fille.

L’album trace un portrait touchant et vivant des années 70. Les dialogues y sont particulièrement savoureux : Rabagliati ne prête pas à ses héros un langage inventé, mais celui de la rue, un langage naturel que nous avons pratiqué. Et ce n’est pas là une affectation ou un choix politique. À des lecteurs français qui me disaient apprécier le pittoresque de la langue, j’ai avoué que j’avais certainement eu autant de plaisir qu’eux à savourer la distance du langage : j’ai retrouvé, tels qu’ils étaient, les mots de mon enfance.

L’album témoigne d’une maîtrise parfaite de la narration. De solides axes symboliques parcourent le texte avant de se rejoindre sans que l’on ait l’impression que quelqu’un en tire les ficelles. On en arrive presque à croire que Rabagliati, marionnettiste discret, n’a rien inventé et que tout s’est passé exactement comme il l’a raconté.

L’écurie Mécanique Générale

Cela faisait longtemps que l’écurie Mécanique Générale ne s’était pas rappelée à notre bon souvenir. Et puis soudainement, en plein salon du livre, voilà que les éditeurs lancent quatre albums d’un seul coup : Sur un fond bleu de Sébastien Trahan, Des nouvelles d’Amériques de PhlppGrrd, Résine de synthèse de Jimmy Beaulieu et un collectif, Le Pitcheur pense à sa blonde. Leif Tande, quant à lui, fait bande à part en publiant son Boxeur chez Mano Blanco Comix (autant dire chez lui). Ne voulant surtout pas faire de jaloux, je ne m’attarderai pas sur les albums individuels (courez les acheter, il sont tous excellents et à prix réellement modiques), et consacrerai l’espace qui me reste uniquement au collectif.

Première constatation : Le Pitcheur… est beaucoup plus construit que Avons-nous… . Après une sortie en groupe aux Expos, on a demandé à chacun des dessinateurs d’offrir une ou plusieurs variations sur le thème du base-ball. Nous lisons donc la même histoire à trois ou quatre reprises, les points de vue changent, les informations se recoupent. Chacun se questionne sur la contribution qu’il apportera à l’album. Le lecteur a l’impression de partager les angoisses d’un ouvrage qui tente de s’écrire et ne décolle que difficilement de son questionnement existentiel. Mais au moment où l’on tourne la dernière page, en retombant dans le monde réel, on se rend compte qu’on était plongé au cœur d’un univers fictif riche et emballant.

Bibliographie :
Paul a un travail d’été, Michel Rabagliati, Éditions de la Pastèque,
Avons-nous les bons pneus, Collectif, Mécanique générale
Quelques pelures, Collectif, Mécanique générale
Sur un fond bleu, Sébastien Trahan, Mécanique générale
Des nouvelles d’Amériques : Discussions imaginaires, PhlppGrrd, Mécanique générale
Résine de synthèse, Jimmy Beaulieu, Mécanique générale
Le Pitcheur pense à sa blonde, Collectif, Mécanique générale
Le Boxeur, Leif Tande, Mano Blanco Comix

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